PIECES  DE  THEATRE  POUR  ENFANTS.

 
 

LA MERLETTE

DRAME EN TROIS ACTES.

 

Eudoxie Dupuis


1983


domaine public


PERSONNAGES :

LA MERLETTE, 11 ans.

GRAND-GAUCHER.
LE PÈRE MART1N, cantonnier.
SIMONNE, 12 ans.
LA MERLUCHE.



ACTE PREMIER


     Le théâtre représente la maison du père Martin. Une cheminée, un buffet, deux ou trois chaises en mauvais état, un fagot éparpillé, des ustensiles de ménage, une table.



SCÈNE I.

LE PÈRE MARTIN, puis LA MERLETTE.

 


LE PÈRE MARTIN. - C'est aujourd'hui dimanche ; je n'en suis pas fâché. Allons voir un peu ce qui se passe au cabaret du père Leloup. (Il ouvre sa porte et va pour sortir ; apercevant la Merlette). Tiens ! c'est toi, petite ! par quel hasard te trouves-tu de ce côté de si grand matin ? Et que fais-tu là à la porte de ma maison ?


LA MERLETTE, timidement. - J'attendais que vous sortissiez, père Martin.


LE PÈRE MARTIN. - Ah ! Vraiment ! et pourquoi cela ?


LA MERLETTE, de même. - Parce que...


LE PÈRE MARTIN, continuant. - Tu es seule aujourd'hui ? Où donc est la vieille avec laquelle je te vois ordinairement sur la route, pendant que je travaille.


LA MERLETTE. - La Merluche ?


LE PÈRE MARTIN. - Ah ! c'est la Merluche qu'on l'appelle ?


LA MERLETTE. - Oui.


LE PÈRE MARTIN. - Drôle de nom !... Eh bien ! où est elle ?


LA MERLETTE, avec satisfaction. - Elle est en prison.


LE PÈRE MARTIN, stupéfait. - En prison !


LA MERLETTE. - Tiens aussi ! c'est bien fait ! Pourquoi s'est-elle laissée prendre ?


LE PÈRE MARTIN. - Mais qu'a-t-elle donc fait pour aller en prison ?


LA MERLETTE, avec insouciance. - Bah ! pas grand chose ! Elle a chipé une paire de poules. Seulement elle est si maladroite ! Elle n'a pas eu l'esprit de se bien cacher. Les gendarmes l'ont vue et l'ont attrapée. Tant-pis pour elle ! (Elle rit méchamment.)


LE PÈRE MARTIN. - Comment ! tu n'as pas plus de chagrin que cela de voir ta tante en prison ? car on dit que c'est ta tante.


LA MERLETTE. - Je ne sais pas si c'est ma tante ; mais je sais que je suis bien heureuse qu'on l'ait enfermée !


LE PÈRE MARTIN. - Tu ne l'aimais donc pas, la vieille ?


LA MERLETTE. - Oh ! mais non, je ne l'aimais pas ! Elle me battait quand je ne rapportais rien à la maison, et dame ! je ne pouvais pas toujours rapporter, moi ! Et pourtant j'étais plus habile qu'elle ! Les gendarmes ne m'ont jamais prise. Ah ! c'est qu'ils n'ont pas de si bonnes jambes que les miennes dans leurs grandes bottes ! (Elle rit encore).


LE PÈRE MARTIN. - Mais qu'est-ce que tu vas devenir maintenant ?


LA MERLETTE, avec hésitation. - Je ne sais pas...


LE PÈRE MARTIN. - Où est ta mère ?


LA MERLETTE. - Je n'en ai pas.


LE PÈRE MARTIN. - Et ton père ?


LA MERLETTE. - Je n'en ai pas non plus.


LE PÈRE MARTIN, à part. - Pauvre petite ! (Haut. Comment t'appelle-t-on ? Je t'ai vue souvent errer de côté et d'autre, mais je ne connais pas ton nom.


LA MERLETTE. - Oh ! moi, père Martin ; il y a longtemps que je connais le vôtre. — On m'appelle la Merlette.


LE PÈRE MARTIN. - La Merlette ! Voilà encore un nom qui n'est pas commun ! Eh bien, ma pauvre Merlette, avec qui vas-tu aller à présent ?


LA MERLETTE, avec hésitation. - Avec qui ?...


LE PÈRE MARTIN. - Oui, avec qui ?


LA MERLETTE, de même. - Je voudrais bien..... père Martin... Je voudrais bien rester avec vous.


LE PÈRE MARTIN. - Avec moi ! Mais qu'est-ce que je ferais de toi ?


LA MERLETTE. - Oh ! père Martin, je vous en prie ! Gardez-moi dans votre maison ; je vous aime bien.


LE PÈRE MARTIN, étonné. - Tu m'aimes ! Et pourquoi cela ?


LA MERLETTE. - Je vous aime, père Martin, parce que vous avez toujours été bon pour moi. Ce n'est pas comme la Merluche. Vous, vous aviez toujours à mon adresse quelques paroles d'amitié. Une fois même vous avez partagé votre pain et votre fromage avec moi. Vous vous en souvenez, n'est-ce pas, père Martin ?


LE PÈRE MARTIN, riant. - Ma foi ! lu as bonne mémoire ! Eh bien, partage-les encore ce matin. Nous allons déjeuner ensemble. Je crains par exemple que le buffet ne soit pas trop bien garni.... Tu as faim, j'en suis sûr ?


LA MERLETTE. - Un peu, père Martin.


LE PÈRE MARTIN, tirant du buffet un morceau de pain et une assiette sur laquelle est un morceau de lard. - Ah ! je suis plus riche que je ne croyais. D'ailleurs, comme dit le proverbe : Quand il y en a pour un... (À part) Et puis, lorsque je m'en passerais ; pour une fois ! (Haut) Mais, au fait, tu aimeras peut-être mieux une tasse de lait. Je vais voir si la mère François a trait sa vache.(Il sort.)



ACTE II.

LA MERLETTE, puis SIMONNE.



LA MERLETTE, seule. - Comme il est bon, le père Martin ! Oh ! s'il voulait bien me garder avec lui ! Que je serais heureuse !


SIMONNE, entrant, à part. - Tiens ! Qu'est-ce que c'est que celle-là ?


LA MERLETTE, sans voir Simonne. - . Oh ! oui, je serais bien heureuse !

SIMONNE, à part. - Elle est gentille avec ses cheveux qui ne laissent voir que le bout de son nez et sa robe effilochée du bas ! (Haut.) Eh ! dites donc ! vous, là-bas !


LA MERLETTE, se retournant. - Hein ! Que me voulez-vous ? (À part) En voilà-t-il une qui a l'air méchant !


SIMONNE. - Qu'est-ce que vous faites là ?


LA MERLETTE. - Cela ne vous regarde pas.


SIMONNE. - Pourquoi êtes-vous ici ?


LA MERLETTE. - Que vous importe ?


SIMONNE. - Oh ! je vous reconnais bien ; je vous ai vue souvent avec la vieille mendiante.


LA MERLETTE. - C'est possible !


SIMONNE. - Tout le monde sait bien que vous n'êtes que deux voleuses.


LA MERLETTE. - Voleuse vous-même !


SIMONNE. - Vous avez profité de l'absence du père Martin pour vous introduire chez lui.


LA MERLETTE. - Ce n'est pas vrai !


SIMONNE. - Sortez de cette maison !


LA MERLETTE. - Je ne sortirai pas !


SIMONNE. - C'est ce que nous allons voir ! Je saurai bien vous en chasser ! Mendiante ! coureuse, va-nu-pieds !


LA MERLETTE. - Si vous vous imaginez me faire peur avec vos injures ! Je m'en moque pas mal !


SIMONNE. - Ah ! vous vous en moquez ! Voulez-vous bien vous en aller tout de suite !


LA MERLETTE. - Je ne m'en irai pas !


SIMONNE. - Attendez ! attendez ! (Elle prend la Merlette par le bras et veut la chasser).Hors d'ici !


LA MERLETTE, se débattant. - Lâchez-moi ! Voulez-vous bien me lâcher !


     (Elle parvient à se dégager et se jette à son tour sur Simonne. Le père Martin paraît).



SCÈNE III.

LA MERLETTE, SIMONNE, LE PÈRE MARTIN,

il porte une tasse de lait qu'il pose sur la table.



LE PÈRE MARTIN. - Eh bien ! eh bien ! On se querelle l


SIMONNE. - C'est cette mendiante que je veux mettre à la porte de chez vous.


LE PÈRE MARTIN. - Laisse la Merlette tranquille.


SIMONNE. - La Merlette ! En voilà un nom !


LE PÈRE MARTIN. - C'est moi qui l'ai fait entrer.


SIMONNE. - Vous !


LE PÈRE MARTIN. - Oui ; moi. Qu'as-tu à dire à cela ?


SIMONNE. - Rien. (À part) En voilà une idée !


LE PÈRE MARTIN. - Et toi, qu'es-tu venue faire ici ?


SIMONNE. - C'est monsieur Léry... (À part) Je vous demande un peu ce qui lui prend, au père Martin ! (Haut) C'est monsieur Léry qui m'envoie... (À part) S'il va recueillir comme cela tous les vagabonds ! (Haut) Qui m'envoie vous dire... (À part) En a-t-elle une mine, cette petite l


LE PÈRE MARTIN, avec impatience. - Ah ça ! en finiras-tu ? Qui t'envoie dire ?...


SIMONNE. - Vous dire qu'il a de l'ouvrage à vous donner.


LE PÈRE MARTIN. - C'est bien.


SIMONNE. - Il vous prie d'aller ce matin chez lui pour s'entendre avec vous.


LE PÈRE MARTIN. - Tu remercieras monsieur Léry de ma part et tu lui diras que j'y serai dans un instant. Bonjour !


SIMONNE. - Bonjour, père Martin. (À part, montrant le poing à la Merlette) Ah ! Celle-là ! la première fois que je la rencontrerai !... (Elle sort).



SCÈNE IV.

LA MERLETTE, LE PÈRE MARTIN.



LA MERLETTE. - La méchante fille ! Je suis bien contente qu'elle soit partie !


LE PÈRE MARTIN. - Oui ; elle n'a pas un trop bon caractère, cette Simonne.


LA MERLETTE. - Ah ! on l'appelle Simonne ! Oh bien ! si jamais je la trouve sur mon chemin, je lui donnerai son compte !


LE PÈRE MARTIN. - Allons, allons ! n'y pensons plus ! Déjeune plutôt ; voilà ton lait.


LA MERLETTE. - . Merci bien, père Martin.


     (Le père Martin coupe le pain en deux et donne le plus gros morceau à la Merlette).

LE PÈRE MARTIN. - Tu mangeras bien cela, n'est-ce pas ?

.
LA MERLETTE. - Oui, père Martin. (Elle mange et le père Martin fait semblant de manger).


LE PÈRE-MARTIN. - Tu ne mangeais pas tous les jours avec la Merluche ?


LA MERLETTE. - Oh ! non, père Martin !


LE PÈRE MARTIN. - Tu n'étais guère heureuse avec elle ?





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