PIECES  DE  THEATRE  POUR  ENFANTS.

 
 

LA MERLETTE. - Ce n'est pas ma faute.


LE PÈRE MARTIN. - Pas ta faute ?


LA MERLETTE. - Non, père Martin, je vous assure.


LE PÈRE MARTIN, avec impatience. - Je ne comprends rien à ce que tu dis.


LA MERLETTE. - Tiens ! aussi ! pourquoi m'ont-elles appelée mendiante ?

 

LE PÈRE MARTIN. - Qui t'a appelée mendiante ?


LA MERLETTE. - Celles qui étaient là-bas. Elles n'avaient pas le droit de m'appeler mendiante ! J'avais une plus belle robe qu'elles d'abord !


LE PÈRE MARTIN. - Elles ont eu tort de t'injurier ; mais toi, que leur as-tu fait ?


LA MERLETTE. - Tiens ! c'est bien juste ce que je leur ai fait ! Pourquoi celte grande a-t-elle tiré la planche ?


LE PÈRE MARTIN. - Quelle grande ? quelle planche ? Explique-toi ?


LA MERLETTE. - J'avais mis mon seau sous le robinet de la fontaine ; j'attendais qu'il fût plein. Il l'était déjà plus d'à moitié, quand cette méchante Simonne, vous savez bien, celle qui voulait me chasser d'ici ce matin, cette Simonne a tiré brusquement la planche sur laquelle était posé mon seau et l'eau a inondé mes sabots (pleurant), mes sabots tout neufs.

LE PÈRE MARTIN. - Est-ce tout ?


LA MERLETTE, avec embarras. - Oh ! non ! Les autres petites filles qui étaient là ont éclaté de rire. Alors, moi, cela m'a mise en colère. J'ai ramassé mon seau, je l'ai plongé bien vite pour le remplir dans le bassin et je leur ai jeté tout le contenu sur les pieds.


LE PÈRE MARTIN. - Ah ça ! Mais sais-tu bien que c'est très vilain, ce que tu as fait là ?


LA MERLETTE. - Pourquoi aussi m'ont-elles dit toutes sortes de méchancetés et m'ont-elles appelée mendiante et voleuse ?


LE PÈRE MARTIN. - Elles ont mal fait, j'en conviens, mais tu as fait encore plus mal. J'en suis fâché, bien fâché !


LA MERLETTE, pleurant. - Vous êtes fâché, père Martin ? alors je le suis aussi.


LE PÈRE MARTIN. - Je t'avais recommandé d'être sage.


LA MERLETTE. - C'est vrai, père Martin, J'ai bien du regret de ce que j'ai fait.


LE PÈRE MARTIN. - Allons ! je vais tâcher de faire ta paix avec Simonne.


     (Il sort avec la Merlette).

 


ACTE II

Le théâtre représente un bois.


SCÈNE I.


LA MERLETTE et LE PÈRE MARTIN, entrant.

 

LE PÈRE MARTIN, qui tient la Merlette par la main. - Allons ! n'aie pas peur. Je te dis que tu t'es trompée en croyant voir la Merluche hier soir.


LA MERLETTE. - Oh ! non, père Martin, je vous assure. C'était bien elle. J'ai reconnu sa voix lorsque, de son ton dolent, elle disait (elle imite la voix d'une vieille) : La charité, s'il vous plaît !


LE PÈRE MARTIN. - Dans tous les cas elle ne t'aura pas reconnue, elle. Sais-tu que tu es bien changée depuis trois mois que tu l'as quittée ! Tu ne ressembles plus du tout à la petite mendiante d'autrefois.


LA MERLETTE, d'un ton affectueux. - Je le sais bien, père Martin ; vous avez été si bon pour la pauvre Merlette. Mais c'est égal, voyez-vous, je ne peux pas m'empêcher de trembler. Je m'imagine que la méchante vieille serait bien aise de remettre la main sur moi. Si j'allais la rencontrer de nouveau !


LE PÈRE MARTIN. - Non, je te le répète, il n'y à pas de danger. Pourquoi voudrait-elle te reprendre ? Simonne est là d'ailleurs, qui ramasse du bois. Elle a beau n'avoir pas un aimable caractère, elle ne te laisserait pas faire de mal, maintenant que vous avez fait la paix.


LA MERLETTE, avec doute. - Oh ! la paix !


LE PÈRE MARTIN. - Est-ce que tu as peur avec elle aussi ?


LA MERLETTE. - Oh ! non, père Martin.


LE PÈRE MARTIN. - Eh bien, quand vous aurez fini vos fagots, vous reviendrez ensemble. Dépêchez-vous, car il ne fait pas chaud. À ce soir ! Tu verras que tu n'avais pas sujet de t'effrayer. (Il fait un signe d'amitié à la Merlette et sort).


LA MERLETTE. - Adieu, père Martin.



SCÈNE II.



LA MERLETTE, seule. - Il a beau dire, le père Martin, je ne me sens pas du tout rassurée. Je suis certaine que c'est la Merluche que j'ai vue hier soir,sur le banc du Calvaire. Oh ! s'il me fallait jamais retourner avec cette méchante femme, moi qui suis si heureuse depuis que je l'ai quittée. — Mais bah ! pourquoi m'effrayer ainsi d'avance ? Quand elle chercherait à s'emparer de nouveau de moi, je ne la laisserais pas faire. Je saurais bien lui échapper ; je ne suis pas si sotte que d'aller me remettre entre ses griffes. Chantons plutôt que de penser à elle ; cela vaudra mieux. (Elle chante, tout en ramassant dans son tablier du bois pour faire son fagot).


(Air : Un jour, un jour, je vous le dis).

Lorsque reviendra le printemps,
Quand fleurira la violette,
Quand dans nos bois, quand dans nos champs,
Luira la blanche pâquerette
Ma chanson sera plus joyeuse,
Et plus gais seront mes refrains,
On entendra ma voix rieuse
Éveiller les échos lointains.

     
C'est vrai qu'il ne fait pas bon ! J'ai les doigts tout transis. Allons finir mon fagot, là, à côté. (Elle sort).



SCÈNE III.



LA MERLUCHE, qui s'est montrée à plusieurs reprises au fond du théâtre, pendant la scène précédente, et qui a guetté le départ de la Merlette). - Ah ! tu sauras bien m'échapper, mignonne, à ce que tu dis ; c'est ce que nous verrons ! J'espère bien au contraire te forcer, de manière ou d'autre, à revenir avec moi. Croit-on que j'aurai gardé cette petite fille pour rien pendant si longtemps ? Grand-Gaucher a beau dire que ses parents sont morts ; ça n'est pas sûr du tout et je compte bien qu'ils me donneront une bonne somme d'argent pour la ravoir. (Elle regarde avec précaution dans la coulisse). C'est bien elle, hier je n'en étais pas sûre ; mais aujourd'hui, je la reconnais. (La Merlette chante le couplet précédent). Rien qu'à sa voix d'ailleurs, je ne m'y tromperais pas... Elle vient par ici ; cachons-nous. (Elle disparaît, mais se montre de temps en temps pendant la scène suivante).


SCÈNE IV.

LA MERLETTE, SIMONNE, derrière le théâtre.

 


LA MERLETTE, entrant avec un fagot. - Voilà qui est fait ! (À la cantonade) As-tu bientôt fini, Simonne ?


SIMONNE, du dehors. - Tout à l'heure.


LA MERLETTE. - À quoi t'amuses-tu donc ?


SIMONNE. - Qu'est-ce que cela le fait ?... Je cherche des morilles. J'en ai déjà trouvé une.


LA MERLETTE. - Ce n'est guère le moment de chercher des morilles. La journée s'avance ; il faudrait nous dépêcher.


SIMONNE. - Je ne suis pas pressée !


LA MERLETTE. - Dans une heure il fera nuit.


SIMONNE. - Cela m'est bien égal !


LA MERLETTE. - Nous ne retrouverons plus notre route ; les chemins sont mauvais.


SIMONNE. - Va-t'en toute seule si tu as peur de te perdre.


LA MERLETTE. - Tu sais bien que j'aimerais mieux partir avec toi.


SIMONNE. - Attends-moi alors.


LA MERLETTE. - Je ne demande pas mieux ; mais ne sois pas trop longtemps. Voilà le ciel qui se couvre ; j'ai peur qu'il ne tombe de la neige.


SIMONNE. - Bah, bah !


LA MERLETTE, regardant dans la coulisse. - Tiens ! la jolie petite bête ! Regarde-la donc, Simonne ! (Elle disparaît dans la coulisse).


SIMONNE. - Je m'en soucie bien ! (Arrivant avec son fagot). J'ai fini !


LA MERLETTE, derrière le théâtre. - C'est un écureuil ! Qu'il est gentil ! Oh ! si je pouvais l'attraper !


SIMONNE. - Oui ! Tâche ! (On entend un craquement). Qu'est-ce qu'il y a ?


LA MERLETTE, rentrant d'un air consterné et traînant après elle une branche d'arbre. - Vois donc, Simonne, le malheur qui m'est arrivé.


SIMONNE. - Eh bien ! merci ! tu ne te gènes guère ! Voilà les branches que tu ramasses ! C'est bon ! c'est bon ! Quand le garde verra le bel ouvrage que tu viens de faire, tu peux être sûre de ton compte !


LA MERLETTE, pleurant. - J'en suis bien fâchée ! bien fâchée ! Je ne l'ai pas fait exprès !


SIMONNE. - Ah ! oui ! pas exprès ! Je connais ça ; la branche est venue toute seule, n'est-ce pas ?


LA MERLETTE. - J'ai voulu seulement la baisser pour attraper l'écureuil ; elle s'est cassée.


SIMONNE. - Nous verrons comment le père Moulard prendra tes excuses.


LA MERLETTE. - Simonne, je t'en supplie, ne lui parle pas de cet accident. Peut-être ne s'en apercevra-t-il pas.


SIMONNE. - C'est cela, et s'il vient à le découvrir, c'est moi qu'on accusera et qu'on mettra en prison !


LA MERLETTE, avec terreur. - En prison ! Est ce qu'on va me mettre en prison pour une branche cassée ?


SIMONNE. - Bien sûr ! On en a mis en prison pour moins encore ! (À part) Faut-il qu'elle soit sotte, de s'imaginer cela.


LA MERLETTE, pleurant. - En prison !... Je t'assure, Simonne, que je suis bien fâchée de ce malheur. Simonne, je t'en supplie, ne me laisse pas aller en prison !


SIMONNE. - Tu t'expliqueras avec le père Moulard. Je l'ai aperçu tout à l'heure ; je vais l'avertir. Je n'ai pas envie qu'il s'imagine que c'est moi qui ai fait le coup.


LA MERLETTE, se laissant tomber sur son fagot. - En prison ! 0h mon Dieu !


SIMONNE, à part. - Est-elle assez nigaude, tout de même, de croire qu'on vous arrête pour si peu de chose !


LA MERLETTE. - Simonne, je t'en prie, ne m'abandonne pas !


SIMONNE. - Bon ! si tu te figures que je vais rester ici jusqu'à demain !... Bonsoir ! Je m'en vais. Si je rencontre le père Moulard, je te l'enverrai. (À part) Est-elle sotte ! elle est capable de rester là je ne sais combien de temps.



SCÈNE V.

LA MERLETTE, puis la MERLUCHE.



LA MERLETTE, seule et pleurant toujours assise sur son fagot. - Oh ! mon Dieu, que vais-je devenir ?... Je n'ose pas retourner à la maison, .. les gendarmes viendraient m'y arrêter... Si je reste ici, Simonne va envoyer le garde-chasse me prendre... Que faire ?... Et la nuit qui va venir ? Où aller ?... Ah ! je suis bien malheureuse !

     
(Elle cache sa tête dans ses mains et se met à pleurer. La Merluche est entrée sans être vue de la Merlette. Elle tire doucement le tablier de l'enfant, qui lève la tête avec inquiétude. Et, reconnaissant la Merluche, elle pousse un cri d'effroi et va pour s'enfuir. La Merluche retenant la Merlette par le bras d'un ton de douceur et de commisération).


LA MERLUCHE. - J'étais là, derrière cet arbre ; j'ai tout vu et tout entendu. Elle a raison la fille qui vient de partir. Si le garde t'empoigne, tu iras en prison, tu peux en être sûre !


LA MERLETTE, avec désespoir. - Est-il possible ?


LA MERLUCHE, tenant toujours la main de la Merlette. - C'est que les juges ne plaisantent pas ! Ils auront bientôt fait de l'enfermer pour six mois, un an peut-être... On n'est guère bien en prison, va ! J'en sais quelque chose ! Pour matelas on a la terre, pour nourriture du pain noir. Sans compter qu'ils ne sont pas tendres, les gendarmes !... Est-ce que tu veux aller avec eux, hein ?


LA MERLETTE, se tordant les mains. - Ah ! mon Dieu ! ah ! mon Dieu !





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