PIECES  DE  THEATRE  POUR  ENFANTS.

 
 

LA MERLETTE. - Je le crois bien ! Et puis il venait de temps en temps chez elle un homme nommé Grand-Gaucher. Il causait avec la Merluche quand ils me croyaient endormie. Tous deux buvaient ensemble et le lendemain la vieille était encore plus méchante que de coutume.


LE PÈRE MARTIN. - Et de quoi parlaient-ils ainsi ?


LA MERLETTE. - De toutes sortes de choses ; surtout de ce qu'ils appelaient des bons coups. Ah ! je sais bien ce qu'ils entendaient par là ! Quelquefois il était question entre eux d'incendie, d'une petite fille volée ; et, je ne saurais dire ce qui me fait penser cela, mais je me suis imaginé que cette petite fille, ce devait être moi.


LE PÈRE MARTIN. - Toi !


LA MERLETTE. - Oui ; mais peut-être me suis-je trompée.


LE PÈRE MARTIN, à part. - Pauvre enfant. (Après un silence).


LE PÈRE MARTIN. - As-tu encore faim ?


LA MERLETTE, avec hésitation. - Non merci, père Martin.


LE PÈRE MARTIN. - Voilà un non qui veut dire oui. Tu mangeras bien encore une tartine. (Il lui donne son pain).


.LA MERLETTE. - Mais, vous, père Martin ?


LE PÈRE MARTIN. - Je n'ai pas d'appétit ce matin. (À part) Pauvre chat ! j'ai trop de plaisir à lui voir satisfaire le sien. Je crois que ça ne lui arrive pas souvent. (La Merlette ayant fini de manger se lève et vient s'appuyer sur la chaise du père Martin. D'un ton pénétré).


.LA MERLETTE. - Vous êtes très bon, père Martin ; oui, vous êtes très bon et je voudrais bien être votre petite fille.


LE PÈRE MARTIN, essuyant ses yeux. - Ma petite fille..., tu es vraiment une gentille enfant et, je ne sais pas comment cela se fait, mais je t'aime aussi déjà.


LA MERLETTE, vivement. - Alors si vous m'aimez, père Martin, vous voulez bien me garder avec vous ?


LE PÈRE MARTIN. - Eh bien ! oui ; je te garde. Je suis bien pauvre, n'importe ! Le bon Dieu, qui t'a envoyée à moi, me donnera, je l'espère, les moyens de t'élever.


LA MERLETTE. - Oh ! merci, père Martin. Quel bonheur !


LE PÈRE MARTIN. - Écoute, j'ai à sortir. Il faut que j'aille chez monsieur Léry, qui m'a demandé. Tu seras sage en mon absence ?


LA MERLETTE. - Oui, père Martin.


LE PÈRE. MARTIN. - Je ne resterai pas longtemps dehors. Allons ! viens d'abord ici. (Il prend sa canne et l'approche de la Merlette, comme pour prendre sa mesure). C'est bon ! Serais-tu bien contente si je te rapportais un cadeau ?


LA MERLETTE. - Oh ! père Martin ! est-ce qu'on m'a jamais fait de cadeau, à moi ?


LE PÈRE MARTIN. - Eh bien ! si tu es sage, tu auras quelque chose.


LA MERLETTE. - Quelque chose ?...


LE PÈRE MARTIN. - Tu verras ! tu verras ! (Il sort après avoir embrassé la Merlette).



SCÈNE V.



LA MERLETTE, seule. - Qu'est-ce qu'il peut donc vouloir dire le père Martin avec son cadeau ? Oh non ! on ne m'a jamais fait de cadeau. Me rapporter quelque chose ! — Ça ne se peut pas ! — Pourtant ?... Qui sait ?... Bah ! il aura voulu rire !... Ah bien oui ! un cadeau ! Je n'ai pas besoin de cela pour être contente ! Maintenant que je suis la petite 'fille du père Martin, je n'ai plus rien à désirer. — Comme il est bon ! Oh ! je vais m'efforcer de devenir bonne aussi, afin de le rendre heureux. — Et pour commencer, si je nettoyais un peu la chambre ! Certainement c'est bien plus beau ici que chez la Merluche ; mais ça le serait encore davantage si c'était balayé. Où donc trouver un balai ? (Elle regarde autour d'elle). — Tiens ! mais voilà de quoi en faire un. (Elle prend de petites branches au fagot, qu'elle attache ensemble, tout en rangeant et en balayant). Me faire un cadeau !... Quelle idée ! Il y a pourtant bien des choses qui me feraient envie. Il a approché son bâton de mon épaule, comme cela ; pourquoi faire ?... Si c'était... (Elle, regarde sa robe). Oh non ! À quoi vais-je penser ?... D'ailleurs il regardait mes vieux chaussons tout troués. Ce sont plutôt des sabots. — Oh ! je serais bien contente d'avoir des sabots !... Mais peut-être que je me trompe encore et que ce ne sera rien du tout. Ah ! j'entends marcher. Déjà le père Martin.



SCÈNE VI.

LA MERLETTE, LE PÈRE MARTIN, entrant avec un
gros paquet et un panier.



LA MERLETTE, se précipitant au-devant de lui. - Ah! vous voilà, père Martin ; que je suis contente de vous revoir! (À part) Quel gros paquet !


LE PÈRE MARTIN, posant le paquet sur la table. - As-tu été bien sage ?

LA MERLETTE, suivant le paquet des yeux. - Mais oui, père Martin.


LE PÈRE MARTIN. - Qu'est-ce que tu as fait en mon absence ?


LA MERLETTE, de même. - Je ne sais pas, père Martin.


LE PÈRE MARTIN. - Comment, tu ne sais pas ?


LA MERLETTE. - Ah ! c'est-à-dire, si ; j'ai nettoyé la chambre.


LE PÈRE MARTIN. - Allons ! tu es une bonne fille. (Avec malice) Que regardes-tu donc ainsi ?


LA MERLETTE. - Rien, père Martin.


LE PÈRE MARTIN, de même. - Ce n'est pas ce paquet qui t'occupe au moins ? (La Merlette sourit sans répondre). Petite curieuse ! Tu voudrais bien savoir ce qu'il y a dedans. (La Merlette fait oui de la tête).


LE PÈRE MARTIN. - Tu t'imagines sans doute que c'est quelque chose pour toi ?


LA MERLETTE, piétinant d'impatience. - Oh ! père Martin !


LE PÈRE MARTIN. - Une robe peut-être ! Tu vas être bien attrapée !


LA MERLETTE, de même. - Oh ! père Martin, je vous en prie, dites, dites...


LE PÈRE MARTIN. - Attends ! attends ! Tu vas voir. (Il défait la ficelle). Bon ! un nœud !


LA MERLETTE. - Coupez, père Martin, coupez !


LE PÈRE MARTIN. - Comme tu y vas ! Un peu de calme. (Il dénoue la ficelle.)


LA MERLETTE, à part. - Ce ne sont pas des sabots ; le paquet est trop gros.(Haut) Vite, vite, père Martin ! Ah ! le nœud est défait !


LE PÈRE MARTIN. - Pas encore.


LA MERLETTE. - Que je voudrais voir !


LE PÈRE MARTIN. - Patience ! patience ! Cela viendra.


LA MERLETTE. - Oh pour le coup ! voilà qui est fait !


LE PÈRE MARTIN, tirant une robe du paquet. - Qu'est-ce que c'est que cela ?


LA MERLETTE, avec joie. - Une robe ! une robe pour moi !


LE PÈRE MARTIN, riant. - Et qui te dit que ce soit pour toi ?


LA MERLETTE. - Oh ! quelle est belle !


LE PÈRE MARTIN. - Tu trouves ?


LA MERLETTE. - Je crois bien. (En regardant dans le paquet). Il y a encore autre chose. (Tirant les objets à mesure). Des chemises ! et puis des sabots ! Oh ! les gentils petits sabots ! Comme ils sont noirs et luisants !


LE PÈRE MARTIN. - Tu es donc bien sûre que c'est pour toi ?

LA MERLETTE. - Oh ! père Martin ! oh ! père Martin. (Elle se jette dans les bras du père Martin).


LE PÈRE MARTIN. - Emporte tout cela chez la voisine, la bonne mère François. Tu la prieras de t'aider à mettre ta robe. C'est aujourd'hui dimanche ; je ne serais pas fâché de te voir quitter tes misérables habits.


     (La Merlette sort en courant et en emportant le paquet.)



SCÈNE VII.



LE PÈRE MARTIN, seul. - Oh ! Père Martin !... oh ! père Martin !... c'est tout ce qu'elle peut dire la pauvre petite. Est-elle contente ! Eh bien ! je ne suis pas fâché non plus. Cela va me donner du cœur à l'ouvrage de l'avoir adoptée. Autrefois il m'arrivait de temps en temps de caresser la bouteille. Avec ce que je dépensais au cabaret, j'aurai de quoi l'élever... Qui sait si elle n'a pas raison et si cette enfant volée dont ces misérables parlaient, ce n'est pas elle en effet. Il faudra que je consulte notre maire. Il fera faire les démarches nécessaires pour retrouver ses parents, si c'est possible. En attendant, j'ai eu une bonne idée d'engager la médaille d'or que j'ai reçue il y a deux ans, à propos de cet incendie ; c'est ce qui m'a permis de lui acheter des vêtements, et Dieu sait qu'elle en avait besoin !



SCÈNE VIII.

LE PÈRE MARTIN, LA MERLETTE, vêtue de sa
robe neuve.



LA MERLETTE, joyeusement. - Regardez, père Martin, regardez !


LE PÈRE MARTIN. - Ah, ah ! À la bonne heure !


LA MERLETTE. - Comme je suis belle ! n'est-ce pas ?


LE PÈRE MARTIN. - Le fait est que tu es plus gentille que dans tes haillons de tout à l'heure.

LA MERLETTE. - Voyez comme ma robe me va bien. Elle a l'air d'avoir été faite pour moi.


LE PÈRE MARTIN. - Mais oui.


LA MERLETTE. - Et les sabots ! Comme ils sont gentils ! Comme ils reluisent !


LE PÈRE MARTIN. - C'est vrai.


LA MERLETTE. - Quel plaisir d'être bien habillée ! Je voudrais savoir si maintenant on osera encore m'appeler mendiante, comme celte méchante Simonne l'a fait tout à l'heure.


LE PÈRE MARTIN. - Encore Simonne !


LA MERLETTE, prenant un seau. - Père Martin, je vais aller chercher de l'eau à la fontaine. La mère François m'a expliqué où c'était. (À part.) Je voudrais bien savoir quelle figure fera cette Simonne si elle me voit ?


LE PÈRE MARTIN. - Allons ! Va ! Sois sage et surtout ne t'attarde pas en route !


LA MERLETTE. - Non, père Martin.



SCÈNE IX.



LE PÈRE MARTIN, seul, regardant sortir la Merlette. - Drôle de petite fille. Elle est gentille tout de même ! J'ai bien fait de l'adopter. Je ne serai plus seul. J'aurai quelqu'un pour me tenir compagnie. (Il va prendre le panier, qu'il a déposé en entrant près de la porte). J'ai rapporté aussi quelques provisions, car le buffet était vide. Je ne sais pas si c'est la course que je viens de faire, mais je me sens en appétit. Quand la petite reviendra, nous mangerons un morceau. (Il étale sur la table les différents objets contenus dans le panier ; y posant une bouteille). Du cidre, maintenant ; plus de vin, c'est fini. Ma foi ! je ne m'en repens pas. (On entend des cris au dehors). Eh bien ! qu'est-ce que c'est ?



SCÈNE X.

LE PÈRE MARTIN, LA MERLETTE (paraissant à la
porte, les cheveux en désordre, le teint animé et dans
une grande agitation).



(Elle tient son seau vide, et regarde derrière elle, comme pour voir si elle a été suivie.)


LE PÈRE MARTIN. - Qu'y a-t-il donc ?


LA MERLETTE, d'une voix entrecoupée. - À la fontaine...


LE PÈRE MARTIN. - Eh bien ! Quoi ? À la fontaine ?


LA MERLETTE, de même. - Ce n'est pas moi qui ai commencé !...


LE PÈRE MARTIN. - Pas commencé, quoi ?


LA MERLETTE. - La dispute.


LE PÈRE MARTIN. - Il y a donc eu dispute ?





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