PIECES DE THEATRE POUR ENFANTS.
LE PETIT POUCET
COMÉDIE EN CINQ ACTES.
Eudoxie Dupuis
1893 - domaine public
PERSONNAGES.
LE BÛCHERON,
LA BÛCHERONNE,
L'OGRE,
L'OGRESSE,
LE PETIT POUCET,
ses frères : PIERROT,
CHARLOT,
LAMBINET,
JACQUOT, personnage muet,
JEANNOT, personnage muet,
SIMPLICE, personnage muet.
ACTE PREMIER.
Le théâtre représente la cabane du bûcheron. Au fond, une paillasse, sur laquelle sont étendus les enfants, excepté Poucet, qui est blotti derrière la chaise de son père. Le bûcheron et la bûcheronne causent au coin du feu. Ils ont une attitude triste. Le père se cache la figure dans ses mains ; la mère dans son tablier. Poucet les écoute, sans être vu.
SCÈNE I.
LE BÛCHERON, LA BÛCHERONNE,
POUCET caché.
LE BÛCHERON. - Qu'est-ce que tu veux, femme l Il faut nous résigner. Il nous est impossible de nourrir nos enfants plus longtemps. Nous n'avons plus un liard et ne possédons, pour toute provision, que la mesure de farine que voilà. Je ne peux pas me résoudre à les garder ici pour les voir mourir de faim sous nos yeux : je suis décidé à les conduire encore une fois au bois pour les perdre.
POUCET, à part. - Ah ! mon Dieu !
LA BÛCHERONNE. - Tu sais bien que tu as déjà essayé et que tu n'as pas réussi. Ils ont eu bientôt fait de retrouver le chemin de la maison, les chéris.
POUCET, à part. - Et j'espère bien qu'ils le retrouveront encore.
LE BÛCHERON. - C'est que je ne les avais pas menés assez loin ; mais demain je les conduirai dans un endroit d'où ils ne pourront revenir.
LA BÛCHERONNE. - Hélas, hélas ! les pauvres petits ! Pourras-tu bien mener tes propres enfants dans la forêt, pour qu'ils soient dévorés par les loups ?
POUCET, à part. - Ils ne se laisseront pas faire.
LE BÛCHERON. - Que veux-tu ? Crois-tu donc que je n'aimerais pas mieux les garder et leur faire faire bombance ? Mais tu vois bien toi-même qu'il n'y a pas moyen.
LA BÛCHERONNE. - Ah ! mon Dieu l mon Dieu ! que vont-ils devenir ? Il y a Pierrot, notre aîné, un si beau garçon ! et puis Chariot, Jeannot, Jacquot, Simplice, Lambinet ; ils sont bien gentils tous, et je les aime tant ! Notre dernier surtout, ce petit Poucet ! Il est si chétif, les loups n'en feront qu'une bouchée !
POUCET, à part et s'essuyant les yeux. - Pauvre maman !
LE BÛCHERON. - Quand tu continueras à te lamenter, à quoi ça avancera-t-il ? Tu ferais mieux d'aller leur faire du pain, avec ce restant de farine. Qu'ils aient au moins quelque chose à mettre sous la dent demain matin.
LA BÛCHERONNE. - Tu as raison. Eh bien ! toi, va me chercher dans le bois un fagot pour chauffer le four. Les pauvrets ! Quand je pense que c'est peut-être le dernier pain qu'ils mangeront !
(Ils sortent tous deux).
SCÈNE II.
POUCET, PIERROT, puis les autres enfants.
POUCET, allant réveiller Pierrot. Tout bas. - Allons ! Pierrot ! Lève-loi !
PIERROT, se frottant les yeux. - Eh bien ! Quoi ? Qu'y a-t-il ? (Il se lève).
POUCET. - Il y a que le père et la mère ne peuvent plus nous nourrir et qu'ils vont encore nous abandonner dans le bois.
PIERROT, pleurant. - Ah ! mon Dieu ! Ah ! mon Dieu !
POUCET. - Tais toi donc ! Tu vas réveiller les autres. Moi qui ne voulais en parler qu'à toi, parce que tu es l'aîné et le plus raisonnable.
(Pierrot continue de pleurer. Les enfants se réveillent et viennent se grouper autour de Poucet et de Pierrot).
CHARLOT et LAMBINET. - Qu'est-ce que c'est ? Qu'est-ce que c'est ? Pourquoi pleures-tu, Pierrot ?
PIERROT, pleurant toujours. - On va encore nous mener dans le bois et nous y laisser, comme l'autre jour.
LES ENFANTS, tirant leurs mouchoirs tous ensemble et se mettant à pleurer. - Hi ! hi ! Hi !
POUCET. - Avez-vous bientôt fini, imbéciles ! Puisque je vous ai ramenés une première fois, je vous ramènerai bien une seconde.
LES ENFANTS. - Oh ! Oui ; tu nous ramèneras, n'est-ce pas ?
POUCET. - Soyez donc tranquilles.
LES ENFANTS. - Bien sûr ? bien sûr ?
POUCET. - Eh ! oui ! Puisque je vous le dis ! Foi de Petit-Poucet !
(Les enfants essuient leurs yeux et remettent leurs mouchoirs dans leurs poches).
PIERROT. - Au fait, Poucet, tu ne nous as pas dit comment tu as fait, l'autre jour, pour retrouver la maison.
POUCET. - Ah voilà ! J'avais semé des petits cailloux blancs tout le long du chemin.
PIERROT. - Voyez-vous ça ! la bonne invention ! Eh bien ! il faudra faire la même chose demain.
POUCET. - C'est que je n'en ai plus de ces petits cailloux-là. Il faut chercher un autre moyen. (Après avoir réfléchi un instant). Ah ! J'ai trouvé ! Écoutez. La mère est allée faire du pain, afin de nous en donner à chacun un morceau avant notre départ...
LES ENFANTS, avec joie. - Du pain ! Quel bonheur !
POUCET, continuant. - Ayez bien soin chacun de ne pas en manger la mie ; vous me la donnerez et je la répandrai tout le long de la route, comme j'ai répandu l'autre jour les petits cailloux blancs. De cette manière, nous nous reconnaîtrons.
CHARLOT, grognant. - Tiens ! c'est amusant ! jeter notre pain ! Avec cela qu'on nous en donne déjà trop !
LAMBINET. - Charlot a raison ; moi non plus je ne jetterai pas mon pain. J'aime bien mieux le manger.
LES AUTRES. - Moi aussi ! moi aussi !
POUCET. - Ah ! Et aimez-vous mieux aussi rester dans le bois, vilains gourmands que vous êtes ?
(Les enfants continuent à grogner).
POUCET, continuant. - Quand la nuit sera venue et que les loups sortiront de leurs cachettes pour venir vous dévorer ?
CHARLOT, toujours grognant. - Mais nous aurons faim !
LAMBINET, de même. - Oui, nous aurons faim !
POUCET. - Eh bien ! vous aurez faim ! Le grand malheur ! Tenez, vous êtes tous des capons, puisque vous ne pouvez seulement pas vous priver d'une bouchée de pain ! Mais cela m'est égal ; si vous ne voulez pas m'en donner, de votre pain, je me servirai de ma part seulement.
PIERROT. - Je te donnerai du mien, Poucet.
POUCET. - À la bonne heure ! En voilà un au moins qui a du cœur ! À nous deux nous parviendrons à sauver les autres et à les ramener à la maison, quoiqu'ils ne méritent guère qu'on fasse quelque chose pour eux. (Se tournant vers ses autres frères :) Fi !... Allons dormir maintenant.
PIERROT, à part. - Ce Poucet, je ne sais pas comment il s'y prend, mais il a beau être le dernier et le plus petit de nous tous, et moi l'aîné et le plus grand, je lui obéis toujours !
ACTE II.
Le théâtre représente le chemin sur lequel donne la maison de l'ogre. - À cette maison, une porte et une lucarne. Derrière la lucarne, une lumière placée sur une table, à l'intérieur de la maison. (Il fait nuit).
SCÈNE I.
POUCET, puis tous ses FRÈRES, les uns après les autres.
POUCET, arrivant en ayant l'air de chercher son chemin et comme à tâtons. En apercevant ta lumière, il pousse un cri de joie. - La lumière ! la lumière ! La voilà enfin ! Y a-t-il assez longtemps que je la cherche, depuis que je l'ai aperçue du haut du grand arbre ! (À la cantonade). Eh ! dites-donc, les autres ! Voilà une maison. Allongez le pas et plus vite que ça !
(Les enfants arrivent l'un après l'autre, boitillant, geignant et pleurant).
POUCET. - Comptons maintenant s'ils y sont tous. On n'y voit goutte. Ah ! voilà Pierrot d'abord, je le reconnais à sa grande taille.
PIERROT. - Oui ; et ce petit, que je tiens par la main, c'est Simplice.
POUCET, à Simplice qui pleure. - . Ne pleure donc pas comme cela puisque nous sommes arrivés. Ne vois-tu pas la maison ? (En prenant un autre par le bras). Celui-là, quel est-il ?
PIERROT. - C'est le petit Jeannot.
POUCET, à Jeannot qui se presse contre lui. - Ne te colle donc pas ainsi contre moi !
PIERROT. - Il a peur ; il dit qu'il entend les loups qui hurlent là-bas dans le bois.
POUCET. - Eh ! non ; ce n'est que le bruit du vent dans les arbres. Où est Charlot ?
CHARLOT, grognant. - Me voici. Ah ça ! est-ce qu'on ne va pas bientôt y entrer dans cette maison ? Je suis transpercé jusqu'aux os...
POUCET. - Fi ! Charlot ! N'as-tu pas de honte ! Un grand garçon comme toi, qui devrais donner l'exemple aux petits !
CHARLOT. - Tiens ! J'ai faim, donc ! et puis j'ai froid !
POUCET. - Il nous manque encore Jacquot et Lambinet.
PIERROT. - Voici Jacquot.
JACQUOT. - Hi ! Hi ! Hi !
POUCET. - Ne pleure plus ; tu vas pouvoir te reposer. — Quant à Lambinet, il est dans les traînards, comme toujours. (À la cantonade). Allons donc, Lambinet !.., Pourvu qu'il ne lui soit rien arrivé !
CHARLOT. - Ça n'empêche pas que c'est Poucet qui est cause de tout cela.
TOUS, excepté Pierrot. - Oui, oui, c'est Poucet.
POUCET. - Comment ! Moi ?
CHARLOT. - Dame ! Tu avais promis de nous ramener à la maison, et tu ne l'as pas fait.
POUCET. - Ce n'est pas de ma faute, c'est bien plutôt de la vôtre. J'ai semé mon pain, jusqu'à la dernière miette, et un peu aussi de celui de Pierrot. Je n'avais pas pensé que les oiseaux le mangeraient. Si vous n'aviez pas dévoré tout le vôtre, comme des gloutons que vous êtes, nous en aurions répandu davantage, et il en serait peut être resté assez pour nous aider à retrouver notre chemin.
CHARLOT. - Si, c'est ta faute !
TOUS, excepté Pierrot. - Oui, oui. C'est vrai ! Charlot a raison !
PIERROT. - Eh bien ! voulez-vous que je vous dise, vous êtes tous des ingrats et des imbéciles. Qui est-ce qui est monté dans l'arbre, pour découvrir un chemin, pendant que vous étiez tous là à pleurer et à gémir, sans avoir seulement le courage de mettre un pied devant l'autre ? Qu'est-ce qui t'a ramassé, toi, Jacquot, quand tu as eu la maladresse de te laisser tomber ? Qui t'a pris par la main, toi, Jeannot, quand tu avais si grand peur ? Qui a découvert cette maison, où nous allons pouvoir passer la nuit, si l'on consent à nous y recevoir ? N'est-ce pas Poucet qui a fait tout cela ?
TOUS. - Oui, oui ! C'est vrai ! Pierrot a raison !
SIMPLICE. - Nous sommes bien fâchés d'avoir été si méchants. Ne nous abandonne pas, Poucet.
POUCET. - Soyez tranquilles. — Ah ! enfin ! ce n'est pas mal- heureux ! Voici Lambinet.
(Lambinet arrive en grognant).
POUCET. - Eh bien ! Qu'est-ce que tu as encore ?