PIECES DE THEATRE POUR ENFANTS.
SCÈNE II.
POUCET ET SES FRÈRES, L'OGRESSE.
L'OGRESSE, entrouvrant la porte et passant la tête. - Il me semble qu'on a frappé. Serait-ce déjà mon homme ? Oh ! non, il fait un bien autre vacarme. Qui peut venir par un temps pareil ? Il fait hoir comme dans un four... Qui est là ?
POUCET. - Madame, ce sont de petits garçons qui se sont perdus dans la forêt et qui demandent à souper et à coucher pour l'amour de Dieu.
L'OGRESSE, pleurant. - Ah ! mes pauvres petits ! Où êtes-vous venus ? Savez-vous que c'est ici la maison d'un ogre, qui mange les petits enfants ?
POUCET, tremblant. - Un ogre ! Ah ! mon Dieu !
(Ils se remettent à pleurer).
LES AUTRES. - Un ogre ! Un ogre !
L'OGRESSE. - Vous voyez bien que je ne peux pas vous recevoir.
POUCET. - Hélas ! madame l'ogresse, que ferons-nous si vous ne nous laissez pas entrer chez vous ? Les loups ne manqueront pas de nous dévorer cette nuit dans le bois, et nous aimons mieux que ce soit monsieur votre mari qui nous mange. Peut-être aura-t-il pitié de nous, si vous voulez bien l'en prier.
L'OGRESSE, ouvrant tout à fait la porte. - Entrez donc, mes petits amis, entrez. Je vais vous cacher cette nuit, et demain je tâcherai de vous faire sauver sans que mon mari s'en aperçoive. Venez d'abord vous chauffer et sécher vos habits. Les pauvrets ! ils sont tout trempés !
POUCET, faisant la révérence. - Vous êtes bien bonne. Merci, madame l'ogresse.
LES ENFANTS, de même. - Merci, madame l'ogresse.
(Ils entrent dans la maison).
ACTE III.
Le théâtre représente l'intérieur de la maison de L'OGRE. - Une porte avec une grosse serrure ; une autre porte conduisant dans l'intérieur de la maison. Une lucarne ; devant la lucarne, une table sur laquelle est placée la lumière. Cette table est très grande et recouverte d'un tapis tombant jusqu'à terre. Une cheminée avec du feu ; des chaises, des escabelles, etc.
SCÈNE I.
POUCET, L'OGRESSE, LES FRÈRES DE POUCET.
(Les enfants sont assis devant la cheminée et se chauffent).
L'OGRESSE. - Eh bien ! mes enfants, commencez-vous à vous sécher et à vous réchauffer un peu ?
POUCET. - Oh ! oui, madame l'ogresse ; nous vous remercions bien.
TOUS LES ENFANTS. - Nous vous remercions bien, madame l'ogresse.
L'OGRESSE. - Quand vous aurez bien chaud, je vous donnerai à manger.
LAMBINET. - À manger ! Quel bonheur !
L'OGRESSE. - Vous devez avoir grand' faim.
TOUS LES ENFANTS, excepté Poucet. - Oh ! oui, madame l'ogresse !
L'OGRESSE. - C'est qu'ils sont jolis jolis à croquer. Toi, petiot, qui as porté la parole pour les autres tout à l'heure, comment t'appelle-t-on ?
POUCET. - On m'appelle le petit Poucet.
L'OGRESSE. - Tu n'es pas bien grand, en effet ; mais tu m'as l'air joliment avisé et dégourdi.
PIERROT. - Oh ! c'est le plus jeune de nous ; mais il a plus d'esprit dans son petit doigt que nous tous ensemble. Sans lui nous serions encore à nous morfondre dans le bois.
L'OGRESSE, prêtant l'oreille. - Ah ! mon Dieu ! j'entends les pas de mon mari ! Vite, vite ! cachez-vous sous la table. Ne bougez pas surtout ! (Elle aide les enfants à se blottir sous la table et arrange le tapis).
SCÈNE II.
L'OGRE, dehors. L'OGRESSE, LES ENFANTS, cachés.
(L'ogre frappe à la porte).
L'OGRESSE, arrangeant toujours le tapis. - On y va ! on y va !
L'OGRE, frappant plus fort. - Vas-tu bientôt m'ouvrir ? Est-ce que tu t'imagines qu'il fait bon à attendre ainsi à la porte ?
L'OGRESSE. - Voilà ! voilà ! (Elle ouvre la porte).
L'OGRE, entrant. - Qu'est-ce que tu faisais donc ?
L'OGRESSE. - J'arrosais le mouton que tu m'as dit de mettre à la broche.
L'OGRE, ôtant son manteau. - C'est qu'il fait un temps !... Ah ! le souper est prêt ; tant mieux !... Le couvert est-il mis ?... As-tu tiré du vin ?
L'OGRESSE. - Oui, oui ; tout y est. Tu peux aller te mettre à table.
L'OGRE, allant et venant en reniflant à grand bruit. - Je sens la chair fraîche.
L'OGRESSE, tremblante. - La chair fraîche ? tu te trompes. (Vivement). C'est ce mouton qui rôtit à la cuisine. Il est à point ; tu le trouveras à ton goût.
L'OGRE, regardant de tous côtés et reniflant toujours. - Je te dis que je sens la chair fraîche ! Je m'y connais peut-être ! On me cache quelque chose !
L'OGRESSE, tremblant de plus en plus. - Mais non, je t'assure.
L'OGRE, continuant à chercher, lève le tapis de la table. - Ah ah ! Voilà comme on veut m'en faire accroire ! Tu mériterais que je te mangeasse à ton tour, méchante vieille, si tu n'étais pas si dure et si coriace ! (Il tire les enfants l'un après l'autre ; le dernier venu est Poucet). À la bonne heure ! voilà du gibier qui arrive fort à propos pour régaler trois ogres de mes amis qui doivent venir un de ces jours.
POUCET, se mettant à genoux devant l'ogre ; ses frères en font autant et forment une file derrière Poucet. Ils tirent tous leurs mouchoirs et se mettent à pleurer. - Faites-nous grâce, monsieur l'ogre. Je vous en prie, ne nous mangez pas. Nous ne vous avons pas fait de mal ; laissez-nous aller, s'il vous plaît.
L'OGRE. - Vous laisser aller ! Vraiment ce serait dommage car vous ferez tous de friands morceaux, quand on vous aura mis à une bonne sauce !
POUCET. - Je vous assure que vous vous trompez, monsieur l'ogre ; nous ne vaudrons rien du tout. Nous sommes tous bien maigres. Mes frères et moi nous ne mangeons que du pain sec, et un tout petit morceau encore. Nous n'avons que la peau et les os. Si vous vouliez bien attendre quelques jours, monsieur l'ogre, nous pourrions engraisser et nous deviendrions ainsi bien plus délicats à manger.
L'OGRE, tâtant le bras de Poucet. - Le fait est que tu es bien chétif ! Si les autres ne valent pas mieux que toi !... Tu as raison ; je vous garderai jusqu'à dimanche ; cela vaudra mieux. (À l'ogresse). Allons, femme, donne-leur à manger, et beaucoup, afin qu'ils engraissent plus vite. Ensuite tu les coucheras. (Il sort et rentre aussitôt). Avant de souper, il faut que j'ôte mes bottes. Ces bottes de sept lieues, c'est commode, mais c'est un peu fatigant. Femme, où sont mes pantoufles ?
L'OGRESSE, les lui apportant. - Les voilà.
L'OGRE. - À la bonne heure ! C'est moins lourd. (Il ôte ses bottes, les place sous la table oit elles sont cachées par le tapis et met ses pantoufles). Et maintenant, à table ! (Il sort).
SCÈNE III.
POUCET, L'OGRESSE, LES FRÈRES DE POUCET qui continuent à pleurer.
L'OGRESSE. - Allons ! allons ! mes enfants, consolez-vous ! Je vais toujours vous apporter à souper.
LAMBINET, essuyant ses yeux. - Ah ! c'est vrai ! on va nous donner à manger. L'ogre a dit qu'on nous en donne beaucoup. Nous allons bien nous régaler.
CHARLOT, grognant. - Est-il bête, ce petit-là, de se réjouir ! Il n'a pas l'air de se douter que nous serons mangés à notre tour.
POUCET. - Il n'est peut-être pas si bête que tu te l'imagines. Mange ! Tu ne l'es pas encore, et qui est-ce qui te dit que tu le seras ?
(L'ogresse rentre avec des assiettes pleines, elle en place une devant chaque enfant, leur noue une serviette sous le menton, puis va leur chercher à boire).
L'OGRESSE. - Tenez, mes pauvres chéris ; vous devez avoir bien faim. (Elle donne une assiette à Poucet).
POUCET. - Merci bien, madame l'ogresse.
TOUS LES ENFANTS. - Merci bien, madame l'ogresse.
POUCET. - Voulez-vous que je vous aide, madame l'ogresse ?
L'OGRESSE. - Volontiers, petit. (Poucet aide l'ogresse à servir ses frères ; il leur coupe du pain et leur verse à boire. À part). Il est tout à fait gentil, ce petiot ; comme il a soin de ses frères ! et pourtant il est plus jeune qu'eux tous. (À Poucet). Eh bien ! et toi, mon mignon, tu ne manges donc pas ?
POUCET. - C'est que je n'ai pas faim, madame l'ogresse ; et puis, il me semble toujours que votre mari va rentrer.
L'OGRESSE, riant. - Non, non ; sois tranquille ; il soupe et il n'est pas prêt d'avoir fini. Ensuite il se mettra à compter son argent et c'est une chose encore qui prendra du temps.
POUCET. - Est-ce qu'il a beaucoup d'argent, votre mari ?
L'OGRESSE. - Je crois bien ! Il a des tonneaux à la cave, qui en sont pleins jusqu'en haut, sans compter les sacs de pièces d'or.
POUCET. - Ah ! Vraiment !
LAMBINET, mangeant, à ses frères. - C'est joliment bon ce que l'ogresse nous a donné là !
CHARLOT. - On ne nous régalait pas comme cela chez nous !
PIERROT. - C'est possible, mais j'aimerais pourtant mieux y être.
L'OGRESSE, ôtant les assiettes. - Là, vous avez fini maintenant. Je vais vous faire un lit ; vous coucherez ici, de ce côté. De cet autre, je mettrai mes petites filles.
POUCET. - Ah ! vous avez des petites filles, madame l'ogresse ?
L'OGRESSE. - Oui ; elles soupent en ce moment avec leur père. J'en ai sept. Elles sont bien gentilles.
POUCET. - Sept ! Juste autant que nous autres !
L'OGRESSE, apportant deux matelas et deux couvertures. Elle étend les matelas en large de chaque côté de la chambre. Poucet l'aide à les placer et à faire les lits. - Je vais chercher mes filles à présent. (Elle apporte l'une après l'autre les sept petites ogresses, figurées par des mannequins habillés de blanc, avec des couronnes d'or sur la tête. Elle les met dans un des deux lits, les borde et les embrasse). Là ! dormez bien, mes petites chéries ! (Elle a donné à Poucet des bonnets de coton que celui-ci distribue à ses frères. Ils s'en coiffent pendant que l'ogresse s'occupe de ses filles. Aux enfants). Couchez-vous aussi maintenant, mes petits amis. Il est tard ; minuit vient de sonner à la grande horloge.
(Poucet et ses frères ôtent leurs souliers et s'étendent sur le matelas. Poucet est le premier en avant).
L'OGRESSE, étendant sur eux la couverture et les embrassant comme elle a fait pour ses filles. - Bonne nuit, mes enfants, dormez bien.
LES ENFANTS. - Bonne nuit, madame l'ogresse.
(L'ogresse sort en emportant la lumière).
SCÈNE IV.
POUCET ET SES FRÈRES, couchés.
Au bout d'un instant on entend les ronflements des enfants. Poucet se dresse sur son séant, il écoute ; puis, se levant avec précaution, il va au lit des petites filles, ôte la couronne d'or de la première et la remplace par son bonnet de colon ; puis il va mettre la couronne sur la tête d'un de ses frères, dont il enlevé le bonnet. Il répète cette opération jusqu'à ce que toutes les couronnes aient remplacé les bonnets de coton sur la tête, de ses frères. Il met lui-même la dernière. Puis il revient à son lit, reste quelque temps assis et semble réfléchir.
POUCET. - Ils dorment, eux ; mais moi je suis bien trop inquiet pour dormir. Si l'ogre allait se repentir de nous avoir laissés en vie ! C'est égal, maintenant que j'ai changé nos bonnets contre les couronnes des petites filles, je suis un peu plus tranquille. (Prêtant l'oreille). Mais qu'est-ce que j'entends ? On vient. Serait-ce ce vilain homme ? (Il se renfonce dans le lit et fait semblant de dormir).
SCÈNE V.
POUCET ET SES FRERES, L'OGRE.
L'OGRE, entrant, sans lumière. - Je n'ai pas dit bonsoir à mes petites filles ; il faut que je les embrasse. Je ne pourrais pas dormir sans ça. (Il se dirige en tâtonnant vers leur lit et tâte leurs têtes). Des bonnets de coton ! Tiens, voilà que je prends ma droite pour ma gauche. C'est que j'ai eu la main un peu lourde à souper ! J'allais embrasser ces petits malheureux ! (Il va à l'autre lit.). Bon, je sens les couronnes d'or. (Il embrasse les petits garçons.) Sont-elles mignonnes ! Oh voit bien que ce sont mes filles ! Bonne nuit, mes petits amours ! dormez bien ! (Regardant de l'autre côté). C'est égal ! c'est une mauvaise idée que j'ai eue de garder ces enfants-là ! Ils sont bien maigres, il est vrai, comme dit ce petiot, qui n'est pas plus haut que ma botte. C'est aussi ce que le petit poisson disait au pêcheur : Attendez à l'année prochaine. Mais le pêcheur n'eut garde d'écouter. Oui, oui ; j'ai eu tort. Il ne faut jamais remettre au lendemain ce qu'on peut faire la veille. Je vais revenir avec mon grand couteau. Seulement il est un peu ébréché, mon grand couteau ; il faut que je le passe sur la pierre à aiguiser pendant un bon quart d'heure. (Il sort).