PIECES  DE  THEATRE  POUR  ENFANTS.

 
 

SCÈNE VI.

POUCET ET SES FRÈRES.


POUCET, se glissant hors du lit, à Pierrot, son voisin. Bas. - Holà ! holà l Pierrot ; c'est assez dormir. Il faut nous sauver d'ici.

PIERROT, s'étirant. - Nous sauver !

POUCET. - Oui ; je n'ai pas le temps de t'expliquer pourquoi. Réveille les autres, sans faire de bruit.
     (Les enfants se réveillent en bâillant et en grognant).

LAMBINET. - Comment ! il faut se lever l Il n'est pas encore jour.

CHARLOT. - Ce Poucet-là ne peut pas seulement nous laisser dormir tranquilles...

LAMBINET. - J'étais si bien. Je rêvais que nous revenions à la maison avec beaucoup d'argent.

POUCET. - Taisez-vous, bavards, il ne faut pas qu'on vous entende..... Alors, y êtes-vous tous ?

PIERROT. - Oui.

POUCET. - Voyons cela. (Les enfants se rangent sur une ligne, Poucet les compte). Un, deux, trois, quatre, cinq, six et moi sept ! C'est cela.

CHARLOT. - Et nos souliers que nous oublions !

POUCET. - Laissez-les, vous feriez du bruit avec.


LAMBINET, pleurant. - Ainsi nous allons partir pieds nus ?

POUCET. - Sois tranquille. Vous aurez tous bientôt une fameuse chaussure... Vous êtes prêts ; suivez-moi et dépêchez-vous, car l'ogre est allé aiguiser son grand couteau ; il va revenir. (Il se dirige vers la porte, tous les enfants le suivent en se tenant l'un et l'autre par la jaquette. Poucet essaye d'ouvrir ta porte). Je ne peux pas atteindre la serrure ; essaye, toi, Pierrot, qui es plus grand. (Pierrot avec quelque peine parvient à ouvrir la porte).

POUCET. - Attendez un peu. (Il va prendre sous ta table, à la place où l'ogre à mis ses bottes, d'autres bottes plus petites ; à Pierrot). Écoute, Pierrot, tu vas mettre les bottes de l'ogre.

PIERROT. - Les bottes de l'ogre ! Où sont-elles ?

POUCET. - Les voilà.

PIERROT, les tâtant. - Celles-là ! Elles sont justes pour moi.

POUCET. - Ce sont bien les siennes pourtant ; mais tu sauras que ces bottes-là s'agrandissent ou se rapetissent selon la taille des personnes qui doivent les mettre.

PIERROT. - Comme c'est commode !

POUCET. - Eh bien donc ! tu vas commencer par les chausser, ces bottes. Elles le conduiront à la porte de chez nous. Quand tu seras là, tu nous attendras et tu diras aux bottes de revenir ici. Un autre de nous les mettra, il fera la même chose et ainsi de suite jusqu'au dernier.

PIERROT. - C'est là une fameuse manière de voyager !

LAMBINET. - Je vois bien que nous n'avons plus besoin de nos souliers.

POUCET. - Ah ! J'oubliais ! Avant de partir, ôtez tous les couronnes que vous avez sur la tète et donnez-les-moi.

PIERROT. - Tiens ! nous avions des couronnes ! (Ils les ôtent et les donnent à Poucet, qui les enfile à son bras).

POUCET. - Maintenant, Pierrot, mets les bottes et ne manque pas de nous les renvoyer.

PIERROT. - Sois tranquille. (Il enfile les bottes et sort).

POUCET. - En voilà un de parti !
     (À peine Pierrot a-t-il disparu que les bottes reparaissent à la porte).

TOUS. - Les bottes ! Voilà les bottes !

POUCET. - Qu'est-ce que je vous avais dit ? (À un de ses frères). Allons ! Jacquot, à ton tour ; et dépêche ! (Jacquot se chausse et part : les bottes reviennent aussitôt. Chaque fois que les bottes reparaissent, les enfants poussent une exclamation de joie. Poucet les aide l'un après l'autre jusqu'au départ de Lambinet).

POUCET. - Maintenant c'est à toi, Simplice. (Simplice met les bottes et part. À Charlot). Voilà les bottes, Charlot, mets-les vite, vite.

CHARLOT, grognant. - Tu n'as pas besoin de me dire ce que j'ai à faire. (Il disparaît).

POUCET, aidant Jeannot à mettre les bottes. - Allons, Jeannot, mon garçon, à .toi de faire le voyage.

JEANNOT, pleurant. - Hi ! Hi ! Hi !

POUCET. - Eh bien ! qu'est-ce qui te prend de pleurer ?

JEANNOT. - Hi ! Hi ! Hi !

POUCET. - L'ogre qui va revenir !

JEANNOT. - Ah ! (Il pousse un cri et part).

POUCET, riant. - Ah ! ah ! cela lui donne des jambes. Tâche que cela t'en donne aussi, Lambinet; il n'y a plus que toi. Hâte-toi, si c'est possible.
     (Lambinet part ; les bottes ne reviennent pas).


POUCET, au bout d'un instant. - Bon ! que lui est-il arrivé à celui-ci ? Je savais bien qu'il trouverait moyen d'être plus longtemps que les autres... Oui, mais je ne l'attends pas ici. Si l'ogre revenait avant que je ne fusse sorti ! Justement je l'entends. Ayons soin de fermer la porte à double tour en nous en allant ! (Il sort ; on entend le bruit de la clef qui tourne dans la serrure).



SCÈNE VII.


L'OGRE, entrant. - (Il tient un grand sabre d'une main et une lumière de l'autre. Il jette des regards tour à tour sur les deux lit). Comment ! le lit de mes petites filles est vide ! Est-ce qu'elles seraient déjà levées ? (Il s'approche de l'autre lit). Qu'est-ce que je vois ? Des figures qui ne ressemblent pas du tout à celles de mes garçons. (Se frappant te front). J'y suis ! Ils se sont sauvés, les petits misérables ! et en emportant les couronnes d'or de mes filles, par-dessus le marché !... Oui, oui ! courez, mes amis, j'aurai bientôt fait de vous rattraper avec mes bottes. (Il les cherche sous la table). Eh bien ! Que sont-elles devenues ? Je les ai mises là hier au soir ! (Il appelle). Hé ! ma femme ! ma femme !



SCÈNE VIII.

L'OGRE, L'OGRESSE.


L'OGRESSE, accourant. - Qu'est-ce que c'est ?

L'OGRE, en colère. - Mes bottes ? Où sont mes bottes ?

L'OGRESSE. - Je ne sais pas ; elles étaient là (montrant la table).

L'OGRE. - Eh oui ! C'est moi-même qui les y ai mises. (Se frappant le front). Je vois ce que c'est ! Ce sont ces petits gredins qui... (Il crie :) Au voleur ! au voleur !

L'OGRESSE. - Quels petits gredins ? Quels voleurs ?

L'OGRE. - Ces garçons d'hier au soir. Ne vois-tu pas qu'ils n'y sont plus. Ils ont pris de la poudre d'escampette.

L'OGRESSE, à part. - Ah ! tant mieux, les pauvres petits !

L'OGRE. - N'importe ! ils ne peuvent être bien loin d'ici : ils n'auront pas su se servir de mes bottes. J'en rattraperai toujours bien quelques-uns. Il y en a un surtout, le plus petit, pas plus haut que ça !... Si je mets la main dessus. (Il va à la porte). Eh bien ! où est la clef à présent ? (À sa femme). Femme, où est la clef ?

L'OGRESSE. - Je n'y ai pas touché. C'est toi qui as fermé la porte.

L'OGRE. - Je l'avais laissée sur la serrure. (Furieux). Ils l'ont encore prise ! Ah ! les bandits ! les vauriens ! nous voilà prisonniers !

L'OGRESSE. - Prisonniers ! Tu n'as qu'à forcer la porte.

L'OGRE, se moquant. - Ah oui ! une porte comme celle-là ! Essaye pour voir !... Nous sommes condamnés à rester là jusqu'à ce qu'on vienne à notre secours. Et rien dans le garde-manger !

L'OGRESSE. - C'est vrai ! Tu as dévoré ce mouton tout entier hier au soir.

L'OGRE. - Qu'allons-nous devenir ? (La toile tombe).



ACTE IV.

Même décor qu'à l'acte IV (La lumière a disparu).


SCÈNE I.

L'OGRE, à la lucarne, puis POUCET.


L'OGRE. - Voyons, si je n'apercevrai pas quelqu'un qui pourra venir me délivrer. J'en ai déjà assez d'être en prison. Et puis l'estomac commence à se faire sentir.

POUCET, arrivant, chaussé des bottes. Il porte toujours à son bras les couronnes. À part, sans voir l'ogre). - Quand je disais que ce Lambinet ne pouvait rien faire comme les autres ! J'ai cru que les bottes ne reviendraient jamais. Heureusement je les ai..... Mais, avant de partir, il faut que je cause un peu avec leur propriétaire. (Apercevant l'ogre). Ah ! justement il est à sa fenêtre ! Il prend le frais. (À l'ogre). Bonjour, monsieur l'ogre, comment vous portez-vous ?

L'OGRE. - Ah ! c'est toi, petit misérable ; rends-moi mes bottes, et ma clef et les couronnes d'or de mes filles que je vois à ton bras.

POUCET, très poliment. - Avec plaisir, monsieur l'ogre. Que payerez-vous pour cela ?


L'OGRE. - Payer l voleur ! Payer ce qui est à moi !

POUCET. - Pas de gros mots, monsieur l'ogre. Voyons, que me donnerez-vous ?

L'OGRE. - Rien du tout ! Vous serez bien heureux, tes frères et toi, que je vous pardonne et que je ne tire pas vengeance des tours que vous m'avez joués.

POUCET. - Ainsi, votre pardon, monsieur l'ogre, c'est tout ce que vous nous offrez ?

L'OGRE. - Oui ; et c'est déjà beaucoup.

POUCET. - Ce n'est pas assez pour moi, monsieur l'ogre.

L'OGRE. - Que te faut-il donc de plus, vaurien ?

POUCET. - On dit que vous avez beaucoup d'argent, monsieur l'ogre.

L'OGRE. - Qu'est-ce que cela te fait ?

POUCET. - Cela fait que je voudrais en avoir un peu.

L'OGRE. - Et combien te faut-il, petit voleur ?

POUCET. - Un sac plein d'or pour vos bottes, un autre pour votre clef, et un sac d'argent pour chacune des couronnes de vos filles. Vous voyez bien que je suis raisonnable.

L'OGRE. - Et tu t'imagines que je vais te donner tout cela, coquin !

POUCET, continuant. - Et encore, si je ne vous demande pas davantage, c'est à cause de votre femme, qui a été bonne et compatissante pour nous..

L'OGRE. - Oui, oui ! Prends-y garde ! Je vais t'acheter ce que tu m'as volé !

POUCET, faisant semblant de s'en aller. - Alors, adieu, monsieur l'ogre, quand je passerai par ici, je prendrai de vos nouvelles.


L'OGRE, vociférant. - Veux-tu bien ne pas t'en aller comme cela avec ce qui m'appartient, petit brigand !?

POUCET. - Il ne tient qu'à vous, monsieur l'ogre. Donnez-moi sept bourses d'argent, et je vous rends les sept couronnes d'or.

L'OGRESSE, derrière le théâtre. - Rachète-les bien vite ! Voici nos filles qui vont se réveiller. Si elles ne trouvent pas leurs couronnes, elles feront une belle vie ! Quand tu donnerais à ce garçon quelques sacs d'écus, il t'en restera encore bien assez ! Et puis veux-tu demeurer enfermé dans ta maison quand le garde-manger est vide ?

L'OGRE, grondant. - Il m'en restera encore assez ! Les femmes n'entendent rien aux affaires ! Encore assez ! (À part). Je sais bien qu'elle a raison. Si les petites se réveillent avant que leurs couronnes soient revenues, elles vont se mettre à pleurer. Et moi, je ne peux pas leur voir du chagrin. J'ai le cœur plus tendre qu'un poulet. Sans compter que mes filles, elles me ressemblent ; elles n'aiment guère à se passer de déjeuner. (Sortant la tête de la lucarne). Femme !

L'OGRESSE. - Eh bien quoi ?

L'OGRE. - Va chercher l'argent qu'il veut. (Se remettant à la lucarne. À Poucet). Allons, je vais te donner les sept bourses que tu demandes ; mais tu me rendras tout : les couronnes, les bottes et la clef.

POUCET. - Non pas, non pas, monsieur l'ogre ; les sept couronnes pour les sept bourses ; rien de plus. Si vous voulez le reste, vous savez nos conditions. (L'ogresse passe une bourse à son mari. L'ogre avance le bras hors de la lucarne, il tient la bourse et la montre à Poucet).

POUCET. - Donnez, donnez, monsieur l'ogre.

L'OGRE. - Allons, avance. (Il jette une bourse, Poucet lui tend une couronne. L'ogre s'empare de sa main et essaye de lui arracher toutes les couronnes. Poucet parvient à se dégager).

POUCET. - Ah ! monsieur l'ogre, c'est vilain ce que vous faites-là ! Vous vouliez m'attraper. Maintenant vous n'aurez plus rien que vous ne payiez d'avance. Donnez-moi les six autres bourses ; vous n'aurez vos couronnes qu'à cette condition.

L'OGRE. - Oui ; et quand tu auras l'argent, tu te sauveras avec les sacs et les couronnes.

POUCET. - Non. Foi de Petit-Poucet !

L'OGRE. - Allons ! Il faut en venir où il veut !
     (Il jette les bourses à Poucet qui lui lance les couronnes et qui ensuite enfile les sacs à une ficelle et les jette sur son épaule).
 




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