PIECES  DE  THEATRE  POUR  ENFANTS.

 
 
ENGUERRAND. - Certes, aimable suivante. Si chaud même que quelquefois nos casques d'acier fondaient sur nos têtes.

ISABELLE, hochant la tête d'un air de compassion. - Je m'en serais doutée.

ENGUERRAND. - À quoi ?

ISABELLE, d'un ton doctoral. - Messire, on dit aussi que des compresses froides sont excellentes dans certains cas où le soleil... Elle touche sa tempe du doigt.

ENGUERRAND, qui commence à comprendre qu'on se moque de lui. - Insolente ! Qu'entendez-vous par là ?

YOLANDE, voulant détourner la conversation. - Messire, je suis très touchée de votre présent. Il est fort beau.

ENGUERRAND. - Vous ne manquerez donc pas de m'accorder votre main, douce jouvencelle. Allons annoncer la nouvelle à votre père.

YOLANDE. - Une minute, Messire. D'autres chevaliers doivent aussi m'offrir des présents. Je suis donc tenue de les recevoir.

ENGUERRAND. - Recevez-les donc, mais je sais d'avance que c'est moi que vous choisirez. (Saluant). Au revoir, charmante beauté.

YOLANDE. - Au revoir, Messire. Enguerrand sort, non sans avoir jeté un regard noir à Isabelle.

ISABELLE, riant. - Quel vantard ! Je ne crois pas un mot de ce qu'il a dit. (Examinant la bague). Mais la bague est fort belle !

YOLANDE. - Je ne le crois pas non plus, mais tu ne dois pas te moquer des invités de mon père.


 
SCÈNE IV.

YOLANDE, ISABELLE, LE SIRE HUGUES DE BEAUZATOUR.

LE PAGE, annonçant. - Le Sire Hugues de Beauzatour. (Il sort et Hugues entre).

YOLANDE. - Bonjour, Messire.

HUGUES, d'une voix suave. - Gente Damoiselle, vous allez sourire. Car je sais ce qui plaît aux jeunes filles. Vous allez sourire. Et je vais vous épouser. (Il déploie une robe de soie). Car je vous apporte – regardez plutôt - une robe de soie brochée d'or et bordée de diamants. Y a-t-il au monde quelque chose de plus beau qu'une riche parure ?

YOLANDE. - Cette robe est fort belle, Messire, et je vous en remercie.

HUGUES. - Quoi, vous ne souriez pas ? Quoi ! la joie n'éclate pas sur votre visage ? Les diamants sont véritables, Damoiselle, et les broderies ont été faites par de très habiles ouvrières.

YOLANDE. - Je n'en doute pas, mais cette robe est trop riche pour moi.

HUGUES. - Rien n'est jamais trop riche. Je n'hésite jamais devant le prix d'une parure. Mes vêtements sont du tissu le plus fin et mes bijoux de l'or le plus pur. Quand vous serez mon épouse, vous aurez les robes les plus somptueuses, et les manteaux les plus finement brodés. Car vous m'accorderez votre main, n'est-ce pas ?

YOLANDE. - Nous verrons cela, Messire.

HUGUES. - À bientôt, Damoiselle. (Il salue et sort pendant qu'Isabelle va déposer la robe sur la table de droite).


 
SCÈNE V.

YOLANDE, ISABELLE, RAIMON LE TROUBADOUR.

LE PAGE, entrant. - Messire Raimon le Troubadour désire vous voir, Damoiselle. Car il est aussi de noble naissance.

ISABELLE, troublée. - Raimon le Troubadour !

YOLANDE. - Tu rougis, Isabelle ? Eh ! bien laissons le Troubadour tenter sa chance. Page, fais-le entrer. (Le page sort et Raimon entre. Il tient sa viole dans sa main. Il salue Yolande et met un genou en terre devant Isabelle).

RAIMON, à Isabelle. - Je vous salue, ô gente châtelaine !
Vos longs cheveux sont plus blonds que le miel
Le vent d'avril a votre douce haleine
Et vos grands yeux sont purs comme le ciel.

J'étais venu chanter sous vos fenêtres
Comme le font les errants troubadours
Et tout à coup, je vous vis apparaître
Sur les créneaux, parmi les hautes tours.

Vous aviez l'air d'une blanche statue
Tout l'or du soir brillait dans vos cheveux.
Alors, soudain, mes lèvres se sont tues
Tant votre image éblouissait mes yeux.

On dit partout qu'une sombre tristesse
A fait pâlir votre jeunesse en fleur.
Ah ! Damoiselle, en ces jours de liesse
Chantez la joie, et laissez-là vos pleurs.

Je ne suis rien qu'un poète qui passe
Et je ne puis vous offrir que mon cœur
Mais en échange, accordez-moi la grâce
De me sourire et de croire au bonheur.

ISABELLE. - Messire Troubadour, ce n'est pas à moi que vous deviez rendre un tel hommage. Je ne suis pas Damoiselle Yolande, mais seulement Isabelle, sa suivante.

RAIMON, à Isabelle. - Alors, je me suis donc trompé ? Mais c'est vous, Isabelle, que j'ai vue sur les remparts. C'est à vous que j'ai dédié ma chanson. (À Yolande). Damoiselle Yolande, pardonnez mon erreur. Isabelle est pure et claire comme un matin d'avril dans la montagne, c'est pourquoi elle a conquis mon cœur. Mais vous êtes belle aussi. Vous avez la beauté sévère et sombre d'une forêt de sapins sous les étoiles. Damoiselle Yolande, c'est pour vous maintenant que je vais chanter.
     (Il chante en s'accompagnant de sa viole. Air : Se Canto).

Dessus la montagne
L'est un vieux château.
Du fond des campagnes
On voit ses créneaux.

Je chante, je chante
Tout le long des jours
Mes hautes montagnes
Mes belles amours.

Dedans la tour sombre
Mon amie pleurait
Tristement dans l'ombre
Ses larmes coulaient.

Ma mie, ô ma mie
Ne pleurez donc pas
La terre est fleurie
Le printemps est là.

Là-haut sur les cimes
L’edelweiss fleurit.
Aux flancs des abîmes
Brillent les grands lis.

Je chante, je chante
Tout le long des jours
Mes hautes montagnes
Mes belles amours.

Damoiselle Yolande, j'ai donné mon cœur à Isabelle et je ne veux le lui reprendre. Mais dans celui de ma viole sont cachées mes chansons. Il y en a des centaines, blotties là comme des oiseaux. C'est mon bien le plus précieux au monde. (Il met un genou à terre devant Yolande et lui tend sa viole). Tenez ! Damoiselle, je vous l'offre contre un sourire de vos lèvres.

YOLANDE, d'une voix courroucée. - Tu m'as préféré Isabelle et c'est pour elle que tu as d'abord chanté. Voilà ce que je fais de ta viole, insolent troubadour ! Elle saisit la viole et la jette violemment sur le sol.

RAIMON, tristement, mais avec beaucoup de dignité. - Je vous ai offensée, Damoiselle, parce que j'ai donné mon cœur à Isabelle, et à vous seulement mes chansons. Je vous en demande pardon. (Gravement). Pourtant, c'était peut-être vous qui aviez la meilleure part... (Il salue les deux jeunes filles et sort, abandonnant sa viole brisée).


SCÈNE VI. YOLANDE, ISABELLE, puis GILLES DES TOURETTES.

ISABELLE, d'un ton de reproche. - Oh ! Vous avez brisé sa viole ! Pourquoi ? Il ne savait pas. Il avait cru...

YOLANDE. - Raimon te plaît, n'est-ce pas ?

ISABELLE. - Peut-être. Mais pourquoi le traiter avec tant de dureté ?

YOLANDE. - Chut ! On vient.

GILLES, entrant. - Alors, ma fille, avez-vous fait votre choix ? D'autres chevaliers viendront encore demain, mais parmi ceux que vous venez de recevoir, quelqu'un a-t-il su vous plaire ?

YOLANDE. - Oui, mon père, et j'ai choisi un époux.

GILLES. - Si vite ? Eh ! bien à la bonne heure ! Qui est donc l'heureux élu ?

YOLANDE, sur un ton de défi, regardant Isabelle. - C'est Raimon le Troubadour.

ISABELLE, navrée. - Oh !

GILLES. - J'eusse préféré pour vous un homme plus viril que ce racleur de viole. Mais il est de noble naissance et puisqu'il vous plaît...

YOLANDE, étonnée. - Quoi ? Vous ne faites aucune objection ?

GILLES. - Aucune, puisque vous l'avez choisi. (Railleur). J'espère qu'il a du moins une jolie voix !

YOLANDE. - Il chante à ravir et sera un époux charmant (Elle se rapproche d'Isabelle qui, pendant le dialogue précédent, a caché son visage dans ses mains. Elle entoure ses épaules de son bras et d'une voix soudain très douce). pour Isabelle ! 

GILLES. - Comment ?

YOLANDE, ramassant la viole et la tendant à Isabelle. - Tiens, va lui rendre sa viole. Il pourra peut-être encore la réparer. Dis-lui que je regrette mon geste de colère. Je suis quelquefois méchante, vois-tu, mais il ne faut pas m'en vouloir ! Va, Isabelle. Dis à Raimon que j'aimerais encore entendre ses chansons. Et que, pour cela, je désire qu'il t'épouse. Es-tu contente ?

ISABELLE, rayonnante de joie, lui baisant la main. - Ah ! merci, Damoiselle. Elle sort, emportant la viole aux cordes brisées.

GILLES, dans une explosion de colère. - Corbleu ! ma fille, vous moquez- vous de moi ?

YOLANDE, très calme. - Mon père, je ne veux pas me marier.

GILLES. - Ah ! c'est ainsi ? Eh ! bien, écoutez ce que je vais vous dire. (Il parle avec une grande fermeté). Si d'ici demain soir, vous n'avez pas choisi un époux, je jure, par les tours de mon château, que je vous marierai au dernier de mes serfs !

YOLANDE. Mais mon père...

GILLES. - Et je tiendrai mon serment ! (Il sort d'un air menaçant).


 
SCÈNE VII.

YOLANDE, ALAIN.

LE PAGE, entrant. - Damoiselle, un jeune homme est là qui désire vous offrir un présent.

YOLANDE. - Encore ! Eh ! bien, dis-lui qu'il entre. (Le page sort). Que va-t-il n'apporter celui-là ? Un anneau d'or ? ou une robe couleur de lune ?

ALAIN, entrant, un bouquet de lys rouges à la main. - Damoiselle, je vous apporte un bouquet de lys rouges.

YOLANDE, reculant brusquement. - Alain, c'est toi ? (Amèrement). Oh ! je comprends : tu as cru que j'allais me marier et tu m'apportes mon bouquet de noces ! Va, je sais pourquoi toutes les fleurs sont rouges ! (Violemment). Ah ! va-t'en, va-t'en ! Je ne me marierai jamais !


 



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