SCÈNE II.
LES MÊMES, ALAIN.
ALAIN, entre et met un genou en terre devant Yolande. - Damoiselle, rendez la liberté à mon père et j'irai vous en cueillir un bouquet.
YOLANDE. - Qui es-tu, jeune jouvenceau ?
ALAIN, se relevant. - Je me nomme Alain et suis le fils du bûcheron Jacquou que vos archers ont arrêté ce matin. Si je vous apporte un bouquet de ces fleurs, le libérerez-vous ?
YOLANDE. - Oh ! certainement. Il sera libre dès ce soir. Va vite me les prendre.
ALAIN, - Attendez. Il me faut une corde.
ISABELLE. - Alain, tu vas te tuer. Ignores-tu quel sort le Génie de la Montagne a jeté sur les lys rouges ? Ignores-tu ce qu'il est advenu aux téméraires qui ont essayé d'en cueillir ?
ALAIN. - C'étaient des maladroits. J'ai l'habitude d'escalader les rochers et je ne crains pas de Génie de la Montagne.
ISABELLE. - Il est plus fort que toi.
YOLANDE. - Mais, Isabelle, puisque Alain n'a pas peur !
ISABELLE, gravement, à Alain. - Tu ne vas pas te rompre les os pour un caprice de notre Damoiselle. Allons, rentre chez toi. Songe à ta mère.
ALAIN, grave. - C'est à mon père que je songe. (Brusquement). Et puis, laisse-moi tranquille ! Je suis agile et vigoureux et il n'y a aucun danger. Je cours à ma cabane chercher une corde. Attendez-moi, Damoiselle... Il se dirige vers la sortie.
ISABELLE, essayant de le retenir. - Alain, écoute...
ALAIN, rudement. - Je t'ai dit de me laisser en paix. Me prends-tu pour un petit enfant ? Je n'ai peur de rien ni de personne. (Sortant). Je reviendrai dans un instant, Damoiselle, et vous aurez votre bouquet.
SCÈNE II.
YOLANDE, ISABELLE.
ISABELLE. - Écoutez, j'aime mieux m'en aller. Je ne peux pas voir une telle chose. Il m'a répondu avec insolence, mais tout de même...
YOLANDE. - C'est cela, Isabelle. Va dire à Thibault de seller les chevaux. Dès que j'aurai les fleurs, je vous rejoindrai. (Regardant vers la coulisse). Ah ! voilà Alain qui revient !
ISABELLE, suppliante. - Damoiselle, renoncez à ce téméraire projet !
YOLANDE, impatientée. - Mais puisqu'il a dit qu'il n'y avait pas de danger !
ISABELLE. - C'est bon. J'aime mieux m'en aller. Le ciel le protège ! (Elle sort).
YOLANDE, seule. - Ah ! le voici. Quel bonheur ! (Ravie). Je vais avoir un bouquet de lys rouges !
RIDEAU.
ACTE III.
DÉCOR. - Même décor qu'au premier acte. Au lever du rideau, Yolande est assise dans le grand fauteuil et Isabelle sur le tabouret.
SCÈNE PREMIÈRE.
YOLANDE, ISABELLE.
ISABELLE. - Damoiselle, quelle robe mettrez-vous demain pour le festin ?
YOLANDE, d'une voix sombre. - Je n'irai pas au festin, Isabelle.
ISABELLE. - Comment ? Votre père offre un grand festin suivi d'un tournoi pour fêter son retour heureux de la Croisade et vous n'y assisterez pas ? :
OLANDE. - Non. Je n'irai pas davantage au tournoi.
ISABELLE. - Ah ! Damoiselle, je ne comprends pas pourquoi vous êtes d'une humeur si sombre. Votre père s'en irrite. Vous qui aviez tant souhaité son retour, semblez maintenant dévorée par je ne sais quel chagrin secret. Le château est en plein remue-ménage. Tout le monde s'active aux préparatifs de la fête. Et vous, qui devriez diriger tout cela, vous restez dans un coin triste et mélancolique.
YOLANDE, d'un ton las. - Eh ! bien, respecte ma tristesse et laisse-moi.
ISABELLE, confidentiellement. - Écoutez, Damoiselle : un jeune troubadour est arrivé hier soir. Il est très beau. Il s'appelle Raimon. Je lai entendu jouer sous ma fenêtre. Il a une voix ravissante et sait de si belles chansons ! Voulez-vous que je l'appelle ? Il dissipera votre tristesse en un instant.
YOLANDE. - Je ne désire ni le voir, ni l'entendre.
ISABELLE. - Alors, montez avec moi au sommet des remparts. Tous les sentiers de la montagne fourmillent de monde. Nous admirerons les brillants équipages des invités de votre père qui arrivent de plus en plus nombreux. Vous savez qu'il a convié la fleur de la Chevalerie et...
YOLANDE. - Non. Je n'irai pas sur les remparts, surtout pas aujourd'hui.
ISABELLE. - Mais pourquoi ?
YOLANDE, amèrement. - Ah ! Isabelle, comme tu as la mémoire courte ! As-tu oublié qu'il y a un an aujourd'hui nous étions parties ensemble pour cueillir des fleurs dans la montagne et qu'Alain...
ISABELLE, l'interrompant vivement. - Ah ! non ! Vous n'allez pas me parler encore de ce jeune fou. Il a voulu braver le Génie de la Montagne et celui-ci s'est vengé.
YOLANDE. - Il est tombé dans l’abîme sous mes yeux, Isabelle !
ISABELLE. - C'était un présomptueux. Il croyait réussir là où tout le monde avait échoué. Il n'a pas écouté mes conseils.
YOLANDE. - Mais c'est ma faute !
ISABELLE. - Ah ! mais non ! Rappelez-vous avec quelle arrogance il m'a répondu. D'ailleurs vous avez fait libérer son père le soir même et vous lui avez offert une bourse pleine d'or. Vous lui avez fait construire une chaumière neuve et lui et sa femme vous couvrent de bénédictions.
YOLANDE. - Ils ne savent pas...
ISABELLE. - Personne ne sait. Ils croient que leur fils s'est enfui pour rejoindre les armées du Roi comme il en avait souvent manifesté l'intention. Oubliez donc tout cela.
YOLANDE. - Ah ! comment pourrais-je oublier ? Isabelle, je l'ai vu rouler dans le gouffre et les rochers se sont teints de son sang.
ISABELLE. - Oubliez !
YOLANDE. - Et chaque goutte de sang s'est épanouie en une large corolle de lys rouge qui se balançait sur l'abîme.
ISABELLE. - Vous avez rêvé.
YOLANDE. - Non. Je l'ai vu. Ces fleurs se sont fanées, mais le vent a emporté leurs graines. Il les a semées dans les trous des rochers, dans les fentes des parois inaccessibles. Elles y ont germé. Et cette année, tous les précipices de la montagne sont tapissés de lis rouges.
ISABELLE. - Et qu'y pouvons-nous faire ?
YOLANDE. - Je ne puis sortir sans les voir. Ah ! Le Génie de la Montagne me poursuit de sa colère ! Tu voulais que je monte sur les remparts Isabelle. Toi tu admirerais peut-être les chevaliers défilant, bannière au vent, par les sentiers de la montagne. Mais ce que je verrais, moi, c'est à perte de vue, des taches éclatantes brillant sous le soleil de juin : des lys rouges..., des lys rouges... des lys rouges !...
ISABELLE. - Il faut bien les laisser puisque personne ne peut les cueillir.
YOLANDE. - Alors, laisse-moi ma tristesse.
ISABELLE. - Mais encore une fois.
SCÈNE II.
Les MÊMES, LE SIRE GILLES DES TOURETTES.
GILLES DES TOURETTES. - Eh ! bien, ma fille, est-ce ainsi que vous vous préoccupez de nos invités ? Vous êtes là, rêvassant dans un coin alors qu'il y aurait pour vous bien d'autre besogne.
YOLANDE. - Mon père, je suis lasse.
GILLES. - Eh ! je le sais bien ! Vous le répétez à longueur de journée. Les plus célèbres médecins n'ont rien compris à votre langueur. Je vous ai quittée vive et gaie comme un oiseau et je vous retrouve dolente et languissante, rongée par je ne sais quelles noires idées.
YOLANDE. - Ce n'est pas ma faute.
GILLES. - Mais vous ne faites rien pour sortir de cette mélancolie. Aussi je crois avoir trouvé un bon remède. Parfaitement : je vais vous marier.
YOLANDE, stupéfaite. - Moi ?
GILLES. - Vous-même. Sans doute vous ennuyez-vous dans ce château au milieu de nos montagnes sévères. Mais j'ai invité de jeunes chevaliers de noble lignée. Vous ferez votre choix parmi eux. L'heureux élu vous prendra pour épouse et vous emmènera dans un château plus riant.
YOLANDE. - Mais je ne veux pas me marier !
GILLES. - Vous avez dix-sept ans, ma fille. D'ailleurs ces jeunes seigneurs connaissent votre mélancolie. Ils vous apportent des présents susceptibles de la guérir. J'ai promis votre main à celui qui sera capable de vous faire sourire.
YOLANDE, avec véhémence. - Mais, mon père, je ne veux pas !
GILLES, fermement. - C'est ma volonté. Choisissez celui que vous voudrez. Je vous laisse libre. D'ailleurs certains sont arrivés déjà et désirent vous offrir leurs présents. Je vais vous les envoyer. Faites-leur bon visage. Il sort.
YOLANDE, navrée. - Oh ! Isabelle !
ISABELLE. - Laissez-les donc venir. Cela vous fera toujours une distraction !
SCÈNE III.
YOLANDE, ISABELLE, LE SIRE ENGUERRAND DE FIERABRAS.
LE PAGE, annonçant. - Le Sire Enguerrand de Fierabras.
YOLANDE. - Soit, qu'il entre. (Le page sort et Enguerrand fait son entrée). Soyez le bienvenu, Messire.
ENGUERRAND, dans une posture avantageuse et d'une voix claironnante. - Damoiselle, mon nom ne vous est certainement pas inconnu. L'écho de mes exploits a dû franchir des barrières plus hautes que ces montagnes. Je reviens de Terre Sainte où ma vaillante épée a trucidé huit-mille-six-cent-quatre-vingt-quatorze Sarrazins, Turcs, Maures, mécréants et infidèles, sans compter leurs esclaves et leurs nombreux serviteurs. (Il brandit son épée d'un air menaçant, au grand effroi d'Isabelle).
YOLANDE, ironique. - Voilà des exploits remarquables, en effet.
ENGUERRAND. - Toutefois comme votre gracieuse image me poursuivait dans ces lointaines contrées, j'ai voulu conquérir pour vous un trésor inestimable.
YOLANDE. - Pour moi ? Vous me connaissiez donc ?
ENGUERRAND. - J'avais entendu vanter votre beauté par maint troubadour. Aussi j'ai l'honneur de vous offrir cette bague qui a appartenu à la Reine d’Égypte. Je l'ai conquise à la pointe de mon épée. Elle était cachée dans un antre gardé par deux dragons vomissant des flammes.
YOLANDE, prenant la bague. - Je vous en remercie.
ISABELLE. - Messire, on dit que le soleil de ces pays lointains est très chaud. Est-ce vrai ?