PIECES DE THEATRE POUR ENFANTS.
SCÈNE XIV.
PAUL, seul et riant. - Bon ! le voilà qui prend ses jambes à son cou ! Cours, mon garçon, cours ! Va le chercher ton bateau.... En va-t-il faire une figure quand il ne le trouvera plus !... C'est égal ! il est plus poltron que je ne le croyais. Prendre un pauvre âne, qui paît bien tranquillement, pour une bête féroce. Comme cela se trouve bien qu'on ait eu l'idée de mettre cet aliboron au vert de ce côté aujourd'hui ! Il ne se doute guère, le paisible animal, de la frayeur qu'il cause l Lucien revient : cachons-nous de nouveau.
SCÈNE XV.
LUCIEN, seul, pâle, l'air consterné et balbutiant. - Mon bateau !... Il n'y est plus !... Qu'a-t-il pu devenir ?... Je l'avais pourtant bien attaché, comment se peut-il qu'il ait disparu ? Que faire ? Plus moyen de sortir d'ici ! (Il s'assied et se cache la figure dans ses mains. Après un instant de silence). Ainsi me voilà forcé de rester toute ma vie dans cette île, en compagnie de ce méchant Vendredi, et condamné à mourir de faim ou bien à être dévoré par les bêtes féroces !.... Et celle de tantôt qui est toujours là ! Elle a poussé un cri tout à l'heure !... On aurait dit le rugissement d'un lion ! Où me cacher ? Il n'y a pas la moindre caverne aux environs. (S'interrompant et poussant un cri). Ah ! il me semble l'avoir encore entendue... Non... ce n'est rien. (Pleurant). Comment ai-je eu l'idée de quitter papa et maman et ma petite sœur Berthe pour venir dans cette île ! Avec cela qu'on y est bien ! Sans compter que je commence à avoir terriblement faim !.... Cette chère petite Berthe ! Est-ce que je ne la verrai plus jamais ?... Est-ce que je ne verrai plus papa et maman, qui étaient si bons, qui m'aimaient tant !
SCÈNE XVI.
LUCIEN, PAUL.
(Paul est arrivé pendant les dernières phrases de la scène précédente et s'est tenu silencieux derrière Lucien. Tout à coup il se met à pleurer bruyamment).
LUCIEN, essuyant ses yeux. - Qu'est-ce que tu as à pleurer, toi ?
PAUL, se frottant les yeux et faisant toujours semblant de pleurer. - Moi pleurer parce que maître pleurer.
LUCIEN. - Imbécile !
PAUL, de même. - Moi pas si imbécile. Si Tre-fenne-di avait eu papa, maman et petite sœur mignonne, lui les aurait bien aimés, lui jamais vouloir les quitter et toujours rester avec eux. Mais pauvre Tre-fenne-di être seul au monde.
LUCIEN. - Il n'y avait pas que papa et maman et ma petite sœur Berthe, il y avait encore monsieur Tapin.
PAUL. - Qui être monsieur Tapin ?
LUCIEN. - C'est mon professeur.
PAUL. - Celui qui apprendre à devenir savant ? Oh ! si pauvre Tre-fenne-di avoir un maître pour enseigner à lui quelque chose, lui bien content ; lui devenir un gros monsieur ; mais petit Tre-fenne-di être toujours esclave, parce que li toujours ignorant. (Changeant de ton). Seulement li sera pas longtemps maintenant, car être bientôt mangé et maître aussi.
LUCIEN, avec désespoir. - Mangé !
PAUL. - La bêle dormir maintenant, mais elle bientôt se réveiller. Moi voudrais partir d'ici avec un bateau.
LUCIEN. - Un bateau ! J'en avais un. Il a disparu.
PAUL, avec résignation. - Être mangés tous deux alors.
LUCIEN. - Comme il dit cela !... Ah ! oui, si j'avais un bateau, je ne resterais pas une minute de plus dans cette île maudite. Je retournerais bien vite chez nous, pour revoir tous ceux que j'aime, et monsieur Tapin par-dessus le marché. Qu'est-ce que je ne donnerais pas pour me retrouver en face de lui et pour lui réciter ma grammaire latine !
PAUL, de sa voix habituelle. - Rien n'est plus aisé.
LUCIEN, étonné et se retournant vivement. - Hein ! qui a parlé ?
PAUL. - C'est moi.
LUCIEN. - Comment toi ?
PAUL. - Oui. Je dis que si tu veux revoir monsieur Tapin, c'est très facile.
LUCIEN, stupéfait. - Eh bien ! Il ne parle correctement à présent ! Ah ça qui donc es-tu ?
PAUL. - Karamitchitchitototatapouf.
LUCIEN. - Voyons ! Ne me fais pas aller plus longtemps. Qui es-tu ?
PAUL. - Tu le sauras tout à ! heure. As-tu bien envie de revenir à la maison ?
LUCIEN. - Cette demande !
PAUL. - En as-tu assez de ton existence de Robinson ?
LUCIEN. - Je le crois bien ; je ne tiens pas à passer la nuit en compagnie des bêtes féroces.
PAUL. - Es-tu décidé à travailler de façon à contenter monsieur Tapin ?
LUCIEN. - J'aime encore mieux cela que de mourir de faim ou bien d'être dévoré.... Mais il n'y a pas moyen de sortir d'ici, puisque mon bateau n'y est plus.
PAUL. - Il y a le mien.
LUCIEN. - Le tien ?
PAUL. - Oui, le mien, qui est là-bas, à l'autre bout de l'île, et dans lequel tu trouveras des personnes de connaissance.
LUCIEN. - Quelles personnes ?... Mais toi-même, encore une fois, qui donc es-tu ?
PAUL. - Tu ne t'en doutes pas ? (Il ôte son masque).
LUCIEN. - Paul ! mon cousin Paul ! C'est toi qui étais Vendredi ! Comment as-tu fait pour me découvrir ?
PAUL. - Oh ! ce n'a pas été bien difficile. Je savais que tu mourais d'envie de jouer au Robinson, et j'étais sûr que tu avais choisi cette île, que nous avions parfois contemplée ensemble du rivage, pour le lieu de ta retraite. Je l'ai dit à mon oncle et à ma tante ; nous avons pris un bateau, et nous voilà.
LUCIEN. - Ainsi ces personnes de connaissance...
PAUL. - Tu devines qui c'est ?
LUCIEN. - Papa et maman... Ils vont bien me gronder.
PAUL. - Non ; ils penseront que tu es assez puni et que tu ne seras plus tenté de recommencer pareille escapade.
LUCIEN. - Ah ! c'est bien vrai. J'ai eu trop peur. (Avec effroi). Et la bête ?
PAUL. - L'âne ?
LUCIEN. - C'était un âne !... Tu t'es joliment moqué de moi.
PAUL. - M'en veux-tu beaucoup ?
LUCIEN. - Non, car franchement je commençais à être un peu las de mon île déserte. Voici la huit qui arrive et j'aime autant la passer à là maison qu'à la belle étoile.
LUCIEN (chantant). -
Air : Ma Normandie.
Pendant un jour, de Robinson
Vous m'avez vu mener la vie.
De quitter encor la maison
Je ne ferai plus la folie.
Oui, c'est charmant d'être son maître
Lorsque l'on a barbe au menton.
D'ici là je ne veux plus l'être.
C'est bien assez d'une leçon !
RIDEAU
INDICATIONS POUR LA MISE EN SCÈNE
LE NOUVEAU ROBINSON
Le théâtre représente la campagne. Deux entrées. À la rigueur, une peut suffire. Le paravent sera replié de manière à former un petit renfoncement où Lucien doit cacher ses provisions.
Costumes.
LUCIEN. — Costume d'écolier. Au dos, gibecière à livres. Il porte en outre une arbalète et des flèches.
PAUL. — Déguisé. Masque noir. Perruque faite avec du drap imitant l'astrakan. Manches en tricot et bas noirs, afin de ne pas être forcé de se noircir les bras et les jambes. Pantalon court et veste en calicot blanc ou bien rayé bleu et blanc.
Accessoires.