PIECES  DE  THEATRE  POUR  ENFANTS.

 
 

PAUL. - Karamitchitchitototatapouf comprend très bien ; lui toujours travailler et vous toujours vous reposer.

LUCIEN. - Naturellement, puisque je suis le maître... Eh bien ! Consens-tu ?


PAUL. - Pauvre noir pas pouvoir faire autrement : il a faim.

LUCIEN, allant chercher la seconde moitié de son pain. - Je vais te donner à manger. Tu auras, pour toi tout seul, la moitié de ce morceau de pain-là. J'espère que tu seras content.

PAUL. - Karamitchitchitototatapouf pouvoir bien manger tout.

LUCIEN. - Merci ! comme tu y vas ! (Il coupe le pain et en donne la moitié à Paul).

PAUL. - C'est que Karamitchitchitototatapouf a bien faim.


LUCIEN. - Ah ça ! mais tu es ennuyeux avec ton nom qui n'en finit pas ! Je vais t'en donner un autre. Dorénavant tu ne t'appelleras plus Kara... ra... ra... je ne sais quoi, tu t'appelleras Vendredi Je devrais te nommer lundi, puisque nous sommes au premier jour de la semaine. N'importe l j'aime mieux Vendredi. Que dis tu de ce nom-là ?

PAUL. essayant de le prononcer. - Être bien long et bien difficile !.... Faine-terre-ti !

LUCIEN. - Cela ne fait rien ! Ce sera le tien. Donc, Vendredi, je je t'ordonne de faire du feu. Tu dois savoir faire du feu ! Voilà les deux bâtons ; frotte jusqu'à ce qu'ils s'allument.

PAUL. - Oh ! Karamitchitchitototatapouf avoir un moyen bien plus commode ! (Il tire une boîte d'allumettes de sa poche et en frotte une). Voilà la manière dont faire du fou dans le pays de Karamitchitchitototatapouf.

LUCIEN, avec impatience. - Dis donc Vendredi !

PAUL. - Oh ! être si difficile !... Tre-fenne-di.

LUCIEN. - Ce n'est pas malin du tout au contraire. (Répétant). Vendredi ! Vendredi !... Ainsi tu as des allumettes !.... On connaît donc les allumettes dans ton pays ?

PAUL, avec importance. - Dans le pays du petit noir, tout connaître !

LUCIEN. - Eh bien ! fais vite du feu pour mettre à cuire les pommes de terre. Sais-tu ce que c'est que des pommes de terre ?

PAUL. - Petit noir bien connaître et aimer beaucoup.

LUCIEN. - Dépêche-toi alors.

PAUL. - Aller faire le feu là-bas ; être bien mieux.

LUCIEN. - Comme tu voudras..
     (Paul sort en emportant les pommes de terre et le bois).



SCÈNE V.


LUCIEN, seul. - En voilà une aventure ! Un noir !... Est-il drôle avec sa tête laineuse et son baragouin. Et ce nom Ka rara kara kara.... chitchi.. etc., etc., pouf ! Comme c'est heureux pour moi que cette tempête l'ait justement envoyé dans mon île. Car tout n'est pas rose dans le métier de Robinson ! Il y a des choses qui ne sont pas du tout amusantes à faire. Mais maintenant que j'ai un domestique !... C'est moi qui irai à la chasse ou à la pêche, et pendant ce temps-là, Vendredi fera le reste de la besogne. (Tout en parlant, il a tiré ses billes de sa poche et s'est mis à jouer). Seulement il faut que je me dépêche de trouver du poisson ou du gibier, à présent que j'ai deux bouches à nourrir... J'ai bien vu tout à l'heure que si je le mettais à même, il ne ferait qu'une bouchée de toutes mes provisions. Il a un appétit !.... Mais moi aussi je croquerais bien quelque chose. Une tablette de chocolat par exemple. Il en restera encore deux pour demain. D'ici là je trouverai bien le moyen de remplir le garde-manger. (Il va chercher le chocolat dans sa cachette et le mange tout en jouant). Ce n'est pas amusant de jouer aux billes tout seul.... Ah ! voilà Vendredi, je vais lui demander de faire une partie.



SCÈNE VI.

LUCIEN, PAUL.


LUCIEN, à Paul qui entre. - Dis donc, Vendredi, sais-tu jouer aux billes ?

PAUL. - Moi pas comprendre quoi maître vouloir dire.


LUCIEN. - Une bille, voilà ce que c'est. (Il lui montre une bille). Il s'agit de la placer de cette manière entre les deux doigts et de l'envoyer avec le pouce, comme cela. (Il lance la bille). Essaye de faire comme moi.

PAUL, prenant la bille. - Oh ! pauvre Tre-fenne-di pas pouvoir. (Il la lance de travers).

LUCIEN. - Est-il maladroit ! Tu ne t'y prends pas bien, regarde. C'est très facile. (Il lance la bille de nouveau). Attends, je vais te montrer comment il faut la placer. (Il met la bille entre les mains de Paul). là ! Ne la tiens donc pas si gauchement ! Allons ! lance maintenant. (Paul obéit). Ah ! c'est un peu mieux. Viens jouer avec moi à présent. Veux-tu ?

PAUL. - Moi pas demander mieux.

LUCIEN, tout en jouant. - Tu as fait le feu ?

PAUL. - Oui, maître.

LUCIEN. - Et tu as mis à cuire les pommes de terre ?

PAUL. - Oui, maître.

LUCIEN. - À la bonne heure. (Ils jouent tous deux tour à tour). À toi de jouer. Bon ! où envoies-tu ta bille ? — À mon tour maintenant. — À toi encore. — Cette fois c'est moins mal. Avec le temps tu parviendras a savoir. — Ah ! la partie est finie ; j'ai gagné : recommençons. — Joue. — C'est à moi. — Ça ne va pas bien ! — À toi. — Eh mais ! comme tu fais des progrès ! Ce que c'est que d'avoir un bon maître ! — Il va devenir plus fort que moi si cela continue. — Ah çà ! Comment se fait-il !... Je suis battu ! Pour le coup, c'est trop fort ! C'est moi qui lui ai appris à jouer et c'est lui qui me gagne !

PAUL. - Si maître vouloir, Tre-fenne-di jouer très mal pour que maître pouvoir gagner à son aise.

LUCIEN, avec humeur. - Je ne dis pas cela !

PAUL. - Maître, vouloir jouer une autre partie ?

LUCIEN, de même. - Non, j'en ai assez.... Va voir si les pommes de terre sont cuites.
     (Il va replacer les billes dans sa cachette). (Paul sort).



SCÈNE VII.


LUCIEN, seul. - Je ne sais pas si c'est une idée, mais il a l'air de se moquer de moi, ce Vendredi. Il doit être plus malin qu'on ne croit !... Celui-là n'a jamais tenu une bille de sa vie et le voilà qui, dès la seconde partie me gagne ! c'est humiliant. Ce n'est pas la peine d'être le maître si l'on n'a pas le dessus... Je suis pourtant très fort aux billes ; il n'y a que mon cousin Paul qui le soit autant que moi ; un peu plus même. Quelles belles parties nous avons faites ! À nous deux nous roulions tous les autres. — (Il regarde dans la coulisse). Mais il est bien long ce Vendredi pour aller chercher ses pommes de terre ! Qu'est-ce qu'il fait donc ? (Appelant). Eh ! Vendredi ! Vendredi !



SCÈNE VIII


LUCIEN, PAUL arrivant la bouche pleine et une
pomme de terre dans chaque main.



PAUL. - Voilà, maître.

LUCIEN. - Qu'est-ce que tu fais donc là ?

PAUL. - Moi goûter si pommes de terre être cuites.

LUCIEN. - C'est cela ! ne te gêne pas !... Eh bien ?

PAUL. - Tre-fenne-di les trouver bien bonnes.

LUCIEN, avec ironie. - Vraiment ! J'en suis charmé... Va les chercher alors.
     (Paul sort).



SCÈNE IX.


LUCIEN, seul. - Il a de drôles de façons pour un domestique ! Je crois que j'aurai un peu de peine à le dresser. — Au fait, j'y pense ; avant d'aller à la chasse, il faut que je m'exerce un peu afin de me faire la main, comme dit papa. (Il va chercher son arbalète et ses flèches et se place en face d'un arbre). Ce gros arbre va me. servir de cible. (Il lance une flèche qui n'atteint pas le but).


SCÈNE X.

LUCIEN, PAUL, entrant et se plaçant derrière lui.



PAUL, à part. - Tenons-nous prudemment à l'écart. Je connais son adresse. Quand il vise à droite, on est sûr que la flèche va à gauche. le gibier peut dormir sur les deux oreilles.

LUCIEN, se retournant. - Tiens ! tu es là... Dis donc, sais-tu tirer, toi ?

PAUL. - Oh ! Tre-fenne-di pas si habile que petit maître !

LUCIEN. - Essaye tout de même.
     (Paul tire et atteint le but).

LUCIEN, à part. - Du premier coup ! Il est plus fort que moi ! c'est vexant !... Au fait ! tant mieux s'il est adroit ; nous serons sûrs de ne pas mourir de faim. À propos de ne pas mourir de faim...... (Haut :) et les pommes de terre ?

PAUL, avec satisfaction et se frottant l'estomac. - Oh ! être très bonnes ! Tre-fenne-di bien régalé !

LUCIEN. - Comment bien régalé ! Est-ce que tu aurais tout mangé par hasard ?

PAUL. - Oh ! non. En avoir gardé pour maître.

LUCIEN. - C'est bien heureux. Va m'en chercher.
     (Paul sort).

LUCIEN, continuant. - Eh bien ! il n'est guère gêné celui-là. Je commence à croire qu'il ne me sera pas utile à grand chose, si ce n'est à dévorer mes provisions. (Il continue à tirer).

PAUL, revenant et tendant une pomme de terre à Lucien. - Voilà, maître !

LUCIEN. - Comment ! une pomme de terre. Où sont les autres ?

PAUL, se frottant encore l'estomac avec satisfaction. - Tre-fenne-di... là.... Petit noir bien content. Pommes de terre bien bonnes.

LUCIEN, avec indignation. - Pour le coup, c'est trop fort ! Ainsi tu as mangé une douzaine de pommes de terre et tu m'en apportes une pour ma part !

PAUL, humblement. - Petit noir avoir bien faim !

LUCIEN, de même. - Mais c'est un ogre que ce garçon-là ! (Il s'avance vers Paul, en le menaçant du bois de son arbalète, qu'il tient à la main). Ça ne finira pas ainsi. ; tu me le payeras.

PAUL, d'un ton très-doux mais avec résolution. - Tre-fenne-di pas aimer du tout même !

LUCIEN, reculant, à part. - Il a une façon de dire cela et de vous regarder ! (Il pose son arbalète contre un arbre et se croise les bras avec indignation). Je ne peux pourtant pas me laisser dépouiller de tout ce que je possède par ce vilain drôle ! Pour les pommes de terre, passe encore, il y en a tant qu'on en veut ; mais s'il allait découvrir ma cachette... (Haut, et d'un ton plus doux). Je te pardonne ta gourmandise pour cette fois, mais tâche de ne plus recommencer. Je vais voir sur le rivage si je trouve des huîtres pour le dîner. (À part). Décidément tout n'est pas rose dans le métier de Robinson !



SCÈNE XI.


PAUL, seul. - Des huîtres l Il n'est pas mauvais ! Cherche, mon ami, cherche.... Profitons de son absence pour lui enlever ses victuailles... Ce sera bientôt fait... Il n'y en a pas lourd. Envoyons tout cela tenir compagnie aux pommes de terre. (Tout en parlant, il retire ce qui est dans la cachette de Lucien et va le porter de l'autre côté, dans la coulisse, presque sans quitter la scène). les billes, la toupie, l'arbalète, emportons tout... là, voilà qui est fini. Nous allons avoir une drôle de scène quand il s'apercevra qu'on lui a dérobé son bien... Il revient ; cachons-nous. (Il se cache).



SCÈNE XII.


LUCIEN, rentrant. - Je n'ai trouvé ni huîtres ni crevettes. Ce n'était pas l'heure sans doute ou la saison. Je verrai un peu plus tard. D'ailleurs je n'étais pas tranquille. Avec un compagnon comme ce Vendredi, on ne sait jamais ce qui peut arriver. Je tremble qu'il ne vienne à découvrir mon trésor. Ce serait bien la peine de m'être privé toute la journée pour que ce fût lui qui en profitât. Voyons si tout y est bien encore... (Il va à sa cachette et pousse un cri). Volé !... Je suis volé !... Il n'y a plus rien !... Ce gredin de Vendredi a tout pris !... Tout, jusqu'à ma toupie et à mes billes ! Jusqu'à mon arbalète, que j'avais laissée là, contre cet arbre. Comment ferai-je pour tuer du gibier, ou bien pour me défendre contre les bêtes féroces maintenant ? Ah ! le misérable !... Où est-il ? que je le traite comme il le mérite. (Appelant). Vendredi ! Vendredi !


SCÈNE XIII.

LUCIEN, PAUL.


PAUL, arrivant très-doux et très tranquille. - Voilà, maître ! Quoi vouloir ? Tre-fenne-di être tout prêt.

LUCIEN. - C'est toi, coquin, qui as pris ce que j'avais serré là ?


PAUL, humblement. - Tre-fenne-di avoir si faim !

LUCIEN. - Faim ! Après avoir mangé une quantité de pommes de terre !





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