PIECES  DE  THEATRE  POUR  ENFANTS.

 
 

ON  A  SOUVENT  BESOIN

D'UN  PLUS  PETIT  QUE  SOI


COMÉDIE EN DEUX ACTES.

 

Eudoxie Dupuis

 

1893

Domaine public.



PERSONNAGES.

MAURICE, 9 ans.
JEANNE, sa sœur, 10 ans.
SYLVINET, 10 ans.
TIENNETTE
, 9 ans.


ACTE PREMIER.

Le théâtre représente la campagne ; des fleurs dans les buissons,
deux bancs de gazon.

SCÈNE I.

MAURICE, JEANNE.

 



JEANNE. - Tu as beau dire, Maurice, ce n'est pas bien de ne pas te montrer plus serviable.


MAURICE. - Je voudrais bien savoir ce qui m'obligerait à prendre de la peine pour le bon plaisir du premier venu ?


JEANNE. - Cela ne t'aurait pas donné grand peine tout à l'heure d'indiquer son chemin à ce pauvre homme, plutôt que de te moquer de lui, comme tu l'as fait.

 

MAURICE. - Voilà-t-il pas ! Un mendiant !

 

JEANNE. - Un pauvre aveugle ! Il est bien à plaindre ! C'était déjà bien assez de ne rien lui donner.

 

MAURICE. - Bon ! crois-tu que je vais comme cela me dépouiller de mon argent en faveur de tous les fainéants qui tendent la main ?

 

JEANNE. - À quoi sert d'en avoir, si ce n'est pour le partager avec ceux qui en ont besoin ?

 

MAURICE. - J'aime beaucoup mieux garder le mien ou bien l'employer à me régaler ou à me divertir avec mes amis... Je suis sûr qu'il ne te reste rien de ton mois ?

 

JEANNE, riant. - Pas grand chose du moins.

 

MAURICE. - Qu'est-ce que je disais ! Moi, j'ai encore plus de la moitié du mien.

 

JEANNE. - Tant mieux pour toi !

 

MAURICE. - C'est qu'aussi je ne ressemble pas à certaines petites filles de ma connaissance. Tu ne peux pas voir quelqu'un dans rembarras sans te mettre en quatre pour l'en tirer.


JEANNE. - C'est tout naturel ; quand on le peut.

 

MAURICE. - Quel bien t'en revient-il, hein ! si ce n'est d'avoir toujours ta bourse vide ?

 

JEANNE. - D'abord cela fait qu'on vous aime. Toi, si tu continues, tu te feras détester.

 

MAURICE. - Cela m'est bien égal ! Je me soucie pas mal qu'on m'aime ou non.

 

JEANNE. - Fi ! que c'est vilain ce que tu dis-là ! — Ensuite ne peut-il pas arriver que soi-même on ait besoin des autres ?

 

MAURICE, ironiquement. - Ah ! pour le coup ! je voudrais bien savoir comment moi, dont les parents sont riches, je pourrais avoir besoin d'un mendiant, comme celui de tantôt, par. exemple (il regarde dans la coulisse), ou bien d'un garçon, tel que Sylvinet, le petit jardinier, que j'aperçois là-bas ? (Il montre la coulisse).


JEANNE. - Et qui te dit que tu n'auras jamais besoin de Sylvinet ?

 

MAURICE, de même. - Je voudrais le voir pour le croire ! Ce serait drôle !Mais pour l'instant, je pense plutôt que c'est lui qui a besoin de moi, car il vient par ici et il a un air tout gauche.

 


SCÈNE II.



MAURICE, JEANNE, SYLVINET, l'air honteux et embarrassé. Il tient une feuille de papier qu'il cache derrière lui.

SYLVINET. - Bonjour, Monsieur, Mademoiselle et la compagnie.


MAURICE, d'un ton bourru. - Bonjour, bonjour !


JEANNE. - Bonjour, Sylvinet ; comment vas-tu ?


SYLVINET. - Bien, Mademoiselle, je vous remercie.

 

JEANNE. - Et ta mère ; elle se porte bien aussi ?


SYLVINET. - Oui, Mademoiselle ; vous êtes bien honnête.


JEANNE. - Est-ce que tu as quelque chose à nous demander ?


SYLVINET, en hésitant. - Oui, Mademoiselle.


JEANNE. - Parle alors.


SYLVINET. - Voilà. C'est après-demain la fête de grand-mère et je voudrais lui écrire une lettre.


JEANNE. - C'est une très bonne idée.


SYLVINET. - Je sais bien ce que je veux mettre dedans ; seulement ce que je ne sais pas, c'est l'orthographe !


MAURICE. - Oh ! oh ! l'orthographe !


JEANNE, à Sylvinet. - L'orthographe.


SYLVINET. - L'orthographe, c'est possible ; enfin écrire les mots juste comme il faut, et je venais demander à monsieur Maurice, qui est un savant il paraît, puisqu'il a eu un prix à son collège...


JEANNE, à part. - Oui ! un prix de gymnastique !


SYLYINET, continuant timidement. - De vouloir bien me corriger mes fautes.


MAURICE, d'un ton dédaigneux et suffisant. - Voyons cette lettre !


SYLYINET, continuant timidement. - Oh ! je sais bien qu'il y en a beaucoup ; et puis elle n'est pas bien écrite ; mais je la recopierai.


MAURICE, du même ton et avec impatience. - Enfin, voyons toujours. (Sylvinet lui donne la lettre). Quel gribouillage !


JEANNE, regardant la lettre. - Mais non ; c'est un peu gros, mais très lisible.


MAURICE, éclatant de rire. - Ah ! par exemple ! en voilà du français ! (Lisant) Ma chère grand-maman... chère c-h-a-i-r-e : chaire à prêcher ! Et grand-maman avec un t.


SYLYINET, honteux. - Ah ! oui ; il faudrait un s.


MAURICE, de même. - Un s à présent ! Qu'est-ce qu'il y a d'écrit là ?... C'est... C'est... le jour de votre fête... Il y a deux mots qu'il m'est impossible de lire.


SYLVINET, de même. - C'est après-demain le jour de votre fête.


MAURICE, de même. - Après-demain ! il y a après-demain ! Qu'est-ce qui s'en serait jamais douté ! Eh bien ! tu ne te gênes pas, toi, pour donner des entorses à la grammaire.


SYLVINET, avec vivacité. - Vous saurez, monsieur Maurice, que je serais bien fâché de donner une entorse à personne, et à grand-mère moins qu'à tout autre.

 

MAURICE, se tenant les côtes à force de rire. - Ah ! pour le coup ! en voilà une bonne !


JEANNE. - Voyons ! Maurice ! ne tourmente donc pas ainsi ce pauvre garçon !


MAURICE. - C'est qu'aussi il est par trop amusant, et il écrit les mots d'une façon si biscornue !


JEANNE. - Comment veux-tu que lui, qui ne va à l'école que depuis l'année dernière, sache mettre l'orthographe ? Tu ne la mets pas déjà si bien toi-même. Dans ta dernière lettre à maman il y avait six fautes.


MAURICE. - Six fautes ! Qu'est-ce que c'est que cela ? Mais dans celle-ci il y en a autant que de mots.


SYLVINET. - C'est que, comme dit mademoiselle Jeanne, il n'y a pas longtemps que j'apprends ; sans compter que le plus souvent je n'y vais pas à l'école. S'il y a à sarcler ou bien à arroser dans le jardin, c'est par là qu'il faut commencer.


JEANNE. - Pauvre Sylvinet !


MAURICE. - Il n'est pas déjà si à plaindre ! C'est moi qui aimerais mieux retourner une plate-bande que de piocher du latin !


JEANNE. - Paresseux, va !... Mais, voyons ! finis-en avec cette lettre.


MAURICE, lisant. - C'est après-demain le jour de votre fête, et je voudrais être auprès de vous pour vous la souhaiter. (S'interrompant) Ah ! celle-là est trop drôle !... Souhaiter, s-o-i-t-e-r !


SVLVINET, timidement. - C'est mal mis ?


MAURICE. - Je le crois bien !


JEANNE. - C'est un mot difficile. Qu'y a-t-il d'étonnant à ce que Sylvinet n'ait pas su l'écrire ?


MAURICE, continuant à lire et prononçant comme c'est écrit en appuyant sur les fautes. - Notre gardin est bien jrillé à coce de la sesseresse ; les harticots surtout ont beaucoup couffert ; mais le pessé est bien jarni et les pesses se vendent bien.


JEANNE. - Que tu es taquin !

 

SYLVINET, larmoyant. - Il n'y a pas cela.


MAURICE. - Mais si. (Continuant.) Le coquetier... (Riant) Qu'est-ce que c'est encore que le coquetier ?


JEANNE. - C'est le marchand qui achète les œufs ?


MAURICE, avec incrédulité. - On dit coquetier ?


JEANNE. - Assurément.


MAURICE. - Moi, en fait de coquetiers, je ne connais que ceux dans lesquels on mange les œufs. Enfin ! Passons ! je le veux bien. (Il reprend sa lecture). Le coquetier te portera la semaine prochaine un pagnier de poères. La poule noère a fini de souver et les petits pouzins trottent dans la cour que c'est un plaicir de les vouère. La pâte de Fidèle — il y a la pâte ! — la pâte de Fidèle est garie ; Dagobert... Qu'est-ce que c'est que Dagobert ?

SYLVINET, toujours larmoyant et avec timidité. - C'est notre âne.


MAURICE, riant de plus en plus. - Ce nom ! Dagobert va bien, la vache et la chèvre aussi.. En voilà une lettre ! Il n'y est question que d'animaux !


SYLVINET, de même. - Pourquoi pas ?


JEANNE, souriant. - La raison ; il raconte à sa grand-mère ce qui se passe chez lui.


SYLYINET. - Sans doute ; elle sera bien contente d'apprendre que nos bêtes sont en bonne santé !


MAURICE, même jeu. - Non, c'est trop bouffon ! (Reprenant) Papa, maman et ma petite sœur Tiennette. (S'interrompant) Il paraît que c'est le tour des parents maintenant... Papa, maman et ma petite sœur Tiennette vous souhaitent aussi une bonne fête et vous embraquent, ainsi que votre petit-fils respectueux, Sylvinet.


JEANNE. - Mais cette lettre-là n'est pas mal tournée du tout.


SYLVINET, avec joie. - Vous trouvez, mademoiselle Jeanne ?


MAURICE, à Sylvinet. - Tu ne vois pas qu'elle se moque de toi ?


JEANNE. - Mais non vraiment ! (À Maurice) Allons, Maurice, dépêche-toi de la lui corriger ; qu'il puisse la recopier et l'envoyer aujourd'hui.


SYLVINET. - Oh ! Oui ; je serais bien content qu'elle arrivât demain, la veille de la fête de grand-mère.


MAURICE. - Ah ! par exemple ! Si tu t'imagines que je vais te rendre cette lettre-là, tu te trompes.


SYLYINET. - Comment ?


MAURICE. - Oh ! mais non ! Elle est trop amusante !


JEANNE. - Qu'est-ce que cela signifie ?


MAURICE, pliant la lettre et la mettant dans sa poche. - Cela signifie que je la garde pour la montrer à mes amis ; nous allons joliment rire l... La lui rendre ! Il n'y a pas de danger !




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