PIECES DE THEATRE POUR ENFANTS.
MAURICE. - Nous verrons bien ! nous verrons bien ! (Tout en parlant il a tiré ses billes de sa poche et les agite entre ses doigts). (Après un instant de silence) Dis donc, Jeanne, veux-tu jouer avec moi ?
JEANNE. - Aux billes !
MAURICE. - À cela ou à autre chose.
JEANNE. - Non, merci ; je n'ai pas envie de jouer. D'abord il faut que je finisse la pelote de ma tante : c'est après-demain sa fête. Et puis je n'ai pas le cœur gai.
MAURICE, se mettant à jouer. - Ah ! pourquoi donc ?
JEANNE. - Mon bengali... tu sais bien, mon joli petit bengali... Bijou...
MAURICE. - Eh bien ?
JEANNE, tristement. - Je l'ai perdu.
MAURICE. - Comment cela ?
JEANNE. - Je ne sais pas. Tantôt après le déjeuner, quand je suis montée dans ma chambre, la porte de la cage était ouverte, comme je la laisse toujours afin qu'il puisse aller et venir à sa fantaisie. L'oiseau n'y était pas. Je l'ai cherché partout, impossible de le trouver. (Elle pleure).
MAURICE, jouant toujours. - Il se sera fourré dans quelque coin.
JEANNE. - Oh ! non, j'ai remué les meubles, secoué les rideaux, il n'y est pas. (Elle continue de pleurer).
MAURICE. - A-t-on jamais vu pleurer comme cela pour un oiseau !
JEANNE. - Ah ! c'est qu'il était si joli ! Il accourait si vite à ma voix ! Il connaissait si bien sa petite maîtresse ! Et puis, il chantait d'une voix si douce ... Je lui avais appris de si jolis airs ! Je l'aimais tant ! Lui aussi me faisait mille caresses. Était-il gentil quand il venait prendre des miettes de pain entre mes lèvres !
MAURICE. - Bon ! Si celui-là est perdu, tu en auras un autre. Il n'y a pas qu'un bengali au monde !
JEANNE. - Oh ! ce ne sera pas la même chose !... Où est-il maintenant ? Que va-t-il devenir ? Il mourra de froid pendant la nuit.
MAURICE, se moquant. - Oui ; à moins que le chat ne le croque.
JEANNE. - Ah ! mon Dieu ! Je n'avais pas pensé à cela !
MAURICE. - Allons ! ne t'occupe plus de ton oiseau. Viens plutôt jouer avec moi, comme je te le demande.
JEANNE. - Je t'ai déjà dit que non. J'ai à travailler. (Soupirant) Pauvre Bijou !
MAURICE. - Aimes-tu mieux pêcher des écrevisses ?
JEANNE. - Je n'ai pas le temps. (Elle essuie ses yeux et se remet à l'ouvrage). (Cherchant autour d'elle) Tiens ! qu'est-ce que j'ai donc fait de ma soie bleue ? Je ne la trouve pas. Je l'aurai laissée à la maison ; je vais la chercher. (Elle sort).
SCÈNE II.
MAURICE, puis TIENNETTE.
MAURICE. - Dis donc, ne sois pas trop longtemps. Moi je m'ennuie quand je suis tout seul. (Seul) Est-il possible d'avoir tant de chagrin à cause d'un oiseau ! Ces petites filles, c'est si.... Puisqu'elle ne veut pas jouer, je vais lire. J'ai là justement les Aventures de Jean-Paul Choppart.... (Il tire un livre de sa poche). Mais d'abord, pour lire, moi, j'aime à avoir mes aises. (Il s'étend sur le banc). À la bonne heure ! Voyons ; où en suis-je resté ? Ah ! m'y voici. (Il se met à lire. Après un silence) Tiens ! on dirait que j'ai envie de dormir ! (Au bout d'un instant, le livre lui tombe des mains et il s'endort).
TIENNETTE, entrant. - (Elle porte une corbeille garnie de feuilles et cueille des fleurs tout en parlant). Il me semble qu'il y a encore de jolies fleurs par ici. Oui ; voici des roses. C'est cela qui va embellir mon bouquet ! J'espère que mademoiselle Jeanne le trouvera à son goût ! Je serai bien contente de le lui offrir ainsi que ces fraises que je suis allée cueillir ce matin dans le bois. Elle a été si bonne hier. Comme elle a vidé sa bourse pour que je ne sois pas grondée. C'est bien dommage que son frère ne lui ressemble pas. Est-il assez méchant et assez taquin, lui ! Il serait bien fâché de vous rendre le moindre service. Aussi il peut bien être sûr qu'à l'occasion je suivrai son exemple. — Fi ! que c'est vilain ce que je dis là ! Je serais bien honteuse, au contraire, de lui ressembler, et de me montrer méchante comme lui. (Apercevant MAURICE) Tiens ! il est là ! Pourvu qu'il ne m'ait pas entendue. — Mais non, il dort. Tant mieux ! Il n'y a que pendant ce temps-là qu'il ne fasse pas de mal ! (S'approchant et poussant un cri). Ah ! mon Dieu !... Qu'est-ce que je vois là sur son habit ?... Une vipère !... (Elle saisit la vipère, la jette à terre et l'écrase sous son pied.).
MAURICE, se réveillant. - Hein ? Qu'est-ce que c'est ? On ne peut donc pas seulement dormir tranquille ?
SCÈNE III.
MAURICE, TIENNETTE, JEANNE.
JEANNE, accourant. - Qu'y a-t-il ? (À Tiennette) Pourquoi as-tu crié ? Tu es toute pâle et toute tremblante !
TIENNETTE, montrant la vipère et en balbutiant. - La vipère ! là ! Ne la voyez-vous pas !
MAURICE, à moitié endormi. - Une vipère !
JEANNE, avec terreur. - Une vipère ! (Examinant la vipère) Oui ; c'en est bien une. Où était-elle ?
TIENNETTE. - Ici ! sur monsieur Maurice... Il dormait.
MAURICE, sautant à bas du banc où il est couché. - Sur moi ?
TIENNETTE. - Oui ; sur vous ; à cette place.
JEANNE. - Qui donc l'a tuée ?
TIENNETTE. - C'est moi.
MAURICE. - Toi, Tiennette !
TIENNETTE. - Oui.
JEANNE. - Comment ? ma petite Tiennette, tu as eu ce courage ?
TIENNETTE. - Il le fallait bien, mademoiselle Jeanne ; elle allait piquer votre frère.
MAURICE. - Mais si elle t'avait piquée toi-même ?
MAURICE. - Oh ! je n'ai pas eu seulement le temps d'y penser !
JEANNE. - Bonne petite Tiennette ! (À Maurice) Tu peux la remercier, car elle t'a préservé d'un grand danger.
MAURICE, d'un ton doux, mais avec embarras. - Merci bien, Tiennette. Sans toi j'étais perdu.
TIENNETTE. - Ce n'est pas la peine d'en parler, monsieur Maurice.
MAURICE, de même. - J'ai été méchant hier avec toi, Tiennette ; j'en suis bien fâché.
JEANNE. - Elle t'a rendu le bien pour le mal.
TIENNETTE. - C'est comme cela que maman dit qu'il faut faire.
JEANNE. - Maman dit la même chose.
TIENNETTE, allant prendre les fleurs et la corbeille quelle a posées sur l'un des bancs et les présentant à Jeanne. - Tenez, mademoiselle Jeanne, voici des fraises des bois. Je sais que vous les aimez.
JEANNE. - Oui, beaucoup ; tu es bien aimable ! — Qu'elles sont fraîches et appétissantes !
TIENNETTE. - Voici aussi un bouquet des fleurs que vous préférez.
JEANNE, prenant le bouquet. - Oh ! qu'elles sentent bon !
TIENNETTE. - Je suis bien aise de vous avoir fait plaisir... Voulez-vous que je porte le bouquet et les fraises chez vous ?
JEANNE. - Je ne demande pas mieux. Tu mettras le bouquet dans ma chambre.
MAURICE. - Je vais t'aider, Tiennette.
TIENNETTE, avec un peu de défiance. - Vous, monsieur Maurice ?
MAURICE, en souriant et avec douceur. - N'aie pas peur ; donne-moi le panier. Veux-tu ?
TIENNETTE. Avec plaisir. (Ils sortent tous deux).
SCÈNE IV.
JEANNE, seule, avec étonnement. - Comme le ton de Maurice est changé ! Est-ce qu'il commencerait à devenir plus aimable ? Ce ne serait pas dommage, pour les autres et surtout pour lui. Je savais bien qu'il n'a pas un mauvais cœur. Il a bien été forcé d'ailleurs de reconnaître qu'il peut avoir, lui aussi, besoin des autres.... Quand je pense au danger qu'il a couru !... Comme c'est heureux que Tiennette soit arrivée si à propos !
SCÈNE V.
JEANNE, SYLVINET, accourant.
SYLVINET, du dehors. - Mademoiselle Jeanne ! Mademoiselle Jeanne !
JEANNE. - Eh bien ! me voilà !
SYLVINET, tenant quelque chose dans sa casquette. - Devinez, mademoiselle, ce que je vous apporte.
JEANNE. - Qu'est-ce donc ?
SYLVINET. - Devinez ! Devinez !
JEANNE. - Je ne sais pas.
SYLYINET, découvrant sa casquette. - Voyez !
JEANNE, poussant un cri de joie. - Bijou !
SYLVINET. - Lui-même.
JEANNE. - Pauvre Bijou ! (Elle prend l'oiseau, le baise et le caresse). Cher petit mignon ! Je croyais bien ne plus le revoir ! Où l'as-tu donc trouvé, Sylvinet ?
SYLVINET. - Oh I! Il m'a fait assez courir ; mais pour vous, mademoiselle Jeanne, j'irais au bout du monde. Il faut donc vous dire que j'étais en train d'arroser un carré de salades, lorsque je vois un oiseau qui vient se percher sur la haie, à deux pas de moi. Un gentil petit oiseau, pas plus gros que rien. Je me dis tout de suite : C'est le bengali de mademoiselle Jeanne. - Je m'approche, aussi doucement que possible ; mais baste ! Voilà l'oiseau qui s'envole par-dessus la haie. Moi, je ne fais ni une ni deux ; la haie était un peu endommagée en cet endroit, je passe au travers. Bijou était allé se percher sur le haut d'un pommier. Impossible de l'atteindre. J'ai beau l'appeler : Petit, petit, petit ! Piau ! Piau ! piau l lui faire toutes sortes de gentillesses, pour l'engagera venir, rien n'y fait. Le voilà sur un buisson d'aubépine, puis sur un autre encore, et moi courant toujours. À peine avançais-je la main, pssittt ! il était parti. Enfin, je suis parvenu à m'en emparer.
JEANNE, caressant l'oiseau. - Et il est bien content, j'en suis sûre, d'avoir retrouvé sa petite maîtresse, qui est bien contente, elle aussi, de revoir son cher Bijou ! Savez-vous bien que vous seriez mort de froid et de faim dans les champs, petit vagabond. Où auriez-vous trouvé un nid bien chaud et bien douillet comme le vôtre ? Dites merci à Sylvinet qui vous a ramené.
SYLVINET. - Eh bien ! mademoiselle Jeanne, si vous êtes satisfaits tous les deux, je le suis aussi.
MAURICE, en dehors. - Au secours ! au secours !
JEANNE. - Qu'y a-t-il donc ? C'est la voix de Maurice !
SYLVINET. - J'y cours !
(Ils sortent tous deux).
SCÈNE VI.
TIENNETTE, arrivant d'un autre côté. - Qu'est-ce que c'est ? Il me semble avoir entendu monsieur Maurice crier. Il vient de me quitter il n'y a qu'un instant, pour aller pêcher des écrevisses. Que lui est-il arrivé ? (Elle regarde dans la coulisse du côte où sont sortis Jeanne et Sylvinet). Ah ! mon Dieu ! il est tombé à l'eau sans doute ; ses vêtements sont tout mouillés. On l'amène par ici.
SCÈNE VII.
TIENNETTE, MAURICE, soutenu par Jeanne et Sylvinet.
Il est très pâle.
JEANNE, à Maurice. - Comment te trouves-tu ?
MAURICE. - Mieux ; ce ne sera rien (souriant). Seulement Sylvinet est arrivé à temps. Un peu plus je m'en allais au fond de la rivière. En voulant retirer les balances à écrevisses, mon pied a glissé.... J'en serai quitte pour un bain froid....Merci, Sylvinet ; tu ne m'en veux donc plus ?
SYLVINET. - Dame ! écoutez, monsieur Maurice, j'ai bien pu vous laisser perché sur votre arbre, tantôt, pour vous faire enrager un peu, mais je n'ai pas envie que vous vous noyiez ; quand ce ne serait que pour mademoiselle Jeanne, qui en aurait eu tant de chagrin.