PIECES  DE  THEATRE  POUR  ENFANTS.

 
 

JEANNE. - C'est pour plaisanter, ce que tu dis-là, Maurice ? Allons ! donne-lui sa lettre.


SYLVINET, pleurant. - Ma lettre ! ma lettre ! que j'ai eu tant de mal à écrire.


MAURICE. - Tu ne l'auras pas ! tu ne l'auras pas !



JEANNE. - Que tu es mauvais !


SYLVINET, se jetant sur Maurice. - Ma lettre ! ma lettre ! Je veux ma lettre !

 

JEANNE, l'arrêtant. - Laisse-le, va ! mon pauvre Sylvinet ! Puisqu'il ne veut pas te rendre ta lettre, je t'aiderai à en faire une autre, et je te donnerai, pour l'écrire, une jolie feuille de papier, avec une guirlande de fleurs tout autour !


SYLVINET, joyeux. - Vrai ? Oh ! comme grand-mère sera contente ! Ainsi vous m'aiderez, bien sûr, mademoiselle Jeanne ?


JEANNE. - Oui, aussitôt après ma leçon de piano, que je vais aller prendre dans une demi-heure. Tu viendras me trouver à la maison.


SYLVINET. - Oh ! merci bien, mademoiselle Jeanne. Une jolie feuille de papier avec une guirlande de fleurs tout autour ! Vous verrez comme je m'appliquerai !... On peut bien dire que vous êtes aussi bonne et aussi aimable que monsieur Maurice est méchant et détestable. Si jamais je peux vous rendre quelque petit service, ce sera avec bien du plaisir. (Montrant le poing à Maurice.) Quant à lui, c'est un orgueilleux, qui s'imagine, parce que son père est riche, qu'il n'aura jamais besoin de personne ; mais ce n'est pas déjà si sûr et il verra alors, il verra...


JEANNE. - Allons, Sylvinet, calme-toi...


SYLVINET. - Oui, Mademoiselle ; je vais arroser mes artichauts, et je reviendrai tantôt.


JEANNE. - C'est cela.


(Sylvinet sort.)



SCÈNE III.

MAURICE, JEANNE, puis TIENNETTE.



MAURICE. - Il s'entendra peut-être mieux à arroser qu'à écrire une lettre.

JEANNE. - N'es-tu pas honteux de te montrer si méchant ? C'est très mal ce que tu as fait là.


MAURICE. - Bah ! puisque tu vas la lui recommencer sa lettre, il ne sera pas si à plaindre ! J'aurais été trop fâché de perdre ce bel échantillon d'orthographe baroque !


(Tiennette parait au fond. Au moment d'entrer en scène, elle glisse et tombe. Elle pousse un cri et se relève, tenant à la main l'anse de son pot au lait, auquel est restée attachée une partie du vase. Tiennette doit tomber de façon que le lait se soit répandu dans la coulisse.)



JEANNE, courant à Tiennette et l'aidant à se relever. - Eh ! ma pauvre Tiennette ! Qu'est-ce qui t'arrive ?


TIENNETTE, pleurant. - Voilà mon lait perdu !


MAURICE, riant. - Le grand malheur !


TIENNETTE, même jeu. - Et mon pot qui est cassé, par-dessus le marché !


JEANNE. - Comment donc cela s'est-il fait ?


TIENNETTE. - Je ne sais pas ; j'allais vite parce que maman m'avait dit de me dépêcher ; mon pied a glissé et je suis tombée.


MAURICE, riant toujours. - Elle lait s'est répandu. Comme dans la Laitière et le Pot au lait.


JEANNE. - Tu ne t'es pas fait de mal ?


TIENNETTE. - Non, merci, mademoiselle.


JEANNE, lui prenant la main. - Mais si ; liens, ta main saigne. Tu te seras coupée avec la cruche ?... Attends un peu ; je vais la laver : le ruisseau est là tout près... Mais dans quoi aller chercher de l'eau ? (Elle regarde autour d'elle.) Ah ! ce reste du pot au lait. Assieds-toi là ; je reviens à l'instant. (Elle disparait en courant.)


TIENNETTE, continuant à pleurer. - Oh ! ce n'était pas la peine, mademoiselle Jeanne ! Vous vous donnez bien du mal... Mon Dieu ! que va dire maman ?


MAURICE, qui a tiré sa toupie de sa poche, et s'est mis à jouer. - Voilà ce que c'est que de ne pas faire attention.


TIENNETTE, sans écouter Maurice. - Un pot au lait tout neuf, et qui était si gentil.


JEANNE, revenant avec de l'eau dans un fragment du pot de Tiennette. - Tiens ! trempe ta main là dedans.... C'est bien ; maintenant, donne-moi ton mouchoir. (Elle enveloppe la main de Tiennette.) Là ! ce ne sera rien ! (Elle l'embrasse.)


TIENNETTE. - Vous êtes bien bonne, Mademoiselle, et je vous remercie bien.


JEANNE. - Pourquoi pleures-tu si fort ?


TIENNETTE. - C'est que je vais être grondée, à cause de mon lait.


JEANNE. - Ce n'est pas de ta faute si tu es tombée.


TIENNETTE. - Et puis le pot aussi qui est cassé !


MAURICE, à part. - Elle dit toujours la même chose.


TIENNETTE, continuant. - Maman l'avait acheté l'autre jour à la foire ; elle va être bien fâchée contre moi.


MAURICE. - Ce sera tant mieux !


JEANNE, à Maurice. - Tais-toi donc ! (À Tiennette.) Où allais-tu porter ton lait ?


TIENNETTE. - Chez votre maman, Mademoiselle. La cuisinière devait en faire une crème pour votre diner.


MAURICE. - Dépêche-toi d'en aller chercher d'autre alors.


TIENNETTE. - Il n'en reste pas.


MAURICE. - Comment ! il n'en reste pas ?


TIENNETTE. - Non, maman a fait du fromage avec le surplus.


MAURICE. - Ainsi nous n'aurons pas de crème ?


JEANNE. - Eh bien ! tu t'en passeras. Le grand malheur !


MAURICE. - C'est bien agréable ! On est privé de ce qu'on aime le mieux par la maladresse de celle petite sotte !


TIENNETTE, pleurant plus fort. - J'en suis bien fâchée ! bien fâchée !


JEANNE. - Pour combien y avait-il de lait dans ton pot ?


TIENNETTE. - Il y en avait pour quinze sous.


JEANNE. - Et le pot, combien avait-il coûté ?


TIENNETTE. - Quinze sous aussi.


JEANNE. - Cela fait trente sous. Dis-donc, Maurice, si nous lui payions son lait et son pot ?


MAURICE, ironiquement. - C'est assez mon avis ! Elle est cause que nous n'aurons pas de crème, et il faudrait lui payer son lait !


JEANNE. - Pour qu'elle ne soit pas grondée.


MAURICE. - Cela m'est bien égal !


JEANNE. - Je le lui paierais bien à moi toute seule, mais c'est que je crains de n'avoir pas assez d'argent.


MAURICE. - Tu feras ce que tu voudras ; mais moi, tu peux être sûre que je ne donnerai pas un sou.


JEANNE, tirant sa bourse et comptant son argent. - Comme cela se trouve ! Voilà une petite pièce qui s'était cachée dans un pli de mon porte-monnaie ! J'ai juste trente sous. Quel bonheur ! (À Tiennette.) Tiens, ma pauvre Tiennette, voilà le prix de ton lait et de ton pot. Porte cela à la mère.


TIENNETTE, avec joie. - Vraiment, mademoiselle ! Que je suis contente ! Je vous remercie de tout mon cœur. (Elle, sort en faisant la révérence et en envoyant un baiser à Jeanne.)


MAURICE. - Et moi, je ne te remercie pas ; grâce à toi, nous allons faire un mauvais dîner.



SCÈNE IV.


MAURICE, JEANNE.



JEANNE. - Fi ! le gourmand !


MAURICE. - . Es-tu folle, loi, d'avoir été donner le reste de ton argent à cette petite nigaude !


JEANNE. - Pauvre Tiennette ! Elle avait tant de chagrin.


MAURICE, se moquant. - Et puis, comme tu dis : on a souvent besoin d'un plus petit que soi : qui sait si tu n'auras pas besoin de Tiennette ?


JEANNE. - Et qui sait si elle ne pourrait pas te rendre service à toi-même.


MAURICE, avec dédain. - Tiennette !


JEANNE. - Oui, Tiennette.


MAURICE. - Ah ! par exemple !


JEANNE. - Allons ! voici l'heure de travailler. Rentrons à 1s maison. Je vais prendre ma leçon de piano.


MAURICE, raillant. - Et n'oublie pas ta promesse à Sylvinet surtout.


JEANNE. - Sois tranquille ; j'y pense.


(Ils sortent.)

 


ACTE II

Même décor qu'au premier acte.



SCÈNE I.


JEANNE assise et travaillant, MAURICE.



MAURICE, arrivant furieux. - Ça ne finira pas ainsi ? Il me le payera !... Méchant galopin ! qui m'a fait punir ! Prends garde à toi !


JEANNE. - À qui en as-tu donc ?


MAURICE. - À qui ? À ce Sylvinet.


JEANNE. - Qu'est-ce qu'il t'a fait ?


MAURICE. - Il m'a joué un tour dont il se repentira. Figure-toi qu'il y a deux heures j'étais grimpé dans le gros cerisier. Tu sais, là bas au bout du clos. Je m'installe sur la plus haute branche et je m'en donnais à cœur joie lorsque le jardinier est venu retirer l'échelle qui m'avait servi à monter. Il ne me voyait pas; moi je n'ai rien voulu dire parce que... parce que...


JEANNE. - Parce que tu sais que maman gardait ces cerises-là pour faire des conserves et qu'elle avait bien défendu qu'on y touchât.


MAURICE, avec humeur. - C'est possible. Enfin j'avais espéré pouvoir me passer d'échelle pour redescendre, mais il n'y a pas eu moyen ; la branche était trop haute. J'ai aperçu Sylvinet ; je l'ai appelé. Il est venu, mais, au lieu de m'aider, il s'est mis à ricaner et à me plaisanter. — Les cerises sont-elles bonnes, hein ! monsieur Maurice ? — Va me chercher l'échelle ! lui ai-je crié en colère. — Aller vous chercher l'échelle ! Ah bien non, par exemple ! Je suis trop content de voir que vous vous régalez. Ne vous gênez pas ; prenez-en à votre aise. — Et mon thème latin ! — Oh ! je suis bien sûr que vous aimez mieux être dans le cerisier que dans votre chambre à écrire. — Mais monsieur Laférule qui va venir pour me donner ma leçon ! — Ce pauvre monsieur ! Je lui dirai où vous êtes, ça lui fera prendre patience. Adieu, monsieur Maurice, amusez-vous bien ! — J'enrageais ; j'ai eu beau le prier, le supplier, le menacer, rien n'y a fait. Il a continué à se moquer de moi et il est parti me laissant sur mon arbre.


JEANNE. - Et comment t'en es-tu tiré ?


MAURICE, de même. - J'ai bien été forcé d'appeler le jardinier, qui ne manquera pas de dire à maman où il m'a trouvé.


JEANNE. - Il aimera mieux cela que de laisser croire que c'est lui qui a mangé les cerises.


MAURICE. - Et je serai encore puni ; sans compter que j'ai déjà eu un pensum de monsieur Laférule pour l'avoir fait attendre.


JEANNE. - Tu conviendras que tu n'as que ce que tu mérites. Si tu t'étais montré plus complaisant hier avec Sylvinet, il n'aurait pas demandé mieux que de te venir en aide.


MAURICE. - Que je l'aie mérité ou non, il peut être, quant à lui, bien sûr de son affaire ; et la première fois que je le rencontrerai, je lui administrerai la plus belle roulée.


JEANNE. - À moins que ce ne soit lui qui te roule, comme tu dis.
 




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