PIECES  DE  THEATRE  POUR  ENFANTS.

 
 

DE MENSONGE EN MENSONGE.

COMÉDIE EN DEUX ACTES.

PERSONNAGES :

GEORGETTE, 9 ans.

SUZANNE, 10 ans.
COLLIN, 7 ans.

GALUCHARD, 14 ans.

ACTE PREMIER

Le théâtre représente la campagne. Une table est dressée.

SCÈNE I.


 


GEORGETTE (seule, achevant de mettre le couvert). - Voilà qui est fait ! Ici, sous cet acacia, mademoiselle Suzanne, et moi, en face d'elle. Il restera encore une petite place pour mon frère Collin..... Au milieu de la table ce beau bouquet. Mademoiselle Suzanne aime beaucoup les fleurs..... Comme celles-ci sont fraîches et jolies ! Dame ! j'ai dévalisé les haies des environs..... De ce côté je placerai le fromage à la crème et de l'autre la galette..... Ah ! et mes pêches que j'oubliais ! de si belles pèches ! et que j'ai gardées avec tant de soin pour cette occasion ! Je cours les chercher !
     (Elle va pour sortir et rencontre Collin).



SCÈNE II.


GEORGETTE, COLLIN.



GEORGETTE. - Ah ! voilà mon frère. Eh bien ! Collin, tu as fait ta commission ?

COLLIN. - Oui, ma sœur.

GEORGETTE. - Et tu as remis le bourriquet à l'étable ?

COLLIN. - Oui.

GEORGETTE. - Tu as eu soin de lui donner à manger ?

COLLIN. - Bien sûr.

GEORGETTE. - Tu ne l'as pas trop fait courir, au moins, ce pauvre Bonaventure ?

COLLIN. - Je l'ai mené tout le temps au petit pas.


GEORGETTE. - Bien vrai ?

COLLIN. - Puisque je te le dis.

GEORGETTE. - Oh ! ce n'est pas une raison parce que tu le dis..... Tiens ! tu n'as plus ta blouse de ce matin ; pourquoi donc ?

COLLIN (embarrassé). - C'est que... j'avais froid.

GEORGETTE. - Froid ! Aujourd'hui !... On étouffe.

COLLIN. - Qu'est-ce que je dis donc ! J'avais trop chaud au contraire.

GEORGETTE (riant). - Et c'est pour cela que tu as mis un habit plus épais ? N'importe ! je suis bien aise que tu aies ta jaquette des dimanches. Mademoiselle Suzanne vient passer la journée à la ferme et si elle t'aperçoit...

COLLIN. - Mademoiselle Suzanne ! La demoiselle du château ?

GEORGETTE. - Justement. Tu ne la connais pas. Elle ne vient qu'aux vacances et ordinairement tu es chez grand-mère.

COLLIN. - Pourquoi ne m'as-ta pas dit qu'elle venait aujourd'hui ?

GEORGETTE. - Parce que je ne l'ai su que ce matin. Mais qu'est- ce que tu as donc à la main ?

COLLIN (cachant vivement sa main derrière son dos). - Moi ! Rien.

GEORGETTE (la lui prenant). - Comment, rien ? mais si : tu es écorché, tu saignes.

COLLIN (retirant sa main). - Oh ! ce n'est pas la peine d'en parler !

GEORGETTE (la reprenant). - Laisse-moi donc voir ! (Elle examine la main). Comment donc t'es-tu fait cela ? On dirait que tu es tombé.

COLLIN (avec vivacité). - Tombé ! mais non, pas du tout.

GEORGETTE. - Alors d'où cela vient-il ? Est-ce que tu te serais battu ?

COLLIN. - Battu ?

GEORGETTE. - Oui, battu !

COLLIN. - Non... C'est-à-dire je ne me suis pas battu ; on m'a battu.

GEORGETTE. - On t'a battu ! Qui donc cela ?

COLLIN (cherchant). - Qui ?... qui... C'est... c'est ce grand Baluchard.

GEORGETTE. - Baluchard ! Par exemple ! Et pourquoi Baluchard t'a-t-il battu ?

COLLIN (de même). - Eh bien ! Voilà !... Je revenais bien tranquillement sur Bonaventure, lorsque, en passant devant la maison de la mère Basile, j'ai rencontré Baluchard... Il m'a cherché querelle, je ne sais pas pourquoi, et il m'a battu.

GEORGETTE. - Comment ! un grand garçon comme Baluchard maltraiter un enfant de ton âge.

COLLIN. - C'est qu'aussi, vois-tu, Georgette, il ne savait plus ce qu'il faisait.

GEORGETTE. - Pourquoi cela ?

COLLIN. - Oui... il sortait du cabaret du père Benoît, et alors...

GEORGETTE. - Du cabaret du père Benoît ! Mais tu viens de me dire que tu l'as rencontré devant la maison de la mère Basile ; le cabaret du père Benoît n'est pas du tout de ce côté-là.

COLLIN. - Qu'est-ce que cela fait ? Il peut bien y être allé et se trouver ensuite dans un autre endroit.

GEORGETTE. - C'est vrai, quoique cependant il y ait une distance entre les deux... Oh mais ! pour le coup, il peut être sûr que je le dirai à son père la première fois qu'il viendra à la ferme !

COLLIN. - Non, je t'en prie, Georgette, n'en parle à personne. Il voudrait se venger et me maltraiterait encore davantage à l'occasion.

GEORGETTE. - Eh bien ! nous verrons !... Cela ne te fait plus de mal au moins !

COLLIN. - Non, plus du tout.

GEORGETTE.- Tant mieux. (Elle continue ses arrangements et ses apprêts). Ah ! mes pêches maintenant. Toi, reste là ; tu viendras me chercher si mademoiselle Suzanne arrive avant mon retour.
     (Elle sort en courant).


SCÈNE III.



COLLIN (seul). - Ses pêches ! Ah oui ! qu'elle les cherche ses pêches ! Il y a beau temps qu'elles sont délogées !... Pourquoi aussi ne m'a-t-elle pas dit qu'elle les gardait pour mademoiselle Suzanne ? Voilà ce que c'est !... Elles étaient joliment bonnes ! Les trois que j'ai mangées du moins, car la quatrième je la tenais à la main lorsque mon âne m'a jeté par terre et je ne sais pas ce qu'elle est devenue. Ce Bonaventure, qui se serait jamais douté qu'il était capable de vous jouer de pareils tours !



SCÈNE IV.

SUZANNE, COLLIN.



SUZANNE (à la cantonade). - Merci, Prudence, attendez-moi sous ces arbres avec votre tricot, s'il vous plaît. (Descendant sur le devant du théâtre). Georgette doit être de ce côté.

COLLIN (à part). - Qu'est-ce que je vois ! la demoiselle qui se trouvait tantôt chez la mère Basile !


SUZANNE (reconnaissant Collin). - Tiens ! c'est le petit garçon de tout à l'heure... (À Collin) Bonjour, petit. Tu ne te ressens plus de ta chute de ce matin ?

COLLIN (embarrassé). - Non, merci bien, mademoiselle.

SUZANNE. - Allons ! tant mieux... Georgette n'est pas par ici ?

COLLIN (de même). - Ma sœur Georgette ?

SUZANNE. - Ah ! c'est ta sœur ? Elle devait m'attendre en cet endroit.

COLLIN (à part). - Ah ! mon Dieu ! c'est la demoiselle du château ! J'en suis sûr. (Haut). Est-ce que vous seriez par hasard mademoiselle Suzanne ?

SUZANNE. - Mais oui.

COLLIN (à part). - Comment faire ? Si elle voit Georgette, elle ne va pas manquer de tout lui dire. Si je pouvais l'empêcher de rester. Qu'est-ce que j'imaginerais bien ?

SUZANNE. - Tu ne sais pas où est ta sœur ?

COLLIN. - Ma sœur ?

SUZANNE. - Oui, Georgette !

COLLIN (à part). - . Ah ! une idée ! (Haut). Elle est malade.

SUZANNE. - Malade ! (Montrant le couvert). Qui donc a apprêté tout cela ? Est-ce que ce n'est pas elle ?

COLLIN. - Si ; mais elle a été obligée d'aller se recoucher.

SUZANNE. - Se recoucher ! Il faut qu'elle soit bien malade en effet.

COLLIN. - Oui ; elle m'avait même envoyé pour vous prévenir et je me préparais à aller au-devant de vous quand vous êtes arrivée. Elle vous prie de revenir une autre fois.

SUZANNE. - Malade ! Mais ce n'est pas possible !

COLLIN. - Si, vraiment.

SUZANNE. - Je vais la voir alors.

COLLIN. - Elle n'est pas à la maison.

SUZANNE. - Où donc est-elle ?

COLLIN. - Chez Grand-mère, à une demi-lieue d'ici.

SUZANNE. - À une demi-lieue seulement ! Je vais chercher ma bonne Prudence et j'y cours.
     (Elle sort précipitamment).


SCÈNE V.


COLLIN (seul). - La voilà partie ! D'ici à ce qu'elle aille chez grand-mère et qu'elle en revienne... C'est qu'elle aurait tout raconté à Georgette : que j'ai fait courir Bonaventure, qu'il m'a jeté par terre, que je suis tombé dans la boue, que je me suis écorché la main. Moi, qui avais si bien arrangé tout...



SCÈNE VI.

GEORGETTE, COLLIN.


GEORGETTE (pleurant). - Mes pêches !

COLLIN. - Eh bien ! quoi, tes pêches ?

GEORGETTE. - Elles n'y sont plus.

COLLIN (avec une surprise feinte). - Vraiment !

GEORGETTE. - Il n'en reste pas une seule. — Je suis sûre que c'est toi qui les as prises.

COLLIN. - Moi ! Par exemple !

GEORGETTE. - Qui veux-tu que ce soit ? Elles y étaient encore hier.

COLLIN. - La belle raison ! Veux-tu que je te dise, moi, qui les a mangées, tes pêches ?

GEORGETTE. - Tu le sais ?

COLLIN. - Oui, je n'ai pas voulu t'en parler de peur de te faire de la peine.

GEORGETTE. - Eh bien ! qui est-ce ?

COLLIN (cherchant). - C'est.... c'est c'est la chèvre de la mère François.

GEORGETTE. - La chèvre ?

COLLIN. - Oui.


GEORGETTE. - Quand cela ?


COLLIN. - Hier dans l'après-midi.
 




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