PIECES  DE  THEATRE  POUR  ENFANTS.

 
 

LE CHAT BOTTÉ

COMÉDIE EN DEUX ACTES.

 

Eudoxie Dupuis


1893

domaine public


PERSONNAGES :

JEANNOT.

LA PRINCESSE.
SCARAMOUCHE. (Le chat).
LE MINISTRE DINDINOS.
LE ROI.



ACTE PREMIER.



     Le théâtre représente l'intérieur d'une cabane misérable. D'un côté une botte de paille, sur laquelle est assis Jeannot, de l'autre un panier garni de foin pour Scaramouche.



SCÈNE I.



JEANNOT, SCARAMOUCHE, pelotonné sur lui-même
à la manière des chats et semblant endormi.



JEANNOT (se partant à lui-même). - Hélas ! Hélas ! que je suis à plaindre ! Y a-t-il sous le soleil quelqu'un de plus malheureux que moi ? Que me reste-t-il au monde, si ce n'est les deux yeux pour pleurer et ce chat, ce pauvre Scaramouche ? Mais aussi a-t-on jamais vu un partage plus inégal ? Mon frère aîné a le moulin de mon père, l'autre son âne ; tous deux pourront gagner leur vie. Tandis que moi, quel parti veut-on que je tire d'un chat ? Certainement celui-là est gentil, on ne peut pas dire autrement; mais c'est égal, je vais être être obligé de le manger. (Il pousse un soupir). Cela me fait de la peine ; sans compter qu'il n'est pas trop gras ! Et puis après ? Quand je l'aurai mangé ? il faudra que je me décide à mourir de faim, monsieur. Je pourrai, il est vrai ; avec sa peau, me doubler un habit pour l'hiver ; seulement je n'irai pas jusque-là, c'est sûr. Pauvre Jeannot et pauvre Scaramouche !... Jamais je n'aurai le coeur de le mettre en gibelotte !


     (Il se met à pleurer).


SCARAMOUCHE (il s'est levé tout doucement pendant que son maître parlait et est venu se poster en face de lui). - Et vous aurez grandement raison, notre maître, de n'en rien faire. Quand vous m'aurez mangé, en serez- vous beaucoup plus avancé ?


JEANNOT. - C'est justement ce que je me disais.


SCARAMOUCHE. - D'ailleurs, comme vous le disiez aussi, je ne ferais pas un fameux plat.


JEANNOT. - Oh ! Non.


SCARAMOUCHE. - Je suis en effet un peu maigre.


JEANNOT. - Oh ! Oui.


SCARAMOUCHE. - N'importe, ne vous lamentez pas; vous verrez bientôt que vous n'avez pas fait en moi une si mauvaise acquisition.


JEANNOT. - Comment cela ?


SCARAMOUCHE (continuant). - Que serait-il arrivé, je vous le demande, si vous aviez eu pour lot le moulin ? Il vous aurait fallu travailler ; et dame ! travailler, vous le savez, not' maître, ce n'est pas votre fort.


JEANNOT. - Ah ! c'est bien vrai !


SCARAMOUCHE. - Est-ce que vous regretteriez l'âne par hasard ? Ah ! vraiment vous reconnaîtrez bientôt que je vaux mieux que lui. À quoi était-il bon, ce baudet-là, si ce n'était à porter de la farine au moulin ?


JEANNOT. - Je ne dis pas.


SCARAMOUCHE (continuant). - Et quel besoin a-t-on d'un âne, quand on n'a plus de farine ?


JEANNOT (avec admiration). - Comme il raisonne, ce Scaramouche !


SCARAMOUCHE (continuant). - En voilà un qui vous aurait coûté cher à nourrir !


JEANNOT. - C'est bien possible.


SCARAMOUCHE. - Tandis qu'au contraire, c'est moi qui vous nourrirai.


JEANNOT. - Toi !


SCARAMOUCHE. - Oui, moi, moi-même. Et je ne me contenterai pas de vous nourrir, je vous ferai faire votre chemin dans le monde.


JEANNOT. - Dans le monde !


SCARAMOUCHE. - Dans le monde, et même à la cour.


JEANNOT. - À la cour !


SCARAMOUCHE. - Je veux que vous deveniez un seigneur riche et puissant.


JEANNOT. - Mon pauvre Scaramouche, tu es fou !


SCARAMOUCHE. - Pas tant que vous croyez. Non, non, j'ai mon idée !... Mais d'abord il me faut un sac.


JEANNOT. - Un sac ?


SCARAMOUCHE. - Oui, un sac de toile.


JEANNOT. - Attends, attends ; j'ai ton affaire. Il y a là un vieux sac à farine que mon frère le meunier a oublié. (Il va chercher un sac dans un coin).


SCARAMOUCHE (passant le cordon du sac à son cou). - C'est très bien.


JEANNOT. - Qu'en veux-tu faire ?


SCARAMOUCHE. - Vous le saurez plus tard. Pour commencer je vais me chausser.


JEANNOT. - Te chausser !


SCARAMOUCHE. - Oui, attendez un peu.


     (Il sort).



SCÈNE II.



JEANNOT (seul). - Qu'est-ce qu'il peut bien vouloir dire avec, se chausser ? Les chats n'ont pas coutume de porter des souliers ; c'est même bien commode pour eux, parce qu'ils ne sont pas obligés d'en acheter ; tandis que moi.... En voilà qu'ils prennent l'eau. Comment ferai-je pour les remplacer ? (Il se remet à pleurer). Bon ! c'est bien le moment de songer à mes souliers, quand je n'ai rien à me mettre sous la dent !


     (Le chat rentre botté).



SCÈNE III.



JEANNOT, SCARAMOUCHE.



JEANNOT. - Des bottes ! Ah! par exemple ! en voilà bien d'une autre ! A-t-on jamais vu un chat... botté ! Où as-tu pris ces bottes ?


SCARAMOUCHE. - Ce sont celles que vous portiez lorsque vous êtes sorti du maillot. Votre mère nourrice les avait gardées, la brave femme ; je les lui ai chipées. N'est-ce pas qu'elles me vont bien ?


JEANNOT. - Très-bien... Mais à quoi te serviront-elles ?


SCARAMOUCHE. - À marcher dans les ronces et les broussailles donc, sans endommager mes pattes. Je suis délicat, et je n'aimerais pas à me déchirer la peau.


JEANNOT. - Est-il futé, ce Scaramouche ! En a-t-il des idées ! Sais-tu que je n'aurais jamais imaginé cela ?


SCARAMOUCHE. - Oh ! not' maître, vous n'imaginez pas grand chose.


JEANNOT. - Ça, c'est vrai que quant à l'invention !... Mais ce sac, que vas-tu en faire ?


SCARAMOUCHE. - Ne seriez-vous pas bien aise de manger une bonne pièce de gibier ?


JEANNOT. - Je le crois bien ! Car pour ce qui est de manger, je m'y entends ; je suis joliment à mon affaire. Mais quel rapport ce sac a-t-il avec le gibier ?


SCARAMOUCHE. - Vous le saurez bientôt. Laissez-moi faire.


     (Chantant).


Air : De la fille de Madame Angot.


Scaramouche on me nomme,
Miaou, miaou, miaou !
Et de Paris à Rome,
Miaou, miaou, miaou !
Pas un n'est qui me vaille,
Miaou, miaou, miaou l
Ni comme moi travaille
Miaou, miaou, miaou, miaou !
À cent milles à la ronde,
Toute la postérité,
Tant que durera le monde,
Connaîtra le chat botté. (bis pour les quatre derniers vers)



JEANNOT (qui tout le temps que Scaramouche a chanté a battu la mesure de la tête). - Il ne se contente pas de savoir miauler et même parler, ce chat-là : il chante, et pas mal du tout encore !


SCARAMOUCHE. - Au revoir, not' maître. Faites un bon somme en m'attendant ; car c'est encore une chose à laquelle vous vous entendez assez bien.


     (Il sort).


SCÈNE IV.



JEANNOT (seul). - (Il s'étend sur sa botte de paille). Il a raison, Scaramouche, c'est ce que je fais le plus volontiers. Aussi tous, au moulin, m'appelaient paresseux. Paresseux ! c'est bientôt dit ! Le fait est que je n'aime pas beaucoup à travailler ; mais on n'a qu'à me donner à faire ce que je sais : dormir, comme dit Scaramouche, ou bien encore manger ; je m'en acquitterai tout aussi bien qu'un autre ; mieux peut-être. (Après un instant de silence). Qu'est-ce que ce Scaramouche est allé faire avec son sac ?... A-t-il de l'esprit ce matou-là !... Oh ! oui, ce serait dommage de le tuer. C'est un chat comme on n'en voit pas ! Que de bonnes parties nous avons faites ensemble dans le grenier du moulin ! M'a-t-il amusé lorsqu'il faisait la chasse aux souris ! Il avait mille façons de les attraper, mille tours à leur jouer, tous plus drôles les uns que les autres. Un jour, je me le rappelle, il s'était roulé dans la farine pour les surprendre. Les voilà qui sortent sans défiance de leur trou. Elles avancent tout doucement, tout doucement. Quand elles sont bien à sa portée, pouf !... Scaramouche fait un saut et se trouve au milieu de la bande. En est-il resté sur la place, ce matin-là ! Oh ! non, ce n'est pas une bête qu'un chat pareil... C'est égal, je voudrais bien savoir pourquoi il lui a fallu un sac... Bon ! quand je me creuserai la tête à chercher... Ça me fatigue et ça n'avance à rien. Puisqu'il a dit qu'il allait revenir bientôt..... Dormons en attendant, comme il me l'a conseillé. (Il s'étend de nouveau et s'endort).



SCÈNE V.

JEANNOT, SCARAMOUCHE (entrant).


SCARAMOUCHE (se parlant à lui-même). - Il me semble que, pour un coup d'essai, je n'ai pas été trop malheureux. (À Jeannot). Allons ! not' maître, réveillez-vous et venez voir ma chasse.


JEANNOT (se frottant les yeux). - Ta chasse !


SCARAMOUCHE. - Eh ! oui, voilà un lapin, deux perdreaux et une vieille corneille.


     (Il les retire du sac).


JEANNOT. - C'est ma foi vrai !


SCARAMOUCHE. - La corneille ce sera pour vous.


JEANNOT. - Pour moi ! Et le reste ?


SCARAMOUCHE. - Le reste, c'est pour moi.


JEANNOT. - Comment, pour, toi ! Ainsi je n'aurai pour ma part que ce vilain oiseau noir et coriace, tandis que tu vas manger à toi tout seul ce magnifique lapin et ces deux beaux perdreaux !


SCARAMOUCHE. - Je n'ai pas dit que j'allais les manger.


JEANNOT. - Qu'est-ce que tu vas en faire ?


SCARAMOUCHE. - Pour le moment, cela ne vous regarde pas. Vous le saurez plus tard.


JEANNOT. - Dis-moi au moins comment tu t'es procuré ce gibier.


SCARAMOUCHE. - Eh bien, voilà ! Je suis allé m'allonger dans un champ, derrière une touffe d'arbustes, mon sac étendu à terre à côté de moi et tout ouvert. Tenez, comme cela. (Il place son sac par terre de la manière qu'il explique et s'allonge à côté). J'avais d'abord eu soin de mettre au fond des herbes dont les lapins sont friands ; de la sauge, du thym, du serpolet.


 




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