PIECES  DE  THEATRE  POUR  ENFANTS.

 
 

JEANNOT. - Je n'aurais jamais eu cette idée-là, moi !


SCARAMOUCHE (continuant et faisant les choses à mesure qu'il les dit). - Je tenais les cordons du sac entre mes pattes de cette manière et je faisais semblant de dormir. Voilà que ce lapin vient comme un étourdi goûter à mes herbes...


JEANNOT. - Le nigaud !


SCARAMOUCHE (continuant). - Je tire la ficelle et... crac ! le lapin est prisonnier. (Il se relève). Je lui tords le cou et je replace mon sac.


JEANNOT (avec admiration). Est-il malin, ce Scaramouche !


SCARAMOUCHE (continuant). Maintenant ce sont ces deux perdrix qui s'avisent de venir voir ce qu'il y a là dedans ; je tire de nouveau la ficelle et je les prends Ce n'est pas plus difficile que cela.


JEANNOT (en levant les bras au ciel). - Est-il assez malin ! Mais, encore une fois, que vas-tu faire de ce gibier ?


SCARAMOUCHE. - Encore une fois, c'est mon secret. Vous le saurez plus tard. (Il remet le lapin et les perdrix dans son sac qu'il jette sur son dos). Adieu, not' maître. À bientôt ! (Il sort).


JEANNOT. - Bon ! le voilà encore parti et il me laisse de nouveau tout seul. Je veux savoir où il va. (Il sort).


SCARAMOUCHE (en dehors). - À bientôt, not' maître !

     (Il s'éloigne en fredonnant le refrain :)


À cent milles à la ronde
Toute la postérité,
Tant que durera le monde,
Connaîtra le Chat botté..

     (La voix se perd dans l'éloignement).



ACTE II. 

Le théâtre représente une salle dans le palais du roi.



SCÈNE I.



LE ROI (sur son trône avec une couronne d'or et un sceptre à la main),
DINDINOS 
(assis devant une petite table où il écrit).



LE ROI. - Eh bien, Dindinos, avons-nous bientôt fini ?


DINDINOS (posant sa plume et venant s'incliner devant le roi). - Sire, il n'y a plus d'affaires pour aujourd'hui.


LE ROI. - Tant mieux ! Quel métier fatigant que celui de roi ! Quand je pense qu'il est près de midi, que voilà déjà deux heures que je suis levé et que je n'ai encore fait qu'un repas ! Je ne serais pas fâché de recommencer. Mais quel est ce bruit ? Courez voir ce qui se passe par là, Dindinos.


     (Dindinos sort et rentre presque aussitôt).


DINDINOS. - Sire, c'est l'intendant de monsieur le marquis de Carabas qui demande si vous voulez bien lui faire la grâce de le recevoir.


LE ROI. - L'intendant du marquis de Carabas ! Certainement, certainement. Son maître est le seigneur le plus aimable et le plus poli de ma cour. Depuis quelque temps,c'est lui qui fournit ma table de gibier et je n'en ai jamais mangé de meilleur. Les premières pièces qu'il m'a offertes étaient un lapin et deux perdreaux que je n'oublierai de ma vie.


D1NDIN0S. - Je crois, Sire, qu'il vous apporte quelque chose du même genre.


LE ROI. - Qu'il entre donc ! qu'il entre bien vite !


     (Dindinos sort et rentre aussitôt).



SCÈNE II.

SCARAMOUCHE, LE ROI, DINDINOS.



SCARAMOUCHE (déposant plusieurs pièces de gibier aux pieds du roi, avec une grande révérence). - Sire, je vous apporte un lièvre et une demi-douzaine de cailles que monsieur le marquis de Carabas m'a chargé de vous présenter.


LE ROI (prenant le lièvre). - Voilà un lièvre d'une belle grosseur et des cailles tout à fait appétissantes... C'est justement mon gibier favori. Tu remercieras ton maître de ma part et tu lui diras qu'il me fait plaisir, grand plaisir !


SCARAMOUCHE. - Sire, mon maître, le marquis de Carabas, est trop heureux de pouvoir vous être agréable.


LE ROI (fouillant dans sa poche et donnant au chat une pièce de monnaie). - Tiens ! Voilà pour boire à ma santé. Dis encore à ton maître que je serai charmé de faire sa connaissance ; voilà bien longtemps que j'en ai envie.


SCARAMOUCHE. - Sire, je ferai part à mon maître du désir de votre majesté.


     (Il sort).



SCÈNE III.


LE ROI, DINDINOS, puis LA PRINCESSE.



LE ROI. - Qu'on porte ce gibier à l'office et qu'on recommande au cuisinier de l'accommoder pour le dîner à une sauce nouvelle, la meilleure qu'il pourra inventer.


     (Dindinos prend le gibier et va le remettre à la porte à un domestique).


LE ROI (continuant). - En attendant, qu'on me serve à déjeuner et qu'on avertisse la princesse, ma fille, de descendre.


LA PRINCESSE (entrant). - Me voici, mon père.


LE ROI. - Eh bien ! à table alors. Je meurs de faim ; j'ai tant travaillé aujourd'hui. Après déjeuner, nous irons faire un tour de promenade ou bien pêcher à la ligne.


     (Le roi donne la main à la princesse ; ils sortent tous deux, suivis du ministre).



SCÈNE IV.


SCARAMOUCHE, puis JEANNOT.



SCARAMOUCHE (entrant et faisant signe à Jeannot qui est dans la coulisse). - Arrivez ! arrivez donc, not' maître ! Je vous dis qu'il n'y a plus personne. Ils sont tous à déjeuner, et Dieu sait qu'ils en ont pour longtemps.


JEANNOT (entrant timidement et regardant avec inquiétude autour de lui). - Où sommes-nous ?


SCARAMOUCHE. - Dans le palais du roi.


JEANNOT (effrayé). Dans le palais du roi ! Ah ça ! mon pauvre Scaramouche, tu es devenu tout à fait fou !


SCARAMOUCHE. - Nous verrons ! nous verrons !


JEANNOT (de même). - Dépêchons-nous de nous sauver ! Si on allait nous trouver là ?


SCARAMOUCHE. - Il n'y a pas de danger. Je vous répète qu'ils sont à table.


JEANNOT. - Tu en es bien sûr.


SCARAMOUCHE. - Eh oui ! Soyez donc tranquille !


JEANNOT (se rassurant peu à peu). - Je me demande comment tu as fait pour pénétrer jusqu'ici ; moi, je me serais perdu trente-six fois au milieu de toutes ces salles, ces galeries, ces couloirs. Toi, tu t'y faufilais aussi facilement que jadis dans notre moulin.


SCARAMOUCHE. - C'est qu'aussi ce n'est pas la première fois que j'y passe.


JEANNOT (étonné). - Ah bah !

SCARAMOUCHE. - Oui : je suis déjà venu plusieurs fois à la cour.


JEANNOT (avec stupéfaction). - À la cour ! Et quoi faire ?


SCARAMOUCHE. - Apporter du gibier au roi.


JEANNOT. - Au roi ! C'est donc cela que tu ne me laissais presque rien à manger, et que, pendant que tu entassais tant de bonnes choses dans ton sac, j'étais forcé de me contenter de pain sec ?


SCARAMOUCHE. - Plaignez-vous ! Je vous ai fait passer auprès du roi pour le personnage le plus aimable et le plus généreux.


JEANNOT. - Voyez-vous ça !


SCARAMOUCHE. - D'abord le gibier que je lui apportais, c'était de votre part (avec emphase), de la part de monsieur le marquis de Carabas ; c'est le nom que je vous ai donné. Mais ce n'est pas tout ; je me suis arrangé de façon que le roi vous croit aussi le seigneur le plus riche de son royaume.

JEANNOT. - Le plus riche ! Cela me semble difficile. Comment as-tu fait ?


SCARAMOUCHE. - Voilà ! il a quelques jours Sa Majesté se promenait en carrosse, son carrosse tout doré, avec la princesse sa fille. Comme ils allaient traverser une prairie, qu'on était en train de faucher, je pris les devants et je courus dire à ceux qui travaillaient : « Bonnes gens qui fauchez, si vous ne dites au roi que le pré que vous fauchez appartient à monsieur le marquis de Carabas, vous serez tous hachés menu comme chair à pâté ! »


JEANNOT. - Bon !


SCARAMOUCHE. - Quelques instants après, lorsque le roi vint à passer, il demanda aux faucheurs à qui était ce pré qu'ils fauchaient. Alors ils répondirent tous à la fois : « Sire, c'est à monsieur le marquis de Carabas. » Le roi s'écria : « Voilà une belle prairie et du foin qui donne envie d'en manger ! »


JEANNOT. - Il n'est jamais à court d'expédients, ce Scaramouche.


SCARAMOUCHE. - Je continuai de marcher en avant du carrosse et j'arrivai à un champ de blé où l'on faisait la moisson. « Bonnes gens qui moissonnez, dis-je encore aux ouvriers, si vous ne soutenez que ce blé que vous moissonnez appartient à monsieur le marquis de Carabas, vous serez tous hachés menu comme chair à pâté. »


JEANNOT. - Voyez-vous ça !


SCARAMOUCHE. - Le roi, qui survint quelques instants après, demanda à qui étaient tous ces beaux blés, et les moissonneurs de répondre tous ensemble comme les autres : « Sire, c'est à monsieur le marquis de Carabas. »

JEANNOT. - Voilà des biens. qui ne m'ont pas coûté cher à acheter...


SCARAMOUCHE. - Ce n'est pas tout... Sur le chemin du roi se voyait un superbe château ; j'ai trouvé moyen de faire accroire au roi que ce château aussi était à vous et de lui y donner une excellente collation de votre part.


JEANNOT. - Oh ! pour le coup, c'est trop fort !


SCARAMOUCHE (continuant). - Aussi a-t-il le plus grand désir de vous connaître. Il faut que je vous présente à Sa Majesté, pas plus tard qu'aujourd'hui.

JEANNOT. - Moi !


SCARAMOUCHE. - Oui, vous.


JEANNOT. - Eh ; mon pauvre Scaramouche, je te le répète, tu es fou.


SCARAMOUCHE. - Et moi, je vous répète que je ne suis pas si fou que vous croyez.


JEANNOT. - Comment d'ailleurs pourrais-je me montrer au .roi dans les misérables habits que je porte ?


SCARAMOUCHE. - Ne vous embarrassez pas de cela. Le voici de retour de la promenade ; allez-vous baigner ici près, dans la rivière qui passe sous ses fenêtres, et laissez-moi arranger les choses.


JEANNOT. - Le fait est que je n'ai pas besoin de m'en mêler.


     (Il sort).


SCARAMOUCHE (seul, se frottant les pattes de contentement). - Allons ! nos petites affaires ne marchent pas mal; mais je ne suis pas encore satisfait. J'ai mon idée en tête ; il faudra bien que je parvienne à la réaliser. (Regardant dans la coulisse). Bon ! Voilà le roi et sa cour qui rentrent dans le palais, je me sauve.


     (Il sort)



SCÈNE V.


LE ROI, LA PRINCESSE, DINDINOS.



LE ROI (entrant en donnant la main à la princesse). - Ah ! cette petite promenade m'a fait du bien !.... Et à toi, ma fille ?


LA PRINCESSE. - À moi aussi, mon père.


LE ROI. - Rien n'est meilleur que de prendre un peu d'exercice après déjeuner.


LA PRINCESSE. - Et puis il faisait si beau !


SCARAMOUCHE (criant du dehors). - Au voleur !! au voleur !


LE ROI. - Qu'est-ce qu'il y a ? Que veulent dire ces cris. Allez voir, Dindinos !


 




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