PIECES  DE  THEATRE  POUR  ENFANTS.

 
 

J'AI CHANTÉ POUR TOI

Comédie en un acte et six tableaux

par Raymond RICHARD

PERSONNAGES :

ROBERT, dit BIBI, dix ans.
LES 2 GOSSES, huit à douze ans.
LA CONCIERGE.
L'AGENT DE POLICE.
LA PASSANTE.
LA MÈRE.

 

PREMIER TABLEAU - DANS LA RUE


     Cette scène se jouera devant le rideau fermé. Bibi, seul, s'amuse avec un bateau en papier qu'il pousse dans un ruisseau imaginaire.

     Il est vêtu très pauvrement, tablier presque en loques, cheveux ébouriffés, figure barbouillée mais intelligente et sympathique, le vrai gosse des rues immortalisé par Poulbot.

 

SCÈNE I - BIBI seul.


BIBI : (accroupi et chantonnant) : Il était un petit navire,
Il était un petit navire,
Qui n'avait ja, ja, jamais navigué...
     (parlé) Pour sûr ! ce maudit bateau n'a jamais navigué et ne naviguera jamais ! Il prend l'eau comme mes godillots et se déchire comme mes fonds de culotte. Ah ! misère ! ce n'est pas drôle le métier de navigateur !...
     Évidemment, c'est une mauvaise heure. Le ruisseau est presque à sec. Il faudra que je revienne au moment où les ménagères vident leur eau de vaisselle. Là, au moins, c'est du sport ! On se croirait au bord de la Grande Bleue, foi de Bibi ! (bruit d'eau qui coule) Oh ! chic ! La concierge du trente-huit m'envoie son eau de lessive. Profitons de la crue et vive la marine !
     (Il s'accroupit dans le ruisseau et chante en poussant son bateau).
Il était un petit navire,
Il était un petit navire,
Qui n'avait ja...

     (Entrent les deux gosses à droite, chargés d'un bouquet et d'un petit paquet. Leurs vêtements modestes mais propres les classent dans un milieu social supérieur à celui de Bibi).


SCÈNE II - BIBI ; LES DEUX GOSSES


1er GOSSE : Oh ! mais c'est Bibi !

2e GOSSE : Eh ! Bibi, qu'est-ce que tu fais là ? T'apprends à nager ?

BIBI : (se retourne et se lève) Pas du tout, tête d'hareng ! (sérieux) J' fais une croisière en Méditerranée.

LES 2 GOSSES : (riant) Une croisière en Méditerranée !... ah ! ah ! ah !... Mais t'as la folie des grandeurs, mon pauv' vieux !

BIBI : (haussant les épaules) Oh ! rigolez, rigolez ! Vous pouvez pas comprendre... (un temps) Et vous, où vous allez avec ces fleurs et ces paquets ? C'est-y qu' vous auriez gagné à la Loterie Nationale ?

1er GOSSE : Décidément, mon pauv' Bibi, tu tombes de la lune. Enfin, tu sais donc pas que c'est aujourd'hui la Fête des Mères ?

BIBI : (ahuri) La Fête des Mères ?

2e GOSSE : Eh oui, marin d'eau douce, la Fête des Mères ! Tu comprends pas l' français ?

1er GOSSE : On n' te l'a donc pas dit à l'école ?


BIBI : À l'école ? J'y vas pas !

2e GOSSE : (moqueur) Ah ! oui, tu préfères sans doute faire des croisières dans les ruisseaux.

BIBI : J' préfère... oh ! non, c'est pas que j' préfère. Au contraire, j'aimerais bien aller en classe, moi aussi, seulement...

1er GOSSE : Seulement quoi ?

BIBI : Seulement... j' suis bien trop moche ! Non, mais zieutez-moi un peu avec mes souliers qui bâillent comme des huîtres, mon tablier de purotin et mon fond d' culotte à courants d'air. Vous comprenez, j'ai pas envie que les copains se fichent de moi à l'école !

LES 2 GOSSES : (surpris et un peu gênés) Ah ! c'est pour ça ?

BIBI : Oui, c'est pour ça que j' préfère traîner les rues. C'est pour ça que j'ai jamais entendu parler d' la Fête des Mères... Voilà !... (un temps) Mais, dites-moi, qu'est-ce que c'est que cette histoire de Fête des Mères ?

1er GOSSE : C'est pas une histoire, mon vieux Bibi, c'est même très sérieux. Tous les ans, au mois de mai, les enfants fêtent, le même jour, leur maman et leur manifestent leur reconnaissance -ça, c'est une phrase du maître- en leur apportant des fleurs...

2e GOSSE : (montrant son paquet) En leur offrant un petit cadeau...

1er GOSSE : En leur faisant de grosses bises...

2e GOSSE : En se montrant, ce jour-là, gentil comme tout avec elle !

BIBI : (naïvement) Alors, le lendemain, on peut faire des blagues ?

1er GOSSE : (riant) Non, c'est-à-dire si !... Enfin, ce jour-là, on fait attention pour que le maman garde un joli souvenir de ce dimanche de mai.

BIBI : (rêveur) C'est rigolo, tout de même !

2e GOSSE : Comment rigolo ?

BIBI : Enfin, j' veux dire, c'est une bonne idée, c'est gentil, quoi !... Et moi qui n' savais rien !... (un temps) Alors, vous dites que cette fête a lieu aujourd'hui ?

LES 2 GOSSES : Oui.

BIBI : Et que tous les gosses font la même chose ?

1er GOSSE : Bien sûr ! tous les gosses : les garçons, les filles, les gosses de ville, les gosses de la campagne, ceux du Nord et ceux du Midi, ceux de Gascogne et ceux d'Alsace, les riches, les pauvres, les grands, les petits, tous les gosses, quoi, fêtent aujourd'hui leur maman !

     (Cette énumération pourra être faite par les deux gosses, dans un crescendo très rapide).

BIBI : (atterré) Ah ! ça, alors !... Et moi qui allais manquer cette occasion !... (un temps) En somme, si j'ai bien compris, pour marquer cette date, vous aller lui offrir des fleurs à votre mère ?

1er GOSSE : Oui, et même on lui fera un petit cadeau avec nos économies. (Montrant son paquet) Tu vois, moi j' lui ai acheté une broche ornée de rubis.

BIBI : (Avec un sifflement d'admiration) Des rubis ! Mazette ! T'es donc millionnaire ?

1er GOSSE : Non, c'est des rubis en verre. Mais, tu sais, quand on n'en sait rien, c'est aussi joli que des vrais.

2e GOSSE : Moi, j'ai acheté à maman un flacon de sent-bon. Du sent-bon qu'a même un drôle de nom. Ça s'appelle... attends que je me souvienne !... ah ! oui, ça s'appelle : "Soir d'été en Andalousie".

BIBI : (écrasé d'admiration) Soir d'été en... Oh ! la la ! C' que ça doit sentir bon !... et c' que ça doit être cher !

2e GOSSE : Tu parles ! trente-cinq balles ! Toute ma tirelire y a passé !

1er GOSSE : Alors, tu n' dis plus rien, Bibi. Qu'est-ce que t'attends pour faire comme nous. C'est encore temps, tu sais.

BIBI : ...


2e GOSSE : Tu veux pas lui souhaiter sa fête à ta mère ?

BIBI : (secoue négativement la tête sans répondre).

1er GOSSE : Pourquoi ? Elle t'a flanqué des claques ?

BIBI : Non, mais...

LES 2 GOSSES : Mais quoi ?

BIBI : (après une hésitation) J'ai pas l' rond !

1er GOSSE : Oh ! alors, dans ce cas !... n'en parlons plus. Ce sera pour l'année prochaine. (Brusquement) Allez, mon vieux, on te laisse ta croisière. Nous, on se sauve pour préparer la fête de ce soir.

LES 2 GOSSES : Au revoir, Bibi !

BIBI : (Tristement) Au revoir !

 

SCÈNE III - BIBI seul


     (Demeuré seul, Bibi contemple tristement son bateau qu'il tourne dans ses mains, puis, brusquement, il le jette dans le ruisseau et le regarde en chantonnant d'une pauvre voix cassée).


BIBI : (Chantant) Il était un petit navire,
Il était un petit navire,
Qui n'avait ja, ja... jamais navigué,
Qui n'avait ja, ja... jamais navigué,
     (Il hausse les épaules). Pauv' navire !... pauv' Bibi !... Pauv' Maman !... Comment ferai-je pour t'acheter un bouquet ? J'ai pas l' sou. (retournant ses poches) Pas un rotin ! Rien qu'une bille et un bouton de culotte ! J' peux pas d'mander des sous à Papa... J'ai plus d' Papa ! Ah misère !  J' serai dont le seul gosse qui n' donnera rien à sa maman aujourd'hui.
     Pauv' maman ! ça lui ferait plaisir, pourtant ! Elle a si peu de joies depuis qu' papa est mort ! Toute la journée, des ménages pour gagner quat' sous et le soir, chez nous, la cuisine, la lessive, le racommodage pendant que j' ronfle sur ma paillasse. Ah ! misère de misère !... (un temps) Voyons ! combien ça peut coûter un bouquet ? dix francs, vingt francs, cinquante francs peut-être ? Comment trouver une pareille somme ? J' peux tout d' même pas mendier ou voler !
     Ah ! si j'étais un homme, j' travaillerais, j' travaillerais tout mon saoul pour ma maman. Seulement, voilà ! J' suis pas un homme ! J' suis un pauv' gosse, un pauv' bout d' Bibi qu'a pas l' rond !

     (On entend en coulisse un accordéon ou un orgue de Barbarie qui accompagne un chanteur des rues).

VOIX DU CHANTEUR :

Jolie maman, jolie maman,
Tu es la plus jolie.
Ce soir, c'est ta fête,
Ce soir, c'est la fête
De ma maman jolie. (Sur l'air de Frère Jacques)

     (bruit de pièces qui tombent. Bibi s'est approché, à gauche et a écouté sans un mot le chanteur. Au bruit de l'argent, il sursaute, son visage s'illumine, tandis que le chanteur s'éloigne, reprenant sa complainte).

BIBI : Oh ! j'ai une idée ! une idée épatante ! J'ai trouvé le moyen de gagner, d'ici ce soir, de quoi fêter maman. Cette chanson, je la connais, moi aussi et je ne chante pas plus mal que ce bonhomme. Si j'essayais !... J'ai un peu l' trac, tout de même. J'ai jamais chanté en public depuis la noce de mon cousin Léon. Bah ! ça passera... Allons, Bibi, du courage !... C'est pour maman !

     (Il sort à gauche tandis que le rideau se lève sur une cour. Façades lépreuses, fenêtres où pendent des hardes. Bibi entre à gauche et s'avance timidement jusqu'au centre).


DEUXIÈME TABLEAU - DANS LA PREMIÈRE COUR

 

SCÈNE I - BIBI seul


BIBI : (regardant en l'air) Personne aux fenêtres ! tant mieux ! j'ai l' cœur qui bat comme une horloge. Allez, Bibi, on y va ?
     (Il tousse pour s'éclaircir la voix et commence).
Jolie maman, jolie maman,
Tu es la plus jolie.
Ce soir, c'est ta fête,
Ce soir, c'est la fête...

     (Soudain, la concierge fait irruption à droite, un balai à la main, menaçante et revêche. Elle court sus à Bibi qu'elle frappe à coups redoublés).

 






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