PIECES  DE  THEATRE  POUR  ENFANTS.

 
 

SCÈNE II – BIBI - LA CONCIERGE


CONCIERGE : Ah ! garnement ! galopin ! morveux ! Veux-tu décamper, et vite ! Je vais te montrer si ma cour est une salle de concert. Non, mais voyez-vous ça, ce microbe qui vient donner des sérénades. File ! Ici, on n'accepte pas les mendiants !

BIBI : (blessé) Moi, un mendiant ! Non, mais vous ne m'avez pas regardé, Madame la Concierge. Le mendiant est celui qui tend la main sans rien donner en échange. Moi, je suis un travailleur, je dirais même un artiste qui vient distraire vos locataires.

CONCIERGE : (pouffant) Un artiste ! un travailleur ! Non, mais écoutez-le ! C'est haut comme trois pommes et ça s' croit déjà un homme ! Quant à tes chansons, va les porter plus loin. Mes locataires n'aiment pas la musique. Allez, ouste ! (Elle brandit son balai d'un geste menaçant).

BIBI : (Implorant) Oh ! je vous en prie, Madame la Concierge, soyez gentille ! Laissez-moi chanter une chanson, rien qu'une... C'est pour ma maman !

CONCIERGE : Ça va ! ça va ! Je connais le refrain : la mère malade, les gosses à nourrir, la grand-mère paralysée et le grand-père qui a une jambe de bois. Ça ne prend pas avec moi, mon garçon ! Décampe !

BIBI : Mais puisque j' vous dis...

 

CONCIERGE : Assez discuté, voyou ! Allons ouste ! dehors ! dehors !

     (Elle le pousse à coups de balai et à coups de pieds jusqu'à ce qu'il disparaisse en coulisse. Le rideau tombe. Bibi, frémissant de colère, revient aussitôt à l'avant-scène, devant le rideau fermé).

TROISIÈME TABLEAU - DANS LA RUE.

SCÈNE UNIQUE - BIBI seul.

BIBI : Chameau !... J'ai même pas pu finir le refrain ! (Se frottant les reins) Ah ! quelle poigne, la pipelette ! Sûr, je serai truffé de bleus demain ! (Se calmant) Bah ! J' suis p't-être mal tombé  Essayons ailleurs.

     (Il écarte le rideau qui se lève sur une autre cour. On modifiera quelques détails dans la mise en scène : pots de fleurs, cages d'oiseaux aux fenêtres, etc. pour montrer qu'il s'agit d'un lieu bien différent du premier).

 
QUATRIÈME TABLEAU - DANS LA DEUXIÈME COUR

SCÈNE UNIQUE - BIBI seul


BIBI : (regardant autour de lui) Tiens ! ça paraît plus sympathique ici. Y a des géraniums aux fenêtres, des cages d'oiseaux. Quand on aime les fleurs et les bêtes, on doit avoir bon cœur... Ça fait rien, j'ai la frousse !
     (Il tousse et commence).
Jolie maman, jolie maman,
Tu es la plus jolie.
Ce soir, c'est ta fête,
Ce soir, c'est la fête...

     (Le contenu d'un pot d'eau, jeté d'une fenêtre, interrompt sa chanson).


BIBI : (s'ébrouant) Ah ! ça, par exemple ! Comme accueil, c'est plutôt froid ! Je chante p't-être pas assez fort ! Recommençons.
     (Il reprend un peu plus fort).
Jolie maman, jolie maman,
Tu es la plus jolie.
Ce soir, c'est ta fête,
Ce soir, c'est la fête...

     (Un déluge plus violent que le premier l'interrompt à nouveau).

BIBI : Décidément, ces gens-là n'ont pas l'air d'aimer la musique... à moins que ce soit l'habitude dans l'immeuble de vider son eau sale par la fenêtre. Essayons encore plus fort. On n' doit pas m'entendre au cinquième.
     (Il reprend en hurlant, de toutes ses forces).
Jolie maman, jolie maman,
Tu es la plus jolie.
Ce soir, c'est ta fête,
Ce soir, c'est la fête...

     (Cette fois, c'est une pluie d'épluchures qui s'abat sur sa tête, tandis qu'une grosse voix crie).

LA VOIX : Si tu recommences à nous casser les oreilles, je t'envoie la caisse avec !

BIBI : Bon, bon ! ça va, ça va ! J' m'en vais... (Bas) La brute !... Vois-tu, mon pauv' Bibi, faut pas s' fier aux apparences. Ces gens-là aiment les fleurs et les p'tits oiseaux, mais y détestent la musique.

     (Le rideau se baisse. Le soir est venu peu à peu. La lumière de la rampe baisse insensiblement jusqu'à la fin du cinquième tableau. Bibi entre à gauche, devant le rideau fermé. Il semble très las et découragé. Ses vêtements sont en lambeaux. Il se tamponne le front avec un mouchoir).

 

CINQUIÈME TABLEAU - DANS LA RUE

SCÈNE I - BIBI seul


BIBI : J'en peux plus. J'ai les jambes en coton et la gorge en feu. Combien de cours j'ai visitées ? J' m'en souviens plus : cinq, six... dix peut-être ! Partout, on m'a houspillé, insulté, rabroué, battu. Dans l'une, un gros chien a arraché ce qui restait de mon fond d' culotte. Dans l'autre, des gamins m'ont lancé des pierres. (Touchant son front) J'ai cru qu'ils m'avaient assommé. Ailleurs, la concierge m'a tiré la tignasse et botté le derrière. Et pas une seule fois, pas une seule, j'ai pu finir mon refrain. Toujours au même endroit, i' m'arrivait une tuile. C'est quand même vexant !
     (Il regarde le ciel). La nuit vient. J' vas rentrer chez nous, déchiré, crotté, meurtri... et les mains vides. Drôle de Fête des Mères. Si j'essayais encore un coup ? Qui sait ? J'aurai p't-être plus de chance ! Ouais ! J' vas encore recevoir une tournée ou une douche d'eau d' vaisselle. Rentrons, Bibi, ça vaut mieux.
     Mais Maman, Maman qu'aura rien pour sa fête ! Pauv' maman !... Tant pis, je tente encore la chance. Mais cette fois, j' retourne plus dans une de ces cours de malheur. J' chanterai sur le trottoir, dans la rue, là où j' suis !
     (Il regarde en l'air avec inquiétude). Aïe, aïe, aïe ! qu'est-ce qui va encore me tomber sur la tête ? Allons, du cran, Bibi, c'est la Fête des Mères !
     (Il tousse et commence, mais d'une voix inquiète et cassée. Il regarde peureusement en l'air, rentrant sa tête dans les épaules et courbant le dos à mesure qu'il approche du passage fatal où, toujours, il a été interrompu).
Jolie maman, jolie maman,
Tu es la plus jolie.
Ce soir, c'est ta fête,
Ce soir, c'est la fête...

     (Un agent de police, entré à gauche, pose lourdement sa main sur l'épaule de Bibi).


SCÈNE II – BIBI ; L'AGENT


L'AGENT : (Avec l'accent de Pandore) Ah ! polisson ! Je t'y prends ! Mendicité sur la voix publique, vagabondage et tentative de chantage... Hum ! Articles 204 et 205 du Code Pénal. Ton compte est bon ! Au poste, mon garçon, au poste ! (Il l'empoigne par le bras).

BIBI : Mais voyons, M'sieur l'Agent, j' fais pas d' mal : j' chante pour ma Maman. Vous n'allez tout de même pas me mettre en prison pour ça ? (Hargneux) Vous feriez mieux d'arrêter les voleurs qui courent les rues !

L'AGENT : Quoi, quoi, quoi ? Rebellion ? Outrage à un agent de la force publique dans l'exercice de ses fonctions. Articles 320 et 321 du Code Pénal. Ton compte est bon, mon garçon. Allez, au poste, au poste ! Tu t'expliqueras avec Monsieur le Commissaire !

BIBI : (Éclatant en sanglots et résistant à l'agent qui veut l'entraîner) Non, j' veux pas aller à la poste ! J' suis pas un bandit ! J' m'appelle Bibi ! Laissez-moi, laissez-moi, M'sieur l'Agent. I' faut que j' rentre tout de suite chez moi. Maman m'attend... Lâchez-moi ! Mais lâchez-moi donc ! Au secours ! au secours !

     (La passante est entrée à droite. C'est une dame élégante, richement vêtue. Elle s'approche, intriguée).


SCÈNE III - LES MÊMES ; LA PASSANTE


PASSANTE : Que se passe-t-il ? (Elle touche l'épaule de l'agent qui se retourne). Je vous demande pardon, Monsieur l'Agent, mais qu'a donc fait cet enfant ?

L'AGENT : Ce qu'il a fait ? C'est un voyou, Madame. Il chante et mendie sans autorisation sur la voie publique. Il insulte l'autorité...

BIBI : C'est pas vrai, M'dame !

L'AGENT : (imperturbable) Mendicité, vagabondage, outrage à agent, articles 204 et 205 du Code Pénal : son compte est bon !

PASSANTE : Il n'a pourtant pas l'air bien méchant. Monsieur l'agent. Permettez-moi de l'interroger. (Lui caressant les cheveux). Comment t'appelles-tu, mon petit ?

BIBI : Bibi.

PASSANTE : Bibi ?

BIBI : Oui, Bibi, mais mon vrai nom, c'est Robert. J'habite au 97, sous les toits, au cinquième, avec Maman.

PASSANTE : Et c'est ta maman qui t'a dit de mendier ?

BIBI : Oh ! non, M'dame !... Et pis d'abord, j' mendiais pas. Je chantais, oui, je chantais pour gagner un peu d'argent.

PASSANTE : Que voulais-tu en faire de cet argent ?

BIBI : J' voulais... j' voulais acheter un bouquet à Maman. Vous comprenez, c'est aujourd'hui la Fête des Mères. Alors, comme j'avais pas l' rond, j'ai eu l'idée d'en gagner en chantant dans les cours. C'est pas un crime, ça !

PASSANTE : (émue) Pauvre petit ! (Haut) Et tu as fait une bonne recette ?

BIBI : Une bonne recette !... Ah ! Madame, parlons-en ! J'ai récolté qu' des coups de trique, des injures et des épluchures et, pour finir, M'sieur l'Agent que voici veut m'emmener en prison... comme un voleur ! J' vous en prie, Madame, vous qui avez l'air si bonne, délivrez-moi de ce flic (Haut-le-cœur de l'agent)... de cet agent qui sûrement n'a pas compris. Ma pauvre maman va être inquiète. J' vous en prie, Madame, emmenez-moi, emmenez-moi !

PASSANTE : Calme-toi, mon petit Robert. Je vais essayer d'arranger les choses. (À l'agent) Monsieur L'Agent, cet enfant n'est pas un bien grand coupable. Voulez-vous me le confier ? Je le reconduirai jusque chez lui.

L'AGENT : Mais Madame, la mendicité, l'outrage à agent, l'article 204...

PASSANTE : (souriant) Oh ! Monsieur l'Agent, je vous en prie, laissez l'article 204 pour aujourd'hui et abandonnez-moi le délinquant. Je vous promets qu'il ne recommencera plus... n'est-ce pas, Robert ?

BIBI : C'est promis, M'sieur l'Agent.

L'AGENT : Bon, bon ! ça va pour cette fois. Tu as de la chance, galopin, que Madame se soit trouvée là pour t'arracher aux mains de la justice. Mais que je t'y reprenne plus à chanter sous les fenêtres !... Madame, je vous salue !

PASSANTE : Au revoir, Monsieur l'Agent ! et merci !

     (L'agent sort dignement à gauche).


 

 

SCÈNE IV - LA PASSANTE ; BIBI


PASSANTE : Et maintenant, mon petit Robert, viens avec moi. Nous allons préparer ensemble pour ta maman la plus belle surprise dont elle puisse rêver !

BIBI : (au public) Mince alors ! Et moi qui croyais que les fées, c'était d' la blague !

     (Elle le prend par la main et ils sortent à gauche tandis que le rideau tombe).


 

 

SIXIÈME TABLEAU - CHEZ BIBI


     (Le décor représente le logis de Bibi. Mansarde sordide, pauvrement meublée. Une table, deux chaises. Des hardes sèchent sur une corde.
     C'est le soir. Une lampe à pétrole éclaire tristement la pièce. La maman de Bibi, assise sous l'abat-jour, reprise en silence. On entend le tic-tac d'un réveil. Un train siffle au loin).


LA MÈRE : (levant la tête) L'express de sept heures quinze ! Et Bibi qui n'est pas rentré ! Pourvu qu'il ne lui soit rien arrivé ! (Elle reprend son ouvrage. Nouveau silence. La mère lève à nouveau la tête). Jamais encore il n'est rentré si tard !... Je commence à être vraiment inquiète. (bruits de pas à gauche) Ah ! J'entends des pas ! C'est peut-être lui ? (coup de sifflet) Non, c'est le laitier. Ce gamin me rendra folle ! s'il n'est pas là à la demie, j'irai à sa recherche. Il soit encore traîner dans les rues. (nouveaux bruits de pas, bruyants et précipités) Ah ! cette fois, c'est lui ! Je reconnais son pas discret. Je vais lui passer quelque chose pour lui apprendre à rentrer à des heures pareilles !

     (La porte s'ouvre sous une poussée irrésistible et Bibi, un Bibi transformé, les bras chargés de paquets et de fleurs magnifiques, fait irruption dans la pièce. Il saute au cou de sa mère abasourdie en criant).


 




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