PIECES  DE  THEATRE  POUR  ENFANTS.

 
 

LE  PETIT  CHAPERON  ROUGE

COMÉDIE EN DEUX ACTES.

 

Eudoxie Dupuis
 

1893

 

Domaine public


PERSONNAGES :
PAQUERETTE. LA VOIX. LA MÈRE-GRAND.



ACTE PREMIER.

Le théâtre représente un chemin dans un bois.


SCÈNE I

PÂQUERETTE - LA  VOIX

 


PÂQUERETTE, seule au fond de la scène, répondant à une voix derrière le théâtre. - Oui, maman ; oui, sois tranquille, je ne serai pas longtemps.


LA VOIX. - Et tu ne t'amuseras pas en chemin ?


PÂQUERETTE. - Non, maman.


LA VOIX. - Et tu auras bien soin du pot de beurre et de la petite galette ?


PÂQUERETTE. - Oui, maman.


LA VOIX. - Et tu ne t'écarteras pas du sentier ?


PÂQUERETTE. - Non, maman.


LA VOIX. - Et tu prendras bien garde de te perdre ?


PÂQUERETTE. - Oui, maman.


LA VOIX. - Et tu ne parleras à personne ?


PÂQUERETTE. - Non, maman.


LA VOIX. - Et tu te dépêcheras afin que la galette soit encore chaude quand tu arriveras chez grand-mère.


PÂQUERETTE. - Oui, maman.


LA VOIX. - Si tu désobéis, d'abord le loup te mangera !


PÂQUERETTE, s'avançant. - Le loup ! le loup ! Maman parle toujours du loup. Comme s'il y avait des loups ! On dit cela aux petits enfants, mais non pas aux grandes filles comme moi ! Ce n'est pas quand on a sept ans qu'on peut encore avoir peur du loup ! Et puis ces recommandations ! — Prends garde de te perdre, Pâquerette ! — Comme si je ne connaissais pas le chemin !... Ne t'arrête pas en route. — C'est donc amusant d'aller tout droit devant soi, quand il fait si beau et qu'on entend les oiseaux chanter ! (Levant la tête comme s'adressant aux ciseaux.) Vous êtes bien heureux, vous ! Vous pouvez voler çà et là comme il vous plaît ; il n'y a personne pour vous dire : Dépêche-toi ! Ne t'amuse pas en route ! Ne parle à personne l Ah ! oui vous êtes bien heureux ! Moi aussi je sais une chanson, je vais vous la chanter comme vous m'avez chanté la vôtre. Elle chante sur l'air : Batelier, dit Lisette.


Jolis petits oiseaux
Qui chantez d'une voix si douce,

Charmants petits ruisseaux
Qui coulez sur la verte mousse,
Que j'aime à vous entendre !
Chantez, coulez toujours, (bis)
Le printemps va nous rendre
Le soleil avec les beaux jours.


     C'est grand-mère qui m'a appris cette chanson-là et elle trouve que je la chante très bien, Elle sait toutes sortes de jolies chansons, mère-grand. Et des contes donc. Par exemple, il y est toujours question du loup. Je fais semblant d'y croire, mais je sais bien à quoi m'en tenir... (S'interrompant). Les jolies petites fleurs ! (Elle se baisse pour en cueillir). Oh ! je connais bien leur nom ; c'est le même que le mien. On les appelle des pâquerettes. Ce sont mes petites sœurs. Il y en a qui sont bordées de rose ; cela leur fait un petit chaperon autour de la tête pareil au mien.



SCÈNE II.


MERE-GRAND - PÂQUERETTE



     (La grand-mère parait au fond de la scène. Elle est enveloppée d'un grand manteau avec un capuchon rabattu sur un masque présentant l'aspect d'une tête de loup. Ses mains sont couvertes de gros gants d'un gris brun).

MÈRE-GRAND, à part, sans être vue de Pâquerette. - Toujours à flâner et à s'amuser. Je vous demande un peu si elle fait la moindre attention aux paroles de maman. Je suis sûre qu'on lui a bien recommandé de se dépêcher ; c'est comme cela qu'elle en tient compte. Je vais lui donner une bonne leçon. Nous verrons si, une autre fois, elle sera tentée de s'arrêter en chemin !


PÂQUERETTE, qui a continué à cueillir des pâquerettes sans voir grand-mère. - Ce que j'aime à ces fleurs-là, c'est qu'elles ont de l'esprit. On peut causer avec elles.


MÈRE-GRAND, de même. - Elle est si bavarde qu'il faut toujours qu'elle babille, même avec les fleurs !


PÂQUERETTE, de même. - Je vais demander à celle-là si grand-mère m'aime. (Elle effeuille une pâquerette). Un peu, beaucoup, pas du tout ; un peu, beaucoup, pas du tout ; un peu un peu ! rien qu'un peu ! Je suis sûre que grand-mère m'aime plus qu'un peu.


MÈRE-GRAND, de même. - Oh oui ! elle le sait bien, la petite malicieuse !


PÂQUERETTE. - C'est une méchante fleur ! une menteuse ! (Elle jette la pâquerette et l'écrase avec le pied).


MÈRE-GRAND, s'avançant, d'un ton doucereux. - Qu'avez-vous donc à être si fort en colère, ma jolie petite demoiselle ?


(Pâquerette se retourne et pousse Un cri d'effroi).


MÈRE-GRAND, à part. - Je lui ai fait peur, j'en suis bien aise. Je savais bien que, quand elle m'apercevrait sous ce costume, elle aurait envie de prendre ses jambes à son cou. Ça lui apprendra ! Ça lui apprendra !


PÂQUERETTE, à part. - Voilà un monsieur qui a une bien vilaine figure ! Au premier moment j'ai été saisie.


MÈRE-GRAND, à part. - Eh bien ! n'a-t-elle pas l'air de se rassurer à présent ! Moi qui espérais qu'elle allait se sauver, et lestement encore ! (Haut) Il fait un beau temps pour se promener ce matin, n'est-il pas vrai, ma belle enfant ?


PÂQUERETTE, se tenant toujours à distance. - Oui, oui ; un très-beau temps. (À part) Je voudrais bien qu'il s'en allât !


MÈRE-GRAND. - Un peu frais pourtant. C'est ce qui m'a forcée à mettre ce grand manteau, car je suis enrhumée comme un... (Elle tousse).


PÂQUERETTE, à part. - Tiens ! ce monsieur tousse comme grand-mère ! Il n'a pas l'air trop méchant, à part qu'il a des poils par toute la figure. (Elle se rapproche un peu).

MÈRE-GRAND. - Je vois bien que vous ne me trouvez pas beau. Allons ! venez, je ne vous ferai pas de mal. (Elle sort une main de dessous son manteau pour attirer Pâquerette à elle. Pâquerette recule effrayée). Ma main vous fait peur. Le fait est qu'elle est un peu noire et un peu rude. J'aimerais mieux qu'elle fût plus mignonne. Il y a quelque temps un jeune chevreau, que je désirais embrasser, et à la porte duquel je frappais, m'a demandé de lui montrer patte blanche, impossible de le satisfaire. J'en ai eu bien du chagrin, car j'aime beaucoup les chevreaux Oui les chevreaux, les agneaux, les moutons même, je les aime beaucoup ! Oh mais ! Beaucoup ! Surtout quand ils sont jeunes et gras.


PÂQUERETTE, à part. - C'est étonnant ! Il a beau prendre une voix douce, je ne suis qu'à moitié rassurée.... C'est qu'aussi il est si laid !... Après tout, ce n'est pas sa faute. Il n'en est peut-être pas plus méchant pour cela ! (Elle se rapproche de nouveau).


MÈRE-GRAND, à part. - Il paraît qu'il n'y a pas moyen de lui faire peur à cette petite fille-là ! La voilà aussi tranquille que si j'avais ma figure habituelle. (Haut) Voyons, venez encore un peu plus près, et dites-moi d'abord comment on vous appelle.


PÂQUERETTE, se rassurant peu à peu. - Mon nom est Pâquerette, mais on m'appelle le petit Chaperon-Rouge, à cause de... ?


MÈRE-GRAND. - Je devine. À cause de votre chapeau. Le fait est qu'il est très gentil et qu'il vous va très bien.


PÂQUERETTE. - Vous trouvez ? Tant mieux.


MÈRE-GRAND. - Vous m'avez dit votre nom, vous ne seriez peut-être pas fâchée de connaître le mien !


PÂQUERETTE. - Certainement. Quel est-il ?


MÈRE-GRAND. - On m'appelle le Loup.


PÂQUERETTE. - Le Loup ! Quel drôle de nom ! (À part) C'est sans doute parce que ce monsieur est très laid qu'on l'appelle ainsi. S'il y a des loups, comme le dit maman, ils doivent lui ressembler.


MÈRE-GRAND. - Et où demeurez-vous ?


PÂQUERETTE. - Dans cette maison qu'on voit d'ici, au bout du pré.


MÈRE-GRAND. - Cette jolie maisonnette dont le mur est couvert d'un rosier ?


PÂQUERETTE. - Justement.


MÈRE-GRAND. - Et où allez-vous ainsi ?


PÂQUERETTE. - Je vais porter un petit pot de beurre et une galette à ma mère grand, qui demeure tout là-bas, là-bas, derrière le moulin.


MÈRE-GRAND. - C'est cela que vous avez dans votre panier ?


PÂQUERETTE. - Oui ; voyez comme là galette est dorée et croustillante ! et comme elle sent bon ! (Elle la fait flairer à mère-grand). J'espère que grand-mère la trouvera à son goût ; c'est maman qui l'a faite.


MÈRE-GRAND. - Elle a une excellente mine en effet. Et vous dites que vous allez la porter à votre mère-grand ?


PÂQUERETTE. - Oui.


MÈRE-GRAND. - N'aimeriez-vous pas mieux la garder pour vous ?


PÂQUERETTE. - Oh ! non ; j'ai bien plus de plaisir à la porter à mère-grand. Elle a l'estomac délicat et ne peut manger que de la galette. Plus elle est épaisse, mieux cela passe.


MÈRE-GRAND. - C'est bien dommage, n'est-ce pas, de ne pouvoir mordre dans un gâteau si appétissant ?


PÂQUERETTE. - J'en serais bien fâchée !


MÈRE-GRAND. - Oui, parce que votre grand-mère pourrait s'en apercevoir ? Mais ce petit pot de beurre ; vous y goûteriez qu'il n'y paraîtrait pas.


PÂQUERETTE, avec indignation. - Fi ! Monsieur ! Que c'est vilain ce que vous dites-là ! Comment ! j'irais entamer le pot de beurre de mère-grand ! Du si bon beurre ! que maman a battu exprès pour elle ce matin avant le jour ! Du beurre qui a été fait avec le lait de la Brune ! C'est qu'elle a du lait joliment bon, la Brune ! Ah bien !.... par exemple ! toucher au beurre de mère-grand !


MÈRE-GRAND. - Allons, allons ! Ne vous fâchez pas ! Ce que j'en ai dit n'était que pour plaisanter. Je vois bien que vous n'êtes pas gourmande.


PÂQUERETTE. - Oh ! je ne dis pas cela. Je le suis quelquefois, gourmande ; mais jamais de ce qui est pour mère-grand.


MÈRE-GRAND, à part. - Bon petit cœur, va ! Si tu savais comme ça me fait plaisir de t'entendre parler ainsi ! Ah bien ! voilà les larmes qui me gagnent ! Un loup qui pleure, ça ne s'est jamais vu ! (Elle essuie ses yeux, en soulevant un peu son masque).


PÂQUERETTE, à part. - Décidément il n'a pas l'air méchant du tout, ce monsieur. Seulement il n'est pas beau ! Oh ! non ; il ne l'est pas !


MÈRE-GRAND. - Vous l'aimez donc bien, votre grand maman.


PÂQUERETTE. - Si je l'aime ! Certainement que je l'aime, et de tout mon cœur encore.


MÈRE-GRAND. - Alors, si vous l'aimez, vous devez chercher à lui plaire ?


PÂQUERETTE. - Oh ! bien sûr ; tant que je peux.


MÈRE-GRAND. - À lui obéir ?


PÂQUERETTE. - Oh ! bien... (s'arrêtant tout à coup.) C'est à dire je ne demanderais pas mieux, mais c'est si difficile !


MÈRE-GRAND. - Vraiment !


PÂQUERETTE. - Ainsi grand-maman dit que je suis paresseuse ; maman aussi ; mais c'est plus fort que moi, je ne peux pas me corriger.


MÈRE-GRAND. - Vous aimez donc bien à ne rien faire ?





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