PIECES  DE  THEATRE  POUR  ENFANTS.

 
 
PÂQUERETTE. - C'est selon ; il y a des choses que j'aime ; mais il y en a d'autres au contraire...


MÈRE-GRAND. - Voyons ! Quelles sont les choses que vous aimez ?


PÂQUERETTE. - Eh bien ! j'aime à me promener, cueillir des fleurs, chanter, jouer, rire et causer.


MÈRE-GRAND. - Vraiment !


PÂQUERETTE. - Ah ! oui ; causer surtout !


MÈRE-GRAND. - En effet ; je m'en aperçois... (À part) Elle peut même se vanter d'être fièrement bavarde !


PÂQUERETTE, continuant. - Mais travailler ! Oh ! c'est cela que je n'aime pas ! Ainsi maman veut me faire tricoter ! Vous ne savez pas ce que c'est que de tricoter, monsieur le Loup.


MÈRE-GRAND. - Mais si, mais si !


PÂQUERETTE. - Est-ce que vous auriez appris à tricoter par hasard ?...


MÈRE-GRAND. - Mais oui ; et même je ne m'en tire pas mal.


PÂQUERETTE. - Tiens ! c'est drôle ! Ordinairement les messieurs ne tricotent pas. (Avec admiration) C'est grand-mère qui tricote bien, elle ! Si vous la voyiez ! À peine distingue-t-on ses aiguilles, tant elle va vite.


MÈRE-GRAND. - Est-ce là tout ce que votre maman a cherché à vous apprendre ?


PÂQUERETTE. - Elle voudrait aussi me faire lire, et elle me gronde parce que je ne peux pas me décider à dire A.


MÈRE-GRAND. - Et pourquoi ne pouvez-vous pas vous décider à dire A ?


PÂQUERETTE, avec un grand soupir. - C'est que je sais bien qu'aussitôt que j'aurai dit A, on me fera dire B.


MÈRE-GRAND, riant et à part. - A-t-elle de plaisantes réponses, cette enfant-là ! je ne peux pas m'empêcher d'en rire. (Haut.) Je vais penser avec vos deux mamans que vous êtes un peu paresseuse.

     (Pâquerette soupire de nouveau).


MÈRE-GRAND. - Mais du moins vous êtes obéissante ?


PAQUERETTE. - Je tâche, monsieur le Loup, je tâche, seulement je n'y parviens pas toujours. Ainsi, maman m'a bien recommandé d'aller tout droit chez mère-grand, sans m'arrêter en chemin ; mais, qu'est-ce que vous voulez ? c'est si agréable de se promener dans ce petit bois et d'y cueillir des fleurs.

 

MÈRE-GRAND. - Oui ; et le loup qui vous mangera.

 

PÂQUERETTE. - Oh ! je n'ai guère peur du loup.

 

MÈRE-GRAND. - Voyez-vous ça ! Eh bien ! et moi, je ne vous fais donc pas peur ?

PÂQUERETTE. - Au premier moment, je ne dis pas, parce que vous avez une figure un peu noire ; mais maman m'a appris qu'il ne faut pas faire attention à la figure des gens, et que c'est très malhonnête de leur laisser voir qu'on les trouve laids. Après tout je suis bien sûre que vous n'êtes pas méchant au fond et je sais bien que vous ne me croquerez pas.

 

MÈRE-GRAND, à part. - Est-elle futée, cette petite Pâquerette ! Je vous demande s'il y a moyen de lui en faire accroire ? Je vois bien que je vais en être pour mes frais et que je me serai accoutrée ainsi pour rien.. (Haut) Demeure-t-elle bien loin d'ici, votre grand-maman ?

 

PÂQUERETTE. - Je vous l'ai déjà dit ; c'est là-bas, derrière le moulin. Sa maison ressemble à la nôtre, avec un joli rosier blanc à la porte et un toit qui descend jusqu'à terre.

 

MÈRE-GRAND. - Ah ! je la connais ; elle se trouve justement sur mon chemin. Je vais en profiter pour lui faire une petite visite, à votre grand-mère.

 

PÂQUERETTE. - C'est une bonne idée ; cela la désennuiera, et lui fera prendre patience en m'attendant.

 

MÈRE-GRAND. - Vous n'allez donc pas venir tout de suite ?

 

PÂQUERETTE. - Oh ! si, seulement le temps de faire un bouquet ; elle aime beaucoup les fleurs, grand-mère.

 

MÈRE-GRAND, à part. - Ça, c'est vrai, et elle sait toujours me prendre par mon faible, la petite câline ! (Haut) La maison derrière le moulin, vous dites, avec un rosier à la porte ?

 

PÂQUERETTE. - C'est cela ; vous ferez toc, toc ! Mère-grand croira que c'est le petit Chaperon rouge, elle vous criera : Tire la bobinette, la chevillette cherra. Alors vous entrerez.

 

MÈRE-GRAND, à part. - Par exemple ! Est-elle assez bavarde ? Si elle avait affaire à un vrai loup pourtant ! (Haut) Eh bien ! je vais toujours devant.

 

PÂQUERETTE. - C'est cela ; je vous rattraperai ; j'ai de bonnes jambes, allez !


MÈRE-GRAND. - À tout à l'heure alors !

 

     (Elle sort).

 

SCÈNE II.


PÂQUERETTE, seule regardant la mère-grand s'en aller. - Quelle drôle de tournure il a, ce monsieur, avec son grand manteau ! Si l'on ne dirait pas grand-mère quand elle a sa pelisse à capuchon ! C'est étonnant comme il lui ressemble. Il marche de même... Oh mais ! c'est tout à fait grand-mère !... Bon ! le voilà qui tourne l'allée, on ne l'aperçoit plus. — Voyons maintenant que je fasse mon bouquet. (Regardant autour d'elle). Tiens ! des fraises ! je ne les avais pas encore vues ! Quel bonheur ! grand-mère qui les aime tant !... Mettons d'abord quelques feuilles au fond de mon panier... Bon ! Voilà qui est fait ! (Elle se met à cueillir des fraises). Oh ! qu'elles sont belles et comme elles sentent bon ! (Elle en mange quelques-unes). et sucrées donc ! C'est grand-mère qui va être contente ! Oh mais ! sont-elles grosses et mûres !. Tiens ! en voilà une qui s'écrase ! Tant pis ! je la mange... Il n'y en a plus de ce côté, heureusement il y en a encore par là... Elles ont beau se cacher sous l'herbe, je saurai bien les découvrir ! Comme grand-mère va se régaler ! (Elle s'éloigne toujours en cherchant dés fraises et en fredonnant le couplet du commencement de l'acte. La voix se perd avant qu'elle l'ait achevé).


ACTE II


     Le théâtre représente l'intérieur de la maison de mère-grand. Un lit, une table, une cheminée devant laquelle est une marmite. Une porte et une fenêtre.


SCÈNE I.



MÈRE-GRAND, entrant et refermant la porte. - Ouf ! Je n'en puis plus ! J'ai marché si vite ! Me fait-elle courir, cette petite fille-là ! Il n'y avait pourtant pas de danger qu'elle fût ici avant moi. Je parierais qu'elle est encore à baguenauder dans le bois. J'ai eu beau la menacer du loup. Ah ! bien oui ! elle s'en moque joliment du loup ! C'était bon pour les enfants de mon temps de croire à ces balivernes ! C'est qu'aussi on nous en contait de belles sur lui ! — Ah ! grand-maman, que vous avez de grandes jambes ! — C'est pour mieux courir, mon enfant ! —Ah ! grand¬maman, que vous avez de grands bras ! — C'est pour mieux t'embrasser, mon enfant !— Ah ! grand-maman, que vous avez un grand nez ! — C'est pour mieux priser, mon enfant ! — Ah ! grand-maman, que vous avez une grande bouche ! — C'est pour mieux te croquer — Brrr ! Cela me faisait frissonner de la tête aux pieds ! Ma foi l ces contes-là avaient du bon ! Avec le loup ou croquemitaine on nous faisait faire tout ce qu'on voulait. C'était bien commode pour les parents. Mais les petites filles de maintenant, on ne sait plus de quoi leur faire peur. Essayons encore une fois pourtant si je n'y parviendrai pas. Je vais toujours me débarrasser de ce masque, qui me tient terriblement chaud. Je la guetterai par cette fenêtre et je le remettrai quand elle paraîtra sur la route. (Elle jette son masque et le regarde). C'est égal ! Je ne comprends pas qu'elle n'ait pas été plus effrayée en me voyant, car je dois être épouvantable avec cette figure-là ? Mais cette Pâquerette ! Elle n'a peur de rien ! non de rien ! — Voyons maintenant si mon pot bout toujours. Quand elle arrivera, elle aura faim, la petite coureuse ! et ne sera pas fâchée de trouver le dîner prêt. Heureusement j'ai eu soin d'enterrer la marmite dans les cendres. (Elle enlève le couvercle de la marmite). Oui, cela va bien ; elle a même très bonne mine, ma soupe. (Elle y goûte). Un peu fade seulement. (Elle y ajoute du sel, l'écume et y goûte de nouveau). Là ! à présent c'est très-bien ! (Elle va à la fenêtre). Elle ne vient toujours pas ! Que peut-elle faire ! Ah ! il me semble que je l'aperçois qui sort du bois... Oui, c'est bien elle... Elle court tant qu'elle peut pour rattraper le temps perdu... Elle va être ici dans une minute. Ne perdons pas de temps. Apprêtons-nous à jouer encore notre rôle de loup. (Elle remet son masque avec une grande mentonnière blanche qui lui cache presque toute la figure, et rabat son capuchon, puis elle s'étend sur le lit. Au bout de quelques instants elle se soulève sur son coude). Eh bien ! elle n'arrive donc pas ! (Elle prête l'oreille.). Je n'entends rien. Qu'est-ce qu'elle fait encore ? (Elle se lève et va regarder par la fenêtre). Allons elle s'est arrêtée de nouveau pour causer avec la petite Frépillon, qui va au marché sur son âne. Aime-t-elle à causer, cette Pâquerette, aime-t-elle ça !... Ah ! Frépillon continue son chemin... Pour le coup je crois que la voilà ! (Elle vient se remettre sur son lit. Elle prête l'oreille). Eh bien ! rien encore... Ah ! Enfin ! (On entend Pâquerette dans le lointain chanter sa chanson. La voix se rapproche peu à peu. Mère-grand l'écoute en dodelinant la tête d'un air satisfait). Elle chante bien. Je ne sais pas si c'est parce que je suis sa grand-mère, mais je trouve même qu'elle chante très-bien.


     (Quand Pâquerette a fini sa chanson, elle frappe à la porte. Mère-grand se retourne vers la muraille pour que Pâquerette ne lui voie pas la figure).


SCÈNE II.

MÈRE GRAND, puis PAQUERETTE.



MÈRE-GRAND. - Qui est là ?


PÂQUERETTE, du dehors. - C'est Pâquerette, le petit Chaperon rouge.


MÈRE-GRAND. - Tire la bobinette, la chevillette cherra.


PÂQUERETTE, entrant. Elle porte son petit panier et un gros bouquet. - Bonjour, mère-grand. Je vous apporte un petit pot de beurre que maman a battu ce matin et une galette qu'elle a faite pour vous. Sans compter un petit panier de fraises que j'ai cueillies à votre intention.


MÈRE-GRAND, à part. - Là ! voyez-vous ! elle a pensé à moi. Elle a si bon cœur ! (Haut) C'est bien, ma fille, pose tout cela sur la table.


PÂQUERETTE, obéissant, à part. - La galette n'est plus bien chaude, mais je suis sûre que bonne maman l'aime autant froide. (Haut) Pourquoi êtes-vous donc couchée, grand-mère ? Est-ce que vous êtes malade ?


MÈRE-GRAND. - Oui ; je suis un peu enrhumée. (Elle tousse.)


PÂQUERETTE, à part. - Elle tousse tout comme monsieur le Loup, grand-mère l (Haut) Je suis bien fâchée, bonne maman, de voir que vous ne vous portez pas bien. Voulez-vous que je vous fasse de la tisane ?


MÈRE-GRAND. - Non ; ce n'est pas la peine.


PÂQUERETTE. - Alors je vais vous donner un petit morceau de galette, cela vous fera du bien à l'estomac.


MÈRE-GRAND. - Je n'en ai pas besoin... Mais, toi-même, tu as beaucoup marché ; ôte ton petit chaperon rouge et viens te coucher avec moi.


PÂQUERETTE. - Je vous assure, grand-mère, que je ne suis pas fatiguée.


MÈRE GRAND. Eh bien ! approche seulement un peu de mon lit.


PÂQUERETTE. - Oh ! je ne demande pas mieux. (Elle s'approche). Mais pourquoi donc, grand-mère, restez-vous comme cela dans le coin ?


MÈRE-GRAND. - C'est que j'ai un grand mal de dents.


PÂQUERETTE. - Pauvre bonne maman ! Tournez-vous tout de même par ici, que je puisse vous dire bonjour.


     (Mère-grand se retourne la tête tout enveloppée ; on ne lui voit pas la figure).



PÂQUERETTE. - Ôtez donc ce vilain mouchoir. Comment voulez-vous que je vous embrasse ?

 

     (Mère-grand enlève son mouchoir. Pâquerette reconnaît le loup, elle recule effrayée).

 

PÂQUERETTE. - Ah ! mon Dieu ! ce n'est pas mère-grand ! C'est monsieur le Loup ! Et mère-grand, où donc est-elle ?

 

MÈRE-GRAND. - Il n'y a plus de mère-grand.

 

PÂQUERETTE. - Comment ! Il n'y a plus de mère-grand ?

 

MÈRE-GRAND. - Non ; je l'ai mangée.

 

PÂQUERETTE. - Mangée ! Mangé ma mère-grand !

 

MÈRE GRAND. - Oui.

 

PÂQUERETTE. - Oh ! ne dites pas cela, monsieur le Loup ; je sais bien que ce n'est pas vrai. Dites-moi seulement ce qu'elle est devenue.


MÈRE-GRAND. - Je te répète encore une fois que je l'ai croquée.


PÂQUERETTE. - Et moi je vous répète que je n'en crois rien. (Elle cherche du regard dans la chambre). Elle est sortie, sans doute ; elle sera allée chercher de l'herbe pour ses lapins. Elle va bientôt rentrer.


MÈRE-GRAND, ironiquement. - Rentrer ! oui, crois cela ! Elle est croquée ; croquée, te dis-je ; et tu le seras bientôt aussi !


PÂQUERETTE. - Oh ! je n'ai pas peur de vous ! Vous avez beau faire la grosse voix, je m'en moque ! Je saurai bien me sauver, moi ! J'ai de bonnes jambes ; vous ne pourrez pas m'attraper.


MÈRE-GRAND. - Nous verrons ! nous verrons ! Ah ! tu t'imagines que je n'ai pas croqué grand-mère !





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