PIECES DE THEATRE POUR ENFANTS.
Au pays des Farandoles
Saynète en deux actes avec chants, danses et évolutions
par Marthe BIANCHINI
PERSONNAGES :
CAMILLE DE BEAUVALLON, 10 ans ;
DAME GERTRUDE, sa gouvernante ;
MAGALI, sœur de lait de Camille, 10 ans ;
LE COMTE DE BEAUVALLON ;
LE MAIRE ;
LE GARDE CHAMPÊTRE ;
LES DEMOISELLES D'HONNEUR ;
DANSEURS ET DANSEUSES.
La scène se passe en Provence vers la ?n du dix-neuvième siècle.
ACTE PREMIER
DÉCOR. - Un salon dans le château de Beauvallon. Fauteuils, guéridons, métier à tapisser. Au lever du rideau, dame Gertrude tricote. Camille est à demi étendue sur un canapé. Elle a l'air de s'ennuyer profondément.
C'est le début de l'après-midi. Les rayons du soleil filtrent à travers les rideaux soigneusement tirés.
SCÈNE PREMIÈRE
CAMILLE, DAME GERTRUDE.
CAMILLE, s'étirant. - Dame Gertrude, je m'ennuie !
DAME GERTRUDE. - Écrivez à votre papa.
CAMILLE. - Ce n'est pas la peine. Il doit arriver d'un jour à l'autre.
DAME GERTRUDE. - Continuez votre tapisserie.
CAMILLE. - Cette tapisserie est interminable. Je suis sûre que je n'en verrai jamais la fin.
DAME GERTRUDE. - Voulez-vous que nous fassions une partie de dominos ?
CAMILLE, vivement. - Ah ! non !
DAME GERTRUD‘. - Alors, que voulez-vous faire ?
CAMILLE, se lève, va à la fenêtre dont elle soulève un coin du rideau. - J'aimerais courir dans l'herbe, faire un bouquet de fleurs et attraper des papillons.
GERTRUDE, épouvantée. - Vous n'y pensez pas ! Avec ce soleil ! Vous avez l'air d'oublier que nous sommes dans le midi et que le soleil à cette heure-ci est meurtrier !
CAMILLE. - Alors permettez-moi de sortir ce soir. C'est la fête du village et j'aimerais assister aux danses et aux jeux.
GERTRUDE, même ton. - Assister aux danses ! Vous la fille du Comte de Beauvallon, vous mêler aux jeux du bas peuple ! Je ne le permettrai jamais. D'ailleurs, l'air du crépuscule est mauvais pour la santé.
CAMILLE, impatientée. - Mais je me porte fort bien !
DAME GERTRUDE. - C'est pourquoi je ne veux pas que vous nuisiez à votre santé par des excès. Votre père, ne l'oubliez pas, vous a envoyée dans ce château de Provence pour vous remettre de la grave maladie que vous avez eue cet hiver. Vous voici guérie, grâce à mes soins vigilants. Il faut qu'il vous retrouve complètement rétablie.
CAMILLE. - Mais justement, j'ai envie de bouger, de courir, de me détendre. J'aimerais faner, ou garder les chèvres avec Magali, ma sœur de lait.
DAME GERTRUDE, les bras au ciel. - Garder les chèvres ! La fille du Comte de Beauvallon ! ou avez-vous pris ces goûts roturiers ?
CAMILLE, riant. - Mon Dieu, dame Gertrude, nous ne sommes plus sous Louis quatorze. D'ailleurs, je suis sûre que Papa me le permettrait, lui qui est si simple et si peu fier.
DAME GERTRUDE. - Permettez-moi d'en douter.
(On entend dans la coulisse un bruit de fifres et de tambourins (air : Farandole). Camille se précipite à la fenêtre. La musique se rapproche de plus en plus puis s'éloigne).
CAMILLE. - Voici la fanfare qui arrive pour ouvrir le bal. ( Suppliante) Oh ! dame Gertrude ! Accompagnez-moi rien qu'un instant !
DAME GERTRUDE, digne. - Il est malséant, pour la fille d'un Comte, de se mêler aux divertissements des paysans.
CAMILLE. - Je suis sûre que Papa ne me refuserait pas ce plaisir.
(Elle continue à bouder au coin de la fenêtre. On entend Magali chanter dans la coulisse).
CAMILLE, rassérénée. - Voici Magali, ma sœur de lait. (Ouvrant la fenêtre et criant). Magali ! Magali ! Va poser tes paniers d'œufs à l'office et viens jouer avec moi !
VOIX DE MAGALI. - Oui, Mademoiselle Camille !
DAME GERTRUDE. - Il ne me plaît pas de vous voir fréquenter cette enfant sans éducation !
CAMILLE, vivement. - C'est ma sœur de lait, la fille de ma bonne nourrice.
DAME GERTRUDE. - Elle n'est pas de votre milieu.
SCÈNE II
LES MÊMES, MAGALI.
MAGALI, entrant. Elle fait une révérence à Gertrude. - Bonjour, Madame Gertrude. (À Camille) Bonjour, Mademoiselle Camille. Viendrez-vous à la fête ce soir ? On a dressé une grande tente sur la place, toute ornée de guirlandes et de lampions. La fanfare est arrivée. L'avez-vous entendue ?
DAME GERTRUDE, sèchement. - Camille ira se coucher. Ces divertissements ne sont ni de son âge, ni de sa condition.
MAGALI. - Maman me permet d'y aller, pourtant. Tout le monde s'y amuse, grands et petits.
DAME GERTRUDE, dignement. - Mademoiselle de Beauvallon n'a pas à se mêler à ces jeux.
CAMILLE, s'étant rapprochée de Magali. À voix basse. - Je veux quand même aller à la fête. Aide-moi !
MAGALI, à dame Gertrude, se frappant le front. - Ah ! Madame Gertrude, j'oubliais. En arrivant, j'ai vu Follette, votre chienne, qui courait sur la route à la poursuite de la fanfare, elle-même poursuivie par Médor, le gros chien du fermier.
DAME GERTRUDE, se levant précipitamment, avec un cri perçant. - Et tu ne pouvais pas me le dire plus tôt ! Il va la dévorer ! (Elle se précipite vers la porte, puis revient, effarée, cherchant partout son ombrelle). Vite mon ombrelle ! Ce soleil est meurtrier ! Follette ! mon oiseau ! Mon lapin ! ma colombe ! ma poulette ! mon agneau !
(Elle sort précipitamment).
SCÈNE III
MAGALI, CAMILLE
CAMILLE, riant. - Ce n'est pas une chienne qu'elle a. C'est une ménagerie.
MAGALI, riant. - Elle pourra chercher longtemps. Follette est cachée sous le poêle de la cuisine et Médor est dans sa niche.
CAMILLE. - Oh ! Magali, tu as menti ?
MAGALI. - Il fallait bien que je l'éloigne. Et maintenant dépêchons-nous.
CAMILLE, baissant la voix. - Magali, je veux aller à la fête. Dame Gertrude ne veut pas. Comment faire ?
MAGALI. - Si Maman venait vous chercher ?
CAMILLE. - Dame Gertrude ne voudra pas. Je la connais. Elle dirait encore des choses désagréables à ma bonne nourrice.
MAGALI. Alors, je ne sais pas.
CAMILLE, après une brève réflexion. - Écoute, Magali, je vais me sauver par la fenêtre dès que Dame Gertrude sera couchée. Tu m'attendras dans le parc puis, après la fête, nous dirons tout à ma bonne Nounou qui me pardonnera et me raccompagnera.
MAGALI. - Mais vous serez reconnue avec vos beaux habits.
CAMILLE. - C'est vrai. Eh ! bien nous sommes de la même taille. Tu me prêteras tes habits du dimanche, Magali.
MAGALI. - Mais si Dame Gertrude se réveille et vient dans votre chambre ?
CAMILLE. - Eh ! bien, je laisserai un mot sur mon lit : « Je suis à la fête » ; elle verra que je ne suis pas perdue.
MAGALI, qui hésite devant la hardiesse du projet. - Mais quand elle saura ?
CAMILLE, vivement. - Elle ne saura pas ! (Elle entoure de ses bras le cou de Magali, l'embrasse et, d'une voix câline). Ma petite Magali, tu vois bien comme je m'ennuie ! Ne m'aideras-tu pas à me distraire, toi, ma sœur de lait ?
MAGALI, vaincue. - Soit, je viendrai. Tant pis si on nous gronde !
SCÈNE IV
LES MÊMES, DAME GERTRUDE
DAME GERTRUDE, rentrant, essoufflée et furieuse. - Qu'avez-vous à embrasser cette sotte, Camille ? (À Magali) Ainsi, petite friponne, tu me fais courir par ce grand soleil, alors que Follette est dans la cuisine et Médor dans sa niche ?
MAGALI, d'un air innocent. - J'ai vu une chienne qui courait, j'ai cru que c'était la vôtre.
DAME GERTRUDE, au comble de l'exaspération. - Ah ! tu as cru que c'était la mienne ? Voilà pour t'apprendre à mieux voir ! (Elle lui donne une claque). Et maintenant, je te prie de laisser Camille en repos. Va reprendre ton panier et ôte-toi de mes yeux.
MAGALI. - Au revoir, Mademoiselle Camille. (À demi-voix, d'un ton menaçant à Gertrude qui ne l'entend pas). Ah ! Follette ne court pas sur la route ? Ah ! Médor est dans sa niche ? Ah ! vous m'avez giflée, Dame Gertrude ! Vous allez voir dans cinq minutes où seront Follette et Médor ! (Elle sort).
SCÈNE V
DAME GERTRUDE, CAMILLE
DAME GERTRUDE. - Voilà bien vos relations ! Que vous disait donc cette sotte enfant que je vous interdis, à l'avenir, de recevoir ?
CAMILLE. - Elle me disait... (On entend des aboiements furieux. Camille se précipite à la fenêtre). Oh ! Dame Gertrude ! c'est bien vrai que votre chienne se sauve et elle est poursuivie par Médor. Voyez vous-même. Cette pauvre Magali court après et fait son possible pour sauver Follette.
DAME GERTRUDE, après avoir regardé par la fenêtre. - Ah ! Ciel !
(Elle se précipite vers la sortie).
CAMILLE, seule, riant. - Que dirait le Comte de Beauvallon s'il voyait la digne gouvernante de sa fille courir après une petite paysanne, qui court après un gros chien qui, lui-même, poursuit une petite chienne pour la mordre. Oh ! mais j'ai bien envie de me mettre de la poursuite, moi aussi, ce sera très amusant. (Avisant l'ombrelle que Dame Gertrude a oubliée). Justement, voici un bon prétexte. (Elle saisit l'ombrelle et sort en courant et en criant). Dame Gertrude ! votre ombrelle ! Le soleil de l'après-midi est meurtrier ! Dame Gertrude !
(Les cris et les aboiements décroissent).
RIDEAU
ACTE DEUXIÈME
Le soir du même jour.
DÉCOR. - La grande place du village décorée et parée pour la fête. Guirlandes de buis, lampions. La fête n'est pas encore commencée. Des paysans endimanchés vont et viennent. Costume local.
SCÈNE PREMIÈRE
MAGALI, CAMILLE déguisée en paysanne, VILLAGEOIS et VILLAGEOISES.
CAMILLE, ravie. - Oh ! Magali, comme je m'amuse. Quelle belle soirée ! Mais tu as l'air inquiète ?
MAGALI, regardant autour d'elle. - C'est que je crains à chaque instant de voir apparaître Dame Gertrude.
CAMILLE, riant. - Rassure-toi. Dame Gertrude dort sur ses deux oreilles. Après la course folle de cet après-midi, elle avait besoin de grand repos.
(On entend au loin une musique qui se rapproche).
Les VILLAGEOIS, se rangeant au fond. - Ah !
CAMILLE. - Voici la fanfare.
SCÈNE II
LES MÊMES, LE DÉFILÉ.
(La fanfare, fifres et tambourins, débouche, précédant le Maire entouré de demoiselles d'honneur portant des corbeilles de fleurs, puis le garde champêtre en grande tenue et des jeunes gens portant des lampions allumés. Ils défilent sur la scène en chantant).