PIECES DE THEATRE POUR ENFANTS.
PANTOMIME COMIQUE EN UN ACTE.
Almanach des enfants. Amusements et jeux pour jeunes filles et jeunes garçons
PERSONNAGES :
PIERROT, riche voyageur.
SPALATRO, estafier.
LADRONE, bandit.
AYOLI, aubergiste.
PICCOLINO, saltarello.
La scène se passe au moyen âge dans une contrée de l'Italie.
UNE AUBERGE TRANQUILLE.
Un site dans les montagnes ; à droite, une auberge avec
cette enseigne : AU SOMMEIL DU JUSTE. À gauche, la route
qui mène à la ville.
Scène première.
Ayoli sort de l'auberge, il époussette la table et la chaise placées devant sa porte et regarde ensuite s'il ne vient pas quelque client du côté de la montagne. Non ! on craint les bandits de ce côté... mais en venant de la ville... Tout à coup, il se baisse, examine avec plus d'attention et se frotte les mains... C'est un voyageur qui arrive ; il court dans sa maison pour lui donner le temps de parvenir jusqu'à sa demeure.
Scène II.
Pierrot entre lentement, il paraît d'abord fatigué et regarde la route conduisant du côté de la montagne, laquelle ne lui paraît pas rassurante et pourrait être habitée par des détrousseurs ; Ayoli sort doucement de l'auberge en faisant des salutations derrière Pierrot qui se retourne soudain et paraît prendre un air soupçonneux ; pour lui faire peur, il tire de sa poche une carotte avec laquelle il le couche en joue ; Ayoli effrayé court se ranger derrière sa table ; Pierrot rit, le rappelle et lui montrant sa carotte, dissipe les craintes d'Ayoli qui se rapproche en riant aussi ; Pierrot lui demande s'il y a du danger dans la montagne et lui montre qu'il porte des valeurs : l'aubergiste l'invite à se reposer dans sa maison ; Pierrot examine alors l'auberge et se laisse tomber sur la chaise que lui présente Ayoli, lequel se met à crier, parce que cette chaise est sur son pied ; Pierrot se lève, lui prend le pied qu'il frictionne brutalement, après quoi le rejetant à terre d'une façon brusque, il fait tomber l'aubergiste. Lorsque celui-ci s'est relevé, Pierrot dit qu'il est fatigué ; Ayoli lui montre son enseigne : "Au sommeil du juste". Puis il ouvre sa porte en l'invitant à venir se reposer ; il revient ensuite vers Pierrot qui manifeste son bonheur de pouvoir dormir !... Tous deux se rencontrent nez à nez ; ce choc fait encore tomber Ayoli que Pierrot relève et emmène clopin-clopant dans l'auberge.
Scène III.
A peine ont-ils disparu, qu'on voit Piccolino montrer curieusement sa tête ; il explore les environs, ne voit rien de suspect, aperçoit l'hôtel qui lui semble de bonne apparence, puis ramenant un tambour de basque qu'il porte en bandoulière il se met à frapper dessus en cadence ; au-bout d'un instant, Pierrot met la tête à la fenêtre au-dessus de la porte de l'auberge et demande qui trouble ainsi son repos. Il voit Piccolino qui l'apercevant commence à danser un boléro.
Scène IV.
Affriolé par cette vue, Pierrot fait signe qu'on l'attende. Bientôt, il apparaît sur le seuil et mêle grotesquement sa danse à la danse gracieuse du saltarello, puis il lui demande s'il veut se rafraîchir. Piccolino accepte ; on place la table au milieu de la scène, on appelle l'aubergiste à grands coups de poings ; Ayoli paraît et apporte à boire pièce par pièce en dépit de ce que les buveurs montrent d'impatience ; Pierrot verse à boire, Piccolino vide le sien et dit qu'il n'a rien eu ; Pierrot étonné lui verse de nouveau, pendant ce temps Piccolino vide le verre de Pierrot qui pendant ce temps regarde Ayoli qui derrière eux voudrait bien boire également. Pierrot veut boire à son tour il trouve son verre vide et flanque un soufflet à Ayoli qui se trouve derrière lui et qu'il suppose le coupable ; Piccolino profite de cette scène pour vider la bouteille ; Ayoli le montre à Pierrot qui se croise les bras et vient lui parler sous le nez. Lutte comique dans laquelle on renverse la table avec ce quelle contient ; Ayoli qui veut séparer les adversaires, reçoit les coups des deux et pendant que Piccolino s'esquive, Pierrot relève l'Aubergiste et le reconduit chez lui, en disant qu'il va se reposer aussi.
Scène V.
Moment de silence ! puis on voit apparaître la figure barbue du bandit Ladrone ; il examine la scène d'un air farouche, prêt à fuir au moindre bruit, regardant ensuite le désordre de la place, il relève la table, le tabouret sur lequel il s'assoit, il ramasse également la bouteille qui à sa grande joie contient encore un peu de vin ; il tire d'un havresac qu'il porte en sautoir, un morceau de pain dur qu'il casse à coups de talon et en mange les débris en buvant à même la bouteille. Pierrot, qui a mis le nez à la fenêtre, regarde cet homme étrange et se cache en concevant des doutes ; Ladrone qui a fini de manger, pose la table contre la maison, monte dessus et cherche à voir à travers les vitres de la croisée ; il montre qu'il y a là un voyageur qui sera bon à dépouiller ; il redescend, tire de nouveau de son havresac une trousse de fausses clés qu'il essaie l'une après l'autre sur la porte de l'auberge ; Pierrot qui s'est remis à la fenêtre, fait une grimace de terreur en voyant cette opération et referme vivement la croisée lorsqu'il a vu le bandit trouver une clé à sa convenance ; surpris par le bruit que fait la croisée en se refermant, Ladrone resserre ses clés, place la table en travers de la porte de l'auberge et s'enfuit par la montagne à gauche.
Scène VI.
Poussé par Pierrot, Ayoli sort brusquement de l'auberge, fait rouler la table et tombe lui-même dessus ; Pierrot le relève en le prenant par sa culotte. Ayoli se tient les côtés et demande à Pierrot ce qu'il avait pour le pousser de la sorte ; Pierrot regarde d'un air mystérieux autour de lui, ce qui effraie l'aubergiste ; il lui raconte la scène de Ladrone jusqu'à l'essai des fausses clés ; Ayoli tremble de peur, soudain il se redresse et dit qu'il faut s'occuper de la chasse au bandit qui ne saurait être loin ; Pierrot approuve l'idée, chacun se munit d'un bâton et l'on devra explorer les environs, l'un à droite, l'autre à gauche... mais c'est à qui n'ira pas du côté de la montagne. Pierrot prend deux bouts de bois et fait tirer au sort à qui se dirigera du mauvais côté ; le lot échoit à l’aubergiste qui se gratte l'oreille de dépit pendant que Pierrot montre qu'il a triché ! ... On se décide à partir en jurant de vaincre ou mourir ; les deux hommes se donnent la main, s'embrassent... Ayoli sort par la gauche après plusieurs efforts pour surmonter sa crainte ; Pierrot, qui s'est caché derrière un arbre, revient dans l'auberge en disant qu'il va prendre ses affaires et s'en aller ; il entend du bruit et se met à l'affût !... Ayoli revient disant qu'il lui est impossible d'aller plus loin ; Pierrot sort de sa cachette, tombe à coup de trique sur le malheureux qui crie, se jette à genoux et demande grâce ; Pierrot à la fin reconnaît son erreur, relève sa victime et l'emmène dans l'auberge où il va le frictionner, après quoi il essaiera de se reposer un peu, car il est moulu.
Scène VII.
Bientôt Piccolino paraît effrayé : il regarde dans la direction qu'il vient de quitter ; il exprime son inquiétude en se voyant suivi par un homme qui arrive de la droite ; où se réfugier. Dans l'auberge ? Non ! c'est là que se trouve le voyageur avec lequel il a eu maille à partir !... Reste la montagne !... Mais il y a des bandits !... il se décide pour cette dernière alternative et se blottissant pour être moins vu, il sort par la gauche.
Scène VIII.
On voit apparaître une lance qui s'allonge avant qu'on aperçoive le bras qui la tient ; c'est l'estafier Spalatro qui sonde les environs et fait des voltes-face en présentant la pointe de son arme à un ennemi qui ne se montre pas ; ne rencontrant personne, il remet sa lance sur son épaule, fait emphatiquement le tour de la scène, et lorsqu'il heurte un arbre avec le fer de sa hallebarde, il se met immédiatement en arrêt ; il rit ensuite de sa méprise, voit la table, puis l'auberge, ajuste une énorme paire de lunettes pour déchiffrer l'enseigne, et annonce qu'il va faire là, perquisition ; il frappe la porte de l'auberge du bois de sa lance ; Pierrot ouvre sa croisée, voit cet homme et pense que c'est un autre bandit ; second coup donné à la porte ; Pierrot reparaît à la fenêtre et envoie à Spalatro, la carotte dont il s'est servi à la scène II... Spalatro relève le nez, ne voit personne et se demande d'où vient ce légume qu'il fourre ensuite dans sa poche. Troisième coup donné à la porte. Pendant que Spalatro regarde par le trou de la serrure, Pierrot de sa fenêtre, lui allonge un coup de trique et rentre vivement, Spalatro cherche d'où vient ce coup anonyme en regardant derrière chaque arbre.
Scène IX.
Ayoli sort vivement de l'auberge et tombe à coups de bâton sur l'estafier qui, surpris par cette algarade, bondit en criant et vient s'asseoir en se frottant : le malheureux aubergiste reconnaissant la force armée dans l'homme qu'il vient de battre, se jette à genoux... Spalatro se redresse fièrement et lui dit qu'il payera cher son audace ; Ayoli répond que le voisinage des bandits lui a troublé la tête et qu'il le prenait pour l'un d'eux ; Spalatro se met à rire, rassure l'aubergiste et dit qu'il vient arrêter les criminels... tout seul !... Joie d'Ayoli ! Spalatro l'amène au devant de la scène et lui demande s'il n'a pas de voyageurs chez lui. Un ! répond Ayoli !... Va le chercher et fais le venir ici !... de sa croisée, Pierrot a suivi toute cette scène avec des mouvements plus ou moins inquiets. Il cache sa tête au moment où Ayoli rentre dans l'auberge après avoir expliqué à Spalatro qui insiste que l'homme qui est chez lui, est riche et inoffensif.
Scène X.
Spalatro, seul en scène, tire de sa poche et déplie une affiche portant en gros caractère... Fuite d'un mineur, signalement de son complice... Pendant que l'estafier relit cette pancarte, Pierrot paraît, poussé par Ayoli qui lui explique que cet homme le demande ; Spalatro l'aperçoit et lui dit d'avancer au milieu. Pierrot refuse avec dignité, Spalatro frappe le sol du bois de sa lance, et atteint le pied de Pierrot qui obéit en sautant ; il lui montre la pancarte ; Pierrot lit et rit ; l'estafier frappe de nouveau le sol de sa lance et commence la lecture du signalement ; nez long, bouche grande, menton pointu, yeux petits, cheveux hérissés, jambes cagneuses. À chaque énumération il fait le tour de Pierrot qui proteste et trouve que toutes les indications se rapportent à lui, Ayoli chaque fois donne son approbation ; Pierrot déconcerté, voit Spalatro tirer de sa poche, une corde avec laquelle il l'enchaîne ; il a beau montrer son portefeuille, ses papiers, des billets de banque... rien n'y fait !... alors prenant une résolution énergique il lui demande s'il veut boire. L'estafier accepte, Pierrot dit à l'aubergiste d'apporter une bouteille de bon vin, on met la table, on apporte la bouteille ; Pierrot verse coup sur coup à Spalatro, lui passant son gobelet plein chaque fois que l'autre a le sien vide. Il lui demande où il va le mener. En prison, réplique l'estafier !... ensuite on le pendra, Pierrot a demandé une seconde, une troisième bouteille. À la fin, Spalatro complètement ivre, laisse tomber ses membres sans force et lui-même tombe la figure sur la table. Pierrot appelle Ayoli et lui parle bas à l'oreille ; Ayoli refuse avec terreur ; Pierrot lui donne un billet de banque, alors tout deux prennent l'homme et sa lance et l'emportent gravement dans la montagne.
Scène XI.
Piccolino sort d'une cachette à gauche, il suit du regard l’œuvre de Pierrot et de l'aubergiste, il va les guetter au fond, croisant les mains avec crainte et montrant que les deux hommes ont descendu le dormeur et qu'ils le couchent à terre. Il ne veut pas qu'il arrive mal à cet homme, il sort pour veiller sur lui et disparaît à son tour.
Scène XII.
Ladrone le bandit, qui semblait guetter la sortie du jeune homme, fait sa rentrée en se frottant les mains. L'auberge est abandonnée, il va pouvoir la fouiller à l'aise ; il commence par explorer la dernière bouteille restée sur la table et comme elle contient encore du liquide, il la fourre dans son bissac, puis, s'assurant de nouveau que personne ne le guette, il entre dans l'auberge... quelques instants après, Ayoli rentre par la montagne, il est effrayé de l'action qu'il a commise avec Pierrot, il se laisse tomber sur un tabouret, cherche à boire et ne trouve rien, il veut pénétrer dans sa demeure, la porte en est fermée. Étonné de cette particularité, il monte sur la table pour voir à la fenêtre du premier étage ; Ladrone qui sort de la maison passe sa tête entre les jambes d'Ayoli qui se trouve à califourchon sur les épaules du bandit, lequel heurte et repousse la table ; les deux hommes ne savent ce que cela signifie. Enfin Ladrone dépose son fardeau sur la table et va pour fuir, mais arrivé vers le fond, il s'arrête court à la vue de quelqu'un qui vient ; il marche sur Ayoli qui a reconnu le voleur et semble consterné ; Ladrone tirant un pistolet de sa poche, le force à lui remettre son tablier et son chapeau en échange de sa veste et de son feutre, puis déposant son pistolet sur une pierre, il s’habille vivement et rentre dans l'auberge après avoir fait signe à Ayoli de s'éloigner et de prendre garde à lui s'il le trahit.