PIECES  DE  THEATRE  POUR  ENFANTS.

 
 

LE  RAT  DE  VILLE  ET  LE  RAT  DES  CHAMPS.
 

Eudoxie Dupuis

1893

Domaine public.


COMÉDIE EN UN ACTE.

.
PERSONNAGES.

HENRIQUE, 8 ans. LUCINDE, sœur d'Henrique, 6 ans
CHARLOT, 8 ans.
LE MAÎTRE.

Le théâtre représente un salon. Une table sur le devant, avec
un tapis et tout ce qu'il faut pour écrire.


SCÈNE I.

HENRIQUE, écrivant à table, CHARLOT.



CHARLOT, entrant. - Bonjour, monsieur Henrique.


HENRIQUE. - Ah ! c'est toi, Chariot, bonjour ! Par quel hasard es-tu ici aujourd'hui ?


CHARIOT. - Je suis venu apporter une paire de poulets et une douzaine d'œufs au château, et vous m'aviez dit.....


HENRIQUE. - Que la première fois qu'une commission t'amènerait, nous goûterions ensemble.


CHARLOT, fait signe que oui. - Je croyais que c'était l'heure de votre récréation et c'est pour cela...


HENRIQUE. - Oui, ordinairement ; mais figure-toi que mon maître m'a donné un pensum.


CHARLOT. - Un pensum ! Qu'est-ce que c'est que cela ?


HENRIQUE. - C'est un devoir à faire pendant la récréation justement.


CHARLOT. - Comme cela se trouve mal ! Je m'en vais alors.


HENRIQUE. - Eh non ! reste donc ! D'abord depuis une demi-heure que je suis là, je ne peux pas venir à bout de mon problème ; j'en ai la tête fatiguée !


CHARLOT. - Votre problème ?...


HENRIQUE. - Oui ; écoute, le voici : Si une pomme coûte cinq centimes, combien coûtera la douzaine de pommes ?


CHARLOT. - Pardi ! ça n'est pas malin l Elle coûtera douze sous.


HENRIQUE. - Je sais bien mais c'est là règle qu'il faut faire pour trouver cela que je ne sais pas !... Bah! cela viendra tout à l'heure.... En attendant, tu dois avoir faim ?


CHARLOT. - Dame ! monsieur Henrique, il y a longtemps que je suis parti de chez nous.


HENRIQUE. - Je vais aller chercher de quoi goûter. Seulement le difficile, c'est que, comme on sait que je suis en pénitence... N'importe ! attends-moi... J'ai une idée... Je vais bientôt revenir. Surtout tiens-toi tranquille. Qu'on ne se doute pas que tu es ici. Si tu entends du bruit, tu te cacheras.


CHARLOT. - Me cacher ? Où donc ?


HENRIQUE. - Où ? (Il jette un regard autour de lui.) Tiens là, sous la table. Je serai de retour dans un instant.



SCÈNE II.



CHARLOT, seul. - Monsieur Henrique a beau dire, je suis mal tombé.... Bah ! qu'est-ce que cela fait ? Le principal ; c'est de déjeuner, et puisqu'il est allé chercher de quoi. — Moi, j'ai toujours désiré manger de ce que mangent les gens riches. Quand je vais à la cuisine porter les provisions de la ferme, je vois une quantité de choses qui me donnent envie. Si mademoiselle Catherine soulève le couvercle de ses casseroles, il se répand dans toute la chambre une odeur !.... Je me demande quel goût peuvent avoir des plats qui sentent si bon ! Mon père a dîné quelquefois à la table du père de monsieur Henrique. Il dit qu'il n'a jamais pu manger à cause d'un grand domestique, doré sur toutes les coutures, qui se plantait en face de lui et qui le regardait faire. Çà le gênait. Ah bien ! oui ! moi, il n'y a pas de danger ! Je ne serais pas gêné pour si peu, et rien ne m'empêcherait de prendre ma part d'un bon repas. (Après un instant de silence.) Pourvu que monsieur Henrique trouve ce qu'il veut. C'est que, outre le plaisir que j'aurais à me régaler de quelque chose dont je ne mange pas tous les jours, je commence, en effet, à avoir faim. (Prêtant l'oreille.) Ah ! il me semble qu'on marche dans le corridor. C'est monsieur Henrique sans doute.... Oui, mais si c'était une autre personne ? — On approche. Cachons-nous ; cela vaudra mieux. (Il se tapit sous la table, de manière à ce que les spectateurs le voient.)



SCÈNE III.

CHARLOT, caché, HENRIQUE.



HENRIQUE, entrant, il porte un plateau sur lequel sont plusieurs assiettes. Regardant autour de la chambre. - Eh bien ? Où est-il ?

CHARLOT, sortant de sa cachette. - Me voilà, monsieur Henrique ; vous m'aviez recommandé de ne pas me montrer.


HENRIQUE, riant. - Ce pauvre Charlot ! (Il pose son plateau sur le coin de la table.) Tiens, voilà des provisions. Je savais bien que ma bonne Pélagie ne pourrait rien refuser à son petit Henrique. Il faut te dire qu'elle a plus de chagrin de me voir en retenue que je n'en ai moi-même. Elle en veut à mon maître de m'y avoir mis. Aussi, pour lui jouer un tour, elle m'a donné tout ce que je lui demandais. Voilà d'abord une grosse tranche de pâté.


CHARLOT. - Du pâté !


HENRIQUE. - Oui, du pâté de lièvre.


CHARLOT, avec admiration. - Vous en a-t-il une mine !


HENRIQUE, continuant. - Deux petits pots de crème au chocolat.


CHARLOT. - Au chocolat ! Moi qui n'en ai jamais goûté.


HENRIQUE. - Des confitures d'abricots.


CHARLOT. - Des confitures ! Voilà une chose dont j'ai toujours eu envie !


HENRIQUE. - Des biscuits pour manger avec la crème. (Fouillant dans ses poches.) Sans compter une poignée de mendiants et de pruneaux que j'ai fourrés dans mes poches en traversant l'office.

CHARLOT. - En voilà-t-il des choses !


HENRIQUE. - Tiens ! J'ai oublié des cuillers et des fourchettes. Tant pis.


CHARLOT. - On s'en passera, monsieur Henrique, on s'en passera.


HENRIQUE. - Il le faudra bien, car je n'oserais pas descendre une seconde fois.


CHARLOT. - Et puis cela nous retarderait. Moi d'abord j'ai mon eustache (Il tire un couteau de sa poche.)

HENRIQUE. - Et moi, mon couteau à papier. (Il prend sur la table un couteau d'ivoire.) Allons ! mettons nous à la besogne. Mais d'abord fermons la porte au verrou, afin de n'être pas surpris.


CHARLOT. - C'est une bonne idée.

     (Henrique va fermer la porte.)


HENRIQUE, revenant. - Maintenant envoyons promener toutes ces paperasses.. (Il jette ses livres et ses cahiers sur les chaises et les fauteuils.) À présent que nous avons de la place, nous serons on ne peut mieux. (Il dispose les assiettes sur ta table.) Tiens, Chariot, mets toi là. Voilà une assiette et une tranche de pâté. Goûte-moi ça ; tu m'en diras des nouvelles. (Chariot mange.) Hein ? Qu'en penses-tu ?


CHARLOT, la bouche pleine. - Je pense que si vous vous régalez tous les jours de pareils morceaux, vous n'êtes pas à plaindre.

HENRIQUE. - Il est bon, n'est-ce pas ?


CHARLOT. - Je le crois bien !

HENRIQUE, écoutant. - Attends ; il me semble qu'on vient de ce côté. (Tous deux s'arrêtent de manger.) Oui... non... on s'éloigne.

CHARLOT, la main en l'air, prêt à porter une bouchée à ses lèvres. - Qu'est-ce qu'il y a donc ?


HENRIQUE. - Rien ; sois tranquille ; on est parti ; mangeons. — Et la croûte ?... Que dis-tu de la croûte ?


CHARLOT. - Je dis que cette croûte-là est encore meilleure que la galette que maman nous fait les jours de fête. Et pourtant elle est bien bonne aussi la galette de maman !


HENRIQUE, écoutant encore. - Ah ! cette fois ! ... je ne me trompe pas...

CHARLOT, s'interrompant de nouveau de manger. - Quoi ! encore ?


HENRIQUE. - On vient... Non ; on s'en va.

     (Ils tendent tous deux l'oreille ; toujours la main droite en l'air.)

CHARLOT. - En effet... Il me semble, dites donc...


HENRIQUE. - Oui ; on approche de nouveau. Qu'est-ce que c'est ? (On frappe à la porte.) (Bas.) Vite, vite, Chariot, cache-toi.


CHARLOT. - Comme c'est amusant ! (Il se glisse sous la table.)



SCÈNE IV.

CHARLOT, caché, HENRIQUE, LUC1NDE, au dehors.



HENRIQUE, allant à la porte. - Qui est là ?


LUCINDE. - C'est moi.


HENRIQUE, à Charlot. - Ce n'est que ma petite sœur Lucinde. Reprends ta place. Il n'y a pas de danger. Je ne la laisserai pas entrer. (À Lucinde.) (Charlot se rassied.) Qu'est-ce que tu demandes ?


LUCINDE. Je voudrais mon livre d'images.


HENRIQUE. - Je ne l'ai pas.


LUCINDE. - Je l'ai laissé dans ta chambre ce matin.


HENRIQUE, regardant de tous côtés, à part. - C'est vrai ; le voilà. (Haut.) Eh bien ! attends, je vais te le donner.

LUCINDE. - Henrique, ouvre-moi la porte, s'il te plaît.


HENRIQUE. - Attends donc un peu. (Il va prendre le livre, entrouvre la porte avec précaution et passe le livre à sa sœur.) Tiens ; es-tu contente ?


LUCINDE. - Laisse-moi entrer !


HENRIQUE. - Je ne veux pas.


LUCINDE. _ Pourquoi cela ?


HENRIQUE. - Tu me dérangerais ; j'ai à travailler.


LUCINDE. - Je serai bien sage.


HENRIQUE. - Non, maintenant que tu as ton livre, va-t'en.


LUCINDE. - Tu es méchant.


HENRIQUE. - Laisse-moi fermer la porte.


LUCINDE. - Je t'assure que je resterai bien tranquille... dans un coin, à regarder mes images, sans rien dire.


HENRIQUE. - Impossible.

.
(Il referme la porte. Lucinde frappe de nouveau, puis elle s'éloigne en pleurant et eh murmurant. Pendant toute celte scène Charlot est resté anxieux, l'oreille tendue, la bouche ouverte, la main en l'air et prêt à quitter sa place.)



SCÈNE V.

HENRIQUE, CHARLOT.



CHARLOT, avec satisfaction. - Ouf !


HENRIQUE. - La ! Nous voilà en repos maintenant.


CHARLOT. - Oui, jusqu'à une nouvelle alerte.


HENRIQUE. - J'ai cru que je ne m'en débarrasserais jamais.


CHARLOT. - Ce qui me fait de la peine, c'est que notre petite sœur s'en va fâchée.


HENRIQUE. - Bah ! Elle n'y pense déjà plus. Allons ! remettons-nous à l'œuvre.


CHARLOT. - Je ne demande pas mieux, quoique ce ne soit pas
divertissant d'être toujours ainsi sur le qui-vive.


HENRIQUE. - Qu'est-ce que cela fait ? Veux-tu encore du pâté ?


CHARLOT. - Ce n'est pas de refus. (Écoutant.) Attendez donc... Il me semble....





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