PIECES DE THEATRE POUR ENFANTS.
PIECES DE THEATRE POUR ENFANTS.
PIERROT PHOTOGRAPHE
PANTOMIME MÊLÉE DE CASCADES EN UN ACTE.
Almanach des enfants.
Amusements et jeux pour jeunes filles et jeunes garçons
1877
PIERROT, opérateur.
LORD TOLAN, touriste.
BAMBOULA, groom.
LA MÈRE MICHEL, rentière.
UN CHAT, en peluche.
La scène se passe de nos jours.
PIERROT PHOTOGRAPHE
Une place publique ; à gauche, la maison de Pierrot,
au dessus de laquelle est une enseigne avec ces mots :
PHOTOGRAPHIE ; à droite la maison de la mère Michel.
Scène première.
Lord Tolan, raide et gourmé comme tous les Anglais, arrive flegmatiquement au milieu de la scène : il se tourne d'une pièce vers la demeure du photographe, expliquant qu'il veut faire faire son portrait, mais la maison est silencieuse, sans doute le maître dort. Il s'en retourne automatiquement; près de sortir par la droite, il se ravise et vient frapper à la porte de Pierrot. Moment de silence suivi d'une nouvelle sortie automatique ; revenant derechef au milieu du théâtre, il tire de sa poche une grosse montre (une montre à gousset de préférence), regarde l'heure qui est peu avancée, annonce qu'il reviendra, et sort gravement.
Scène II.
La porte s'ouvre et Pierrot montre sa tête, il entre en scène, raconte qu'il dormait ; on a frappé, il s'est levé vivement et achève de s'habiller ; il est étonné de ne voir personne, enfin, puisqu'il est hors du lit, il en profitera pour faire son étalage ; il entre dans son domicile et en sort à plusieurs reprises, rapportant des épreuves plus ou moins grotesques qu'il montre au public, et qu'il accroche ensuite aux deux côtés de sa porte ; pendant qu'il s'occupe du placement de ces portraits, la mère Michel paraît à sa croisée et vide une potée d'eau (un verre de grain de riz dans le pot fait un bon effet lorsqu'on le jette) que Pierrot reçoit tout entière. La mère Michel rentre vivement. Pierrot flaire ses manches en faisant une grimace, et se précipite dans sa maison en montrant qu'il va se sécher au feu.
Scène III.
Lord Tolan revient par la droite, il tire sa montre et croit l'heure propice pour trouver le photographe ; il descend jusqu'à sa porte, examine les différents portraits et fait plusieurs grimaces plus ou moins admiratives, selon les forts nez, ou les grandes bouches qu'il voit, puis n'entendant personne remuer, il regarde par le trou de la serrure ; Pierrot sort au même instant et se heurte le ventre contre la tête de l'anglais qui roule à terre ; Pierrot qui s'est fait du mal arpente la scène en se tenant les côtes, enfin il aperçoit lord Tolan, qui agite les bras et les jambes comme pour appeler à l'aide ; il lui prend les mains et le relève tout d'une pièce, lui demandant ensuite ce qu'il écoutait à sa porte. L’Anglais lui explique qu'il désire son portrait : Pierrot répond que c'est lui le photographe ; poignées de mains, salutations prétentieuses ; Pierrot cherche une pose convenable après avoir fait asseoir l'anglais qui se présente de profil, de face, s’arrêtant net pour tirer de sa poche différents ustensiles avec lesquels il se brosse, se peigne ou se mire. Toute cette scène doit être fort comique. Pendant ce temps, Pierrot est allé chercher un tabouret, fait asseoir son client auquel il dit de rester immobile, et rentre chez lui pour aller chercher son objectif.
Scène IV.
Raide comme une statue, l'Anglais demeure sur son tabouret sans s'occuper de ce qui se passe autour de lui ; la mère Michel sort de sa maison en faisant signe à quelqu'un resté dans l'intérieur ; elle descend jusqu'à l'avant-scène, habillée d'une façon ridicule et portant un énorme sac. Elle montre quelle va chercher des provisions au marché ; soudain elle se frappe le front, court à sa porte et fait signe à l'intérieur qu'on veuille bien veiller sur son chat ; puis marchant à reculons, elle arrive sur l'Anglais qu'elle renverse avec son tabouret ; perdant elle-même l'équilibre elle roule sur lord Tolan. Dans leur chute tout deux s'emmêlent dans leurs vêtements et se relèvent avec difficulté ; enfin leurs têtes se rapprochent, l'Anglais voit avec stupeur qu'une femme est tombée sur lui, la mère Michel est scandalisée de se voir aussi près d'un homme ; elle se relève toute furieuse en faisant de grands gestes ; l'Anglais l'imite et veut s'expliquer, mais elle le menace, le griffe et commence une chasse où elle lui donne des coups de sac qui font faire autant de soubresauts à lord Tolan... Après plusieurs tours de la scène exécutés de la sorte, l'Anglais s'échappe, poursuivi par la mère Michel qui ne cesse de le harceler.
Scène V.
Au bruit de la lutte, Pierrot sort, se demandant ce qui a pu provoquer une scène semblable, il ne trouve plus son client à sa place, voit le tabouret renversé, regarde en haut, en bas, partout, examine dans la coulisse, voit la vieille poursuivant au loin l'Anglais, il rit à se tordre et comprend ce qui a dû se passer... La mère Michel revient, rouge, fripée, en brandissant son sac dans la direction où elle a laissé l'Anglais. Pendant ce temps, Pierrot a détaché de sa porte un tableau contenant plusieurs portraits et se met à contempler son travail ; dans un brusque mouvement, la mère Michel sans voir Pierrot, allonge un coup de sac qui fait tomber le tableau ; Pierrot lui envoie une bourrade et lui montre ce quelle vient de faire ; la vieille lui demande pardon tout en se frottant la place que Pierrot vient de cogner ; puis reconnaissant le photographe elle lui demande s'il pourra faire son portrait... tenant son chat dans ses bras. De suite, répond Pierrot ! Puis sautant au cou de Pierrot, qui recule chaque fois, elle l'embrasse à plusieurs reprises, et ensuite rentre chez elle pour aller chercher son matou ; Pierrot tâte son nez pour voir si elle ne l'a pas mordu, il rentre à son tour dans la maison en imitant les folies de la vieille et en riant de ses grimaces.
Scène VI.
La scène reste vide un moment et sur un motif gai, survient Bamboula, jeune groom, lequel ne se tient pas tranquillement en place et sautille tout le temps ; il montre qu'il a de l'argent en poche, et saute ; regardant ensuite les portraits, il explique qu'il veut faire faire le sien et saute, puis tout en continuant d'examiner ces portraits, il gigote avec la mobilité d'un singe. Lord Tolan paraît au fond, il allonge le cou pour voir si la mère Michel n'est pas là. Ensuite, il tire sa montre, croit l'heure favorable pour obtenir son portrait, s'avance vers la demeure de Pierrot et regarde imperturbablement Bamboula qui se trémousse ; Bamboula se retourne, prend l'Anglais pour le photographe, le salue, lui demande son portrait, lui montre son argent, le tout sans cesser de marquer sa cadence piétinante ; lord Tolan impatienté trouve qu'il danse mal et commence une gigue à laquelle Bamboula mêle son mouvement, ce qui produit une cacophonie grotesque et comique à la fois.
Scène VII.
Pierrot rentre en scène et regarde sans y rien comprendre ce petit groom qui danse avec l'Anglais ; il vient au milieu d'eux et finit par se mêler à leur sautillement ; à sa vue l'Anglais s'arrête, tire sa montre et demande s'il veut faire son portrait sans s'arrêter une minute. Bamboula demande à Pierrot s'il est le photographe. Réponse affirmative !... Bamboula montre son argent et désire poser ; impatienté de le voir sauter ainsi, Pierrot lui appuie plusieurs fois les mains sur les épaules ; Bamboula s'arrête et recommence à sauter aussitôt que Pierrot cesse de le tenir en arrêt ; la manie dansante recommence, lord Tolan rit stoïquement et l'imite. Pierrot fait de même et le reste de la scène n'a plus lieu qu'en sautillant. Bamboula veut poser le premier, l'Anglais dit que non, qu'étant venu le matin, c'est à lui la première pose ; l'Anglais s'entête, Bamboula aussi, l'Anglais et le nègre se menacent, l'un s'apprête à boxer, l'autre lui donne un coup de pied ; Pierrot qui veut mettre le holà, reçoit des coups de chacun d'eux et tape au hasard sur l'un et sur l'autre. Les deux hommes roulent à terre pendant que Pierrot fait xi ! xi !... Enfin Bamboula se relève, prend le chapeau de l'Anglais et se sauve avec ; lord Tolan vexé se relève ensuite, court après le voleur de son chapeau, arrive près de la coulisse, il tire sa montre, regarde l'heure et sort sur les traces de Bamboula.
Scène VIII.
S'amusant fort de cette scène, Pierrot rit à se tordre, il va chercher son tabouret et, le plaçant au milieu du théâtre, se laisse tomber dessus en continuant de rire ; la mère Michel sort de sa maison tenant un chat dans ses bras ; elle l'embrasse et sans voir Pierrot, vient lui mettre son matou sur làafigure ; Pierrot éternue ; la mère Michel prend un air sérieux et lui dit de ne pas faire le dégoûté, que son chat est propre, elle lui soulève la queue et s'avance sur Pierrot qui la croit sur parole ; elle demande alors s'il est prêt à faire son portrait et celui de son minet ; Pierrot dit que oui, et pendant que madame Michel dorlote son animal qui veut s'en aller et quelle menace de soufflets, l'opérateur revient avec son objectif ; il fait asseoir la mère Michel sur le tabouret et lui fait prendre des poses comiques ; il s'impatiente en voyant sa cliente bouger à chaque instant pour maintenir son chat qui ne veut pas se tenir tranquille, ou se secouer les mains sur lesquelles l'animal vient de s'oublier ; enfin un calme survient ; Pierrot fait signe que le moment est propice et l'objectif est mis en position.
Scène IX.
À peine Pierrot s'est-il mis la tête sous le voile noir que la mère Michel pousse un grand cri ; Bamboula tenant le chapeau de l'Anglais et sans quitter son éternel sautillement arrive de la droite et ne faisant pas attention à la vieille, la renverse avec son tabouret puis tombe sur elle ; surpris par les cris de sa cliente, Pierrot s'embarrasse dans son voile noir et ne sachant où il marche renverse à son tour l'objectif et son support. Bamboula s'est relevé le premier et tout en sautant, au lieu de porter aide à la mère Michel, qui étalée sur le dos, lève en l'air les bras et les jambes, il retape le chapeau de lord Tolan qui s'est aplati dans sa chute ; Pierrot débarrassé de son voile, se trouve en face de la mère Michel dont la toilette est en désordre, il s'assied sur ses jambes en rabattant sa robe et fait signe à Bamboula de venir l'aider à remettre la vieille sur pied, mais elle a perdu connaissance et les deux hommes n'ont pas trop de leurs forces réunies pour l'asseoir, non sans la laisser tomber à plusieurs reprises ; on lui tape dans les mains ; Pierrot dit à Bamboula de la soutenir un instant pour aller chercher une potée d'eau. Le groom embarrassé de son fardeau danse toujours en imprimant son mouvement à la Vieille évanouie. Pierrot revient avec une jatte d'eau qu'il lui lance au visage ; la mère Michel reprend ses sens et allonge une paire de soufflets que le groom et Pierrot se partagent, puis elle arpente la scène comme une folle, promenade comique où l'on se heurte en exécutant des passes tumultueuses, enfin on lui demande ce quelle a... son chat est perdu !... Elle sort suivie de Pierrot et du nègre. Tous trois se mettent à la recherche du matou.
Scène X.
Lord Tolan arrive par la droite, tire sa montre et regarde l'heure, puis il tâte sa tête nue et se met à éternuer ; il examine froidement le désordre de la place, relève le tabouret et l'objectif et se demande qui a pu commettre ce remue-ménage; il s'assure que Pierrot n'est pas chez lui et va pour sortir après avoir regardé sa montre, lorsque, arrivé près de la coulisse il est heurté et renversé par Bamboula qui accourt en sautillant.
Scène XI.
L'Anglais se relève avec rapidité, tire une trousse de sa poche, se peigne, se brosse, et lorsqu'il s'est remis en état, regarde Bamboula qui s'est arrêté, court à sa vue et sautille en ricanant ; l'Anglais lui redemande son chapeau, le groom, tout en piétinant, montre qu'il l'a sous le bras, mais qu'il ne le donnera pas ; lord Tolan tout en imitant d'une manière gouailleuse son balancement perpétuel, lui demande une fois, deux fois s'il veut lui remettre son couvre chef ; au troisième refus, il fait un froid mouvement de colère, prend la casquette du groom et se la pose sur la tête. Bamboula vexé, se fourre jusqu'aux yeux le chapeau déformé de l'Anglais, puis se mettant en mesure de se cogner, les deux hommes se défient ; avant de commencer la lutte, lord Tolan tire sa montre et dit qu'il a le temps. Boxe comique où les coups de poings frappent dans le vide sans attraper personne.
Scène XII.
Bamboula donne un coup de pied qui atteint Pierrot lequel entre juste à temps pour le recevoir ; il prend le groom à bras-le-corps et le renvoie sur lord Tolan qui le lui lance à son tour ; ils sont séparés par Pierrot qui se place entre eux : Bamboula et lord Tolan se redressent et se recoiffent en relevant la tête ; Pierrot rit en voyant l'Anglais orné de la casquette du groom et celui-ci coiffé du feutre de lord Tolan : eux-mêmes se mettent à rire en se regardant réciproquement ; Pierrot, qui reprend alors son sérieux, leur dit de s'éloigner ; l'Anglais tire sa montre et de son portefeuille, exhibe un billet de banque qu'il offre à Pierrot pour qu'il lui fasse son portrait ; celui-ci empoche le billet et riposte que cela va être fait à l'instant ; le nègre tire de sa poche des pièces d'argent qu'il donne à Pierrot pour avoir le sien. De suite, répond Pierrot en acceptant la monnaie, mais tous deux veulent être premier. Pierrot joue à pimpondor par lequel il commencera. Ce jeu favorise lord Tolan, auquel chacun donne une poignée de main ; Pierrot le fait asseoir sur le tabouret et se met en devoir de le photographier en lui disant de se tenir tranquille, mais Bamboula tourne constamment à ses côtés ou au fond de la scène en sautant sans cesse ; l'Anglais tourne à son tour la tête pour suivre ses mouvements et remue ensuite les jambes par suite de l'impatience que ce danseur éternel lui procure ; Pierrot s'escrime à leur faire signe ; ne bougeons plus ! Moment de silence. Pierrot tourne le dos à l'objectif et fait face au public en comptant d'une manière grimaçante le nombre de secondes nécessaires à l'opération. Bamboula, qui est venu se placer entre l'Anglais immobile et l'instrument auquel il tourne le derrière, regarde poser lord Tolan et lui trouve bon air. Pierrot annonce que c'est fini, retire la plaque de l'objectif et rentre chez lui.
