PIECES  DE  THEATRE  POUR  ENFANTS.

 
 
ANDRÉ. - Toi, je te défends de répliquer. Va apprêter mon paquet pour partir.
 
JEANNETTE (riant). - Partir ! C'est donc pour de bon ? Ah ! par exemple, je voudrais voir cela.

ANDRÉ. - Tu crois que je ne partirai pas ?

JEANNETTE. - Mais non.

ANDRÉ. - Tu crois que je ne ferai pas un bon soldat ?

JEANNETTE. - Ah ! ça, j'.en suis sûre. Vous avez montré tant de bravoure l'autre jour devant le cygne. (À Gabrielle et à Louise). Figurez-vous. mesdemoiselles, que lundi dernier, aux Tuileries, il a voulu absolument aller tourmenter un cygne qui se promenait bien tranquillement sur le bord du bassin. Voilà que le cygne est arrivé sur lui le cou tendu, le bec ouvert, les ailes déployées. C'est Monsieur André qui a poussé de beaux cris et qui à eu bientôt fait de venir se réfugier derrière moi !

ANDRÉ. - C'est qu'aussi j'étais sans arme ! Si j'avais eu mon fusil, où seulement mon sabre... tu aurais vu !
     (Il fait un geste menaçant avec son fusil).

JEANNETTE. - Ah, oui ! le cygne aurait eu joliment peur de vous !

ANDRÉ. - Toi, je te défends de répliquer. Va tout de suite faire mon paquet.

JEANNETTE (riant). - Faudra-t-il y mettre une paire de rasoirs pour vous faire la barbe ?

ANDRÉ. - Veux-tu bien m'obéir, et tout de suite encore !
     (Jeannette sort en riant).



SCÈNE VI.

ANDRÉ, GABRIELLE, LOUISE.



ANDRÉ. - Allons ! vous autres, reprenez vos places.

GABRIELLE. - Ah ! moi, j'en ai assez, je suis fatiguée de porter ce parapluie.

ANDRÉ. - Tant pis ! reprends-le. (Gabrielle le reprend de la main gauche d'un air ennuyé). A-t-on jamais vu tenir un fusil de la main gauche ! (Gabrielle le change de main). À la bonne heure !.... Maintenant on dirait que tu vas le laisser tomber. Reste là, au port d'armes, (À Louise). A toi maintenant; je vais t'apprendre le maniement du  . Tu n'as pas de sabre ? Attends. (Cherchant de l’œil autour de lui). Tiens ! voilà une règle qui le remplacera. On fait comme cela. (Il brandit son sabre et avance de deux pas en frappant du pied). Pan ! Pan !


LOUISE. - Ce n'est pas malin ! (Elle l'imite). Pan ! Pan ! Pan ! J'en sais aussi long que toi !
     (Elle le frappe légèrement du bout de la règle).

ANDRÉ. - Mais non, mais non ; ce n'est pas cela.

LOUISE. - J'aime autant retourner à la salle de police que de tenir un sabre.



SCÈNE VIL

ANDRÉ, GABRIELLE, LOUISE, JEANNETTE.



JEANNETTE. - Tenez, monsieur André, vous pourrez partir quand vous voudrez. Voilà votre paquet : trois chemises trois paires de bas, six mouchoirs et vos souliers neufs. Il n'y manque rien !

ANDRÉ. - As-tu pensé à y mettre mes joujoux ?


JEANNETTE. - Vos joujoux ! Ah ! pour le coup ! A-t-on jamais vu un soldat aller à la guerre avec des joujoux ?

ANDRÉ. - Dame ! On ne se bat pas toute la journée. Et alors que faire le reste du temps ? Je veux emporter mon ballon et mon jeu de quilles.
     (Gabrielle et Louise rient entre elles).
     (Jeannette sort et rentre quelques instants après avec les joujoux).

GABRIELLE. - Ainsi c'est décidé, André, tu t'en vas !

ANDRÉ. - Tu as l'air de ne pas le croire.

GABRIELLE. - Je le croirai quand tu seras parti.

ANDRÉ. - Pourquoi donc ?

GABRIELLE. - Parce que tu es trop poltron pour te faire soldat.

ANDRÉ. - Poltron, moi ! peut-on dire !...

LOUISE. - Capon ! si tu aimes mieux.

ANDRÉ. - Capon ! C'est trop fort ! Ah ! vous croyez que je ne partirai pas ? Eh bien ! je vais m'en aller tout de suite, au contraire.

JEANNETTE. - Vous le pouvez. Voilà toutes vos affaires.

ANDRÉ (prenant son paquet). - Tant mieux. Adieu, Gabrielle, Adieu, Louise, Adieu, Jeannette.

TOUTES TROIS. - Adieu, adieu.

JEANNETTE. - Quand vous reviendrez, monsieur André, vous nous direz si la cuisine du régiment est meilleure que celle de la maison.

ANDRÉ (à part). - On dirait qu'elle se moque de moi.

GABRIELLE (riant). - Adieu, André ; ne verse pas en route.

LOUISE (de même). - Adieu, André ; ne fais pas de mauvaises rencontres.

JEANNETTE (de même). - Adieu, monsieur André ; prenez garde de trouver le cygne sur votre chemin.

ANDRÉ. - Ah ça ! vous n'avez pas le même air, toutes, que lorsque mon frère Léon est parti.

GABRIELLE. - Ah ! c'est que c'est bien différent !

ANDRÉ. - Ce jour-là tout le monde pleurait. Pourquoi donc ne faites-vous pas de même aujourd'hui ?

LOUISE. - Oh ! nous n'y sommes pas du tout disposées.

ANDRÉ. - Pourquoi cela ?

JEANNETTE. - Nous avons bien plutôt envie de nous réjouir.

ANDRÉ. - De vous réjouir ?

LOUISE. - Certainement.

ANDRÉ. - Mais vous ne vous réjouissiez pas quand Léon est parti.

GABRIELLE. - Oh ! non ; nous avions même bien du chagrin.

ANDRÉ. - Je veux que vous ayez du chagrin aussi.

LOUISE. - Quant à cela, c'est impossible.

ANDRÉ. - Mais pourquoi donc ?

JEANNETTE. - Parce que nous ne sommes pas du tout fâchées de vous voir partir.

ANDRÉ. - Pas fâchées !

GABRIELLE. - Nous en sommes bien contentes au contraire !

ANDRÉ (à Jeannette). - Dis donc, Jeannette, est-ce que, loi aussi, tu es contente de me voir partir ?

JEANNETTE. - Je le crois bien. Une fois que vous ne serez plus là pour me tourmenter, comme vous vous y appliquez du matin au soir, je pourrai faire mon ouvrage tranquillement !

ANDRÉ (avec tristesse). - Vraiment ! On est bien aise que je quitte la maison ? C'est donc qu'on ne m'aime pas ?

JEANNETTE. - Certainement qu'on ne vous aime pas.

ANDRÉ (de même). - On ne m'aime pas !

JEANNETTE. - Comment voulez-vous qu'on aime un garçon aussi méchant que vous ?

ANDRÉ (répétant). - On ne m'aime pas, Jeannette ? tu en es bien sûre ?

JEANNETTE. - Mais oui, j'en suis sûre.

ANDRÉ. - Et l'on ne m'aimera jamais ?

JEANNETTE. - Je ne dis pas cela. Si vous vouliez seulement devenir un peu gentil.

ANDRÉ.- Tu crois qu'on m'aimerait ?

JEANNETTE. - Vous pouvez y compter.

ANDRÉ. - Dis donc, Jeannette, si j'essayais de le devenir ?

JEANNETTE. - C'est une bonne idée.

ANDRÉ (continuant). - De ne plus tourmenter tout le monde ?

JEANNETTE. - Vous feriez joliment bien.

ANDRÉ. - M'aimerais-tu, toi, Jeannette ?

JEANNETTE. - Moi ? mais je ne demanderais pas mieux.

ANDRÉ. - Et toi, Gabrielle ?

GABRIELLE. - Sans doute. De tout mon cœur.

ANDRÉ. - Et toi, Louise ?

LOUISE. - Je ferais comme les autres.

ANDRÉ. - Eh bien ! voilà qui est convenu ; je vais tâcher de me rendre bon pour qu'on m'aime. Je ne vous ferai plus jamais enrager ni les uns ni les autres. Vous allez bien le voir, car décidément je reste avec vous. C'est trop triste de s'en aller quand personne ne vous regrette.

JEANNETTE. - Vous avez bien raison. Appliquez-vous à devenir aimable, et quand viendra l'âge de vous faire soldat, au lieu d'éprouver de la joie à vous voir partir, tout le monde en aura du chagrin comme lorsque votre frère Léon nous a quittés.

ANDRÉ (chante). -
Air : Je suis un petit enfant.

Jusqu'à présent, il est vrai,
J'étais volontaire ;
Mais je ne veux plus jamais
Être volontaire.
S'il m'arrive désormais
D'être volontaire,
C'est lorsque tout bon Français
Sera volontaire.

FIN


INDICATIONS POUR LA MISE EN SCÈNE

 

     Le théâtre représente un salon. Une seule entrée. Table avec des livres et des albums. Chaises, fauteuils.


Costumes.

ANDRÉ. — Costume de ville, puis habillement militaire tel que ceux qu'on donne aux enfants.


GABRIELLE ET LOUISE. — Costumes de ville.


JEANNETTE. — Costume de paysanne. Jupe d'indienne rayée ou à fleurs. Corsage rouge ou noir, ouvert en carré ; manches blanches courtes. Tablier blanc. Croix d'or. Bonnet de paysanne de fantaisie.


Accessoires,

Albums. Fusil. Sabre. Tambour. Parapluie. Canne. Jeu de quilles.
Ballon. Une règle plate. Un paquet noué dans une serviette.




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