PIECES  DE  THEATRE  POUR  ENFANTS.

 
 
Le SAPIN qui chante

Conte de Noël en trois tableaux et un prologue,

par Pierre PIVO.


PERSONNAGES:

LE MESSAGER DE L’HIVER, petit page avec flocons de neige bien en évidence un peu partout sur le costume (au sommet du chapeau, à l’extrémité des manches, en guise de boutons sur te pourpoint, sur les boucles de soulier) ;
MATHILDE, 9 ans ;   } Robes blanches au troisième tableau ;
GENEVIÈVE, 8 ans ;  }
EDWIGE, 7 ans ;       } Robes de couleur à carreaux, au 1er tableau ;
LE PAPA, autoritaire et bourru mais bon cœur ;
LA MAMAN, très douce ;
ANNE, la vieille bonne ;
     Ces trois derniers rôles peuvent être interprétés par un grand garçon (avec barbe) et deux grandes filles.
DES VOIX en coulisses et parmi le public.
FIGURATION (pantomime du prologue et amis de la famille au dernier tableau) ad libitum.

 
PROLOGUE

     (Avant le lever du rideau, le Messager de l’Hiver entre par la droite sur l’avant-scène. Il tient à la main une petite baguette et s’adresse au Public).

LE MESSAGER DE L'HIVER. — Oui, c’est moi... Vous me reconnaissez ? (Un temps). Non, je ne suis pas le Messager du Printemps !... Regardez mes flocons de neige... (Gestes successifs). Je suis le Messager de l’Hiver. (Silence). Je vais vous raconter une belle histoire... une histoire comme les Vieilles de chez nous se les racontent au coin du feu en cette saison... Vous voulez bien, n’est-ce pas ?

DES VOIX, dans le public. — Oui !...

LE MESSAGER DE L'HIVER. — Il était une fois, il y a longtemps, bien longtemps, dans un très vieux pays du Nord, trois petites filles... C’étaient trois sœurs aussi jolies l’une que l’autre et qui s’appelaient Mathilde, Geneviève et Edwige. (Silence). Or, cette année-là, la Fête de Noël approchait... On avait fait partout des préparatifs... On avait marqué au couteau de petits sapins dans la forêt... On en avait parlé des mois à l’avance...
     Chacun avait dit : (Il fait le geste d'aller écouter en coulisses tantôt à droite, tantôt à gauche).

PREMIÈRE VOIX, en coulisse, à droite. — ... À la Noël, on mangera une dinde.

LE MESSAGER, à part. — C’était une gourmande, celle-là !

DEUXIÈME VOIX, en coulisse, à gauche. — À la Noël, on mettra près de la cheminée un beau sapin. On le décorera de guirlandes et de cheveux d’anges, de bougies...

LE MESSAGER, à part. — C’était une artiste, celle-là !

TROISIÈME VOIX, en coulisse, à droite. Petite voix masculine. — La nuit de Noël, au moment où toutes les cloches sonneront, on se collera le nez aux vitres et on verra tomber la neige !

LE MESSAGER, à part. — C’était un poète, celui-là !... (Revenant au milieu de la scène, après un court silence). Pauvre petit ! Il était loin de se douter de ce qui allait arriver ! Cette année-là, il n’y avait pas de neige ! On l’avait attendue des semaines, il n’en tombait pas un flocon !... Bien mieux : il pleuvait interminablement... Des journées entières... Des semaines entières... (Silence). Les gens du pays ne sortaient plus que sous des parapluies... Tenez, en voilà quelques-uns...
     (Peuvent passer successivement sur l'avant-scène, de droite à gauche et de gauche à droite, mais toujours la tête sous un parapluie :
     Une vieille dame avec un réticule -petit sac en filet- et un petit chien ;
     Un vieux monsieur en tube -chapeau haut de forme- et en redingote à jupe ;
     Un petit bossu comique qui fait des grimaces en évitant les flaques d’eau.
     Une jeune femme très embarrassée avec sa robe à traîne, etc... au choix des organisateurs.
     Ces différents personnages doivent être présentés avec le maximum de pittoresque sur un rythme de pantomime).


LE MESSAGER. — Vous les avez vus, n’est-ce pas ?... Que penser d’un Noël semblable ? C’était la désolation partout. (Silence). Et que peuvent faire trois petites filles seules dans une grande maison quand elles s’ennuient et qu’il pleut ?

LE PUBLIC. — …

LE MESSAGER. — Vous ne devinez pas ?... Écoutez bien. (Un temps). Il y avait un grenier dans la maison. Alors, un jour qu’il pleuvait encore plus fort que d’habitude, elles se sont réfugiées...

UNE VOIX. — ... Dans le grenier !

LE MESSAGER. — C’est cela même... Elles y sont en ce moment. Vous voulez les voir ?

PLUSIEURS VOIX. — Oui !...

LE MESSAGER. — Un petit coup de ma baguette... (Geste). Toc ! Et les voilà !

     (Le rideau se lève mais le Messager ne part pas tout de suite.
     La scène représente le grenier où l’on aura assemblé les objets les plus hétéroclites au choix des organisateurs... mais pas d’anachronismes.. nous sommes au Moyen-Âge !
     Les trois petites filles, assises sur des bûches, lisent un gros ouvrage que la plus grande -Mathilde au milieu- tient ouvert. Elles demeurent quelques secondes immobiles).


LE MESSAGER. — Voyez... elles ne bougent pas. Mais la scène va s’animer... Vous allez voir !... (Silence très court). Baguette, ma petite baguette. (Geste). Toc ! Donne la vie à ces petites filles...
     (Au moment où les personnages s’animent, le Messager disparaît (par la droite, comme il est venu).


 
PREMIER TABLEAU.

SCÈNE UNIQUE.

MATHILDE, GENEVIÈVE, EDWIGE.

MATHILDE, à Edwige. — Non, Edwige, tu lis mal... Recommence !

EDWIGE, lisant avec des hésitations. — "Alors, le Sa-pin chan-la et ils fu-rent trans-por-tés de joie !..."

MATHILDE, à Geneviève. — C’est mieux, mais je me demande si Edwige a bien compris l’histoire...

EDWIGE, à Mathilde. — Si !... Je l’ai bien comprise.

MATHILDE. — Raconte-la, alors...

EDWIGE, d’une voix très douce. — C’étaient trois petites filles comme nous. (Un temps). La plus grande était menteuse.

GENEVIÈVE, à Mathilde. — Attrape, Mathilde !... Ça, elle l’a bien retenu.

MATHILDE. — Non, elle n’était pas menteuse mais il lui arrivait parfois de ne pas dire la vérité. Ce n’est pas la même chose.

EDWIGE. — La seconde était gourmande.

MATHILDE, à Geneviève. — Attrape à ton tour, Geneviève !...

GENEVIÈVE. — Ce n’est pas tout à fait cela non plus ! Il lui arrivait seulement parfois de trop aimer les bonnes choses.

MATHILDE. — Et la troisième, Edwige ?

EDWIGE, très naïvement. — La troisième n’avait lias encore tout à fait sept ans. Elle était sans péché mais elle ne le savait pas.

MATHILDE, toujours à Edwige. — Alors... la suite de l’histoire ?...

EDWIGE. — Un mois avant Noël, les deux premières avaient décidé de changer de conduite...

MATHILDE. — Explique-toi !

EDWIGE. — Pendant un mois, la plus grande ne lit pas un seul mensonge ni à son Papa, ni à sa Maman, ni à sa bonne, ni à ses deux sœurs.

MATHILDE. — Et l’autre ?

EDWIGE. — L’autre prit toujours la plus petite part des friandises et des gâteaux qui lui étaient offerts.

GENEVIÈVE, visiblement satisfaite. — Et la troisième ?

EDWIGE, toujours très naïvement. — La troisième ne fit rien du tout puisqu’elle était sans péché.

MATHILDE, après un court silence. — Et qu’arriva-t-il ?

EDWIGE, plus lentement. — "La nuit de Noël, alors qu’elles étaient réunies avec leurs parents autour du beau sapin que leur Papa avait rapporté de la forêt..." (Elle s’arrête).

MATHILDE. — Achève !...

EDWIGE. — "Après que la vieille église eut sonné les douze coups de minuit..." (Elle s’arrête de nouveau).

MATHILDE. — Pourquoi ne continues-tu pas ?

EDWIGE, transportée, les yeux hors du monde. — "...Le sapin se mit à chanter..."

GENEVIÈVE. — Qu’est-ce qu’il disait ?

EDWIGE. — Rien... C’était une belle musique comme on n’en avait jamais entendue... et comme on n’en entendit plus jamais depuis.

MATHILDE. — Et... est-ce qu’elles furent les seules à entendre cette musique ?

EDWIGE. — Non !... Le Papa, la Maman, les Parents, les Amis l’entendirent aussi. (Répétant maladroitement les paroles du livre). "Ils furent tous transportés de joie et ils tombèrent à genoux."

MATHILDE. — Parfait. Mais je crois que l’histoire ne s’arrête pas là ?...

GENEVIÈVE. — Non, MATHILDE. (À Edwige). Lis la suite.

MATHILDE, à Geneviève. — Non, pas Edwige !... Tu sais bien qu’elle lit trop lentement. C’est moi qui vais lire. (Elle ouvre le livre qu’on avait refermé et lit). Alors, la neige qui n’avait pas fait son apparition depuis six semaines se mit à tomber comme si toutes les cataractes du Ciel s’étaient ouvertes. Il y en avait partout... Sur les toits des chaumières... Dans les nids abandonnés des petits oiseaux... Sur les glaçons de la rivière... Sur les sabots devant les portes... Sur les brouettes et sur les chariots dans les cours des fermes... Sur la girouette du clocher et sur le nez des petits garçons qui se hasardaient à la regarder en traversant le village...

GENEVIÈVE, à MATHILDE, l'interrompant. — Ça ne te dit rien tout ça ?

MATHILDE. — Non. Je ne vois pas.

GENEVIÈVE. — Les trois petites filles... Le sapin... La neige qui ne tombe pas ?... C’est notre propre histoire ! (Un temps). Oh ! bien sûr, moi, je ne suis pas gourmande !

MATHILDE, souriant. — Qu’en sais-tu ?... On se connaît mal, parfois ! (Un temps). En tout cas, moi, je dis toujours la vérité, je pense...

GENEVIÈVE, imitant ses inflexions de voix. — Qu’en sais-tu ? On se connaît mal, parfois !...

MATHILDE. — Ne nous disputons pas. C’est sans doute vrai que nous sommes ainsi... Il faut savoir le reconnaître ! (Un temps). Si nous essayions... (La phrase demeure en suspens).

GENEVIÈVE. — Quoi ?

MATHILDE. — ... De nous corriger pendant un mois ?... On verra bien si le sapin chante...

GENEVIÈVE, renchérissant. — ... On verra bien si la neige tombe... (Un temps). Oh ! moi, tu sais, je ne crois pas plus à l’un qu’à l’autre !... (Un temps). Qu’en penses-tu, Edwige ?

EDWIGE. — ... (Elle ne répond pas, mais son regard demeure extatique).

MATHILDE, à GENEVIÈVE. — Laissons-la... Elle est encore trop petite... Elle est toujours avec les anges, elle... (Un temps). Et passons à une autre histoire !
     (Elles tournent les pages du livre puis s'arrêtent, le doigt fixé sur un texte pendant que le rideau tombe).



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