DEUXIÈME TABLEAU.
Le Messager revient sur la scène (par la droite, toujours, devant le rideau baissé). Il s’adresse de nouveau au public.
LE MESSAGER. — Eh bien, mes petits amis, comment trouvez-vous cette histoire ?... Pensez-vous que MATHILDE va pouvoir dire la vérité tous les jours et en toutes circonstances ?
LE PUBLIC— Oui !... Non !...
LE MESSAGER, riant. — ... Que Geneviève va pouvoir s’empêcher de choisir la plus grosse part des gâteaux qui lui seront offerts ?
LE PUBLIC. — Oui !... Non !...
LE MESSAGER. — ...Et qu’Edwige — dont on a peu parlé — mais dont le cœur est sans tache n’oubliera jamais d’embrasser Papa et Maman en se levant et en se couchant ?...
LE PUBLIC. — Oui !... Non !...
LE MESSAGER. — Vous allez être renseignés. Un mois, ça passe vite dans les vieilles histoires !... Ma petite baguette va vous ouvrir la porte de la chambre où la famille sera réunie pour fêter Noël... (Un temps). Mais faites bien attention... Pour le moment, seuls le Papa et la Maman sont là. Ils terminent les préparatifs qui précèdent l’entrée des enfants. En ce moment, les trois petites filles sont encore avec la vieille bonne dans la chambre d’à côté. Le Papa, qui est docteur, a été soigner une paysanne malade et il n’est rentré que très tard. (Silence). Petite baguette, fais-nous pénétrer à l’intérieur de la maison des trois petites filles... Toc !...
(Avant le lever du rideau, le Messager disparaît).
TROISIÈME TABLEAU.
Le rideau se lève sur la chambre décorée pour la fête. Le Sapin (qui a été amené tout garni des coulisses) resplendit de lumières au milieu de la pièce. Le Papa et la Maman placent les dernières bougies.
SCÈNE PREMIÈRE.
LE PAPA, LA MAMAN.
LE PAPA, un peu bourru. — Qu’est-ce que tu me racontes, Marguerite ?
LA MAMAN. — J’ai surpris une de leurs conversations... Je t’assure que c’est la vérité. (Un temps). Tu n’as pas remarqué que Mathilde n’a pas dit le plus petit mensonge depuis un mois ?...
LE PAPA. — Non ! J’ai autre chose à faire qu’à m’occuper de ça !
LA MAMAN, poursuivant. — ... Que Geneviève, contrairement à son habitude, a toujours donné la plus grosse part de ses gâteaux à ses sœurs ?
LE PAPA. — Pas davantage ! (Toujours bourru). Et Edwige, alors, qu’est- ce qu’elle a fait de particulier, celle-là ?
LA MAMAN. — Rien ! Mais elle n’a cessé de nous sauter au cou plusieurs fois par jour. Tu ne t’en es pas aperçu ?
LE PAPA, agacé. — Si ! Mais je n'aime pas des démonstrations excessives d'amitié (silence). Et... où auraient-elle inventé cette histoire?
LA MAMAN. — Elles l’ont lu dans un livre, au grenier.
LE PAPA. — Qui te l’a dit ?
LA MAMAN. — Anne, notre bonne. Tu sais bien qu’elles ne lui cachent rien.
LE PAPA, agacé. — C’est peut-être encore une invention de cette vieille ;
LA MAMAN, qui a tressailli. — Oh ! comme tu parles d’elle !... Tu sais pourtant qu’elle a élevé nos enfants avec un tel dévouement...
LE PAPA, n’attendant pas la fin de la phrase et changeant de ton. — Il faut me pardonner, chérie... J’ai tant travaillé ces jours-ci... J’ai soigné tant de malades avec ces vilaines grippes... que mes nerfs sont à bout !...
LA MAMAN. — Mais je ne t’ai pas dit la fin de l’histoire.
LE PAPA, les mains demeurées en l'air devant une bougie qu’il allume. — ?...
LA MAMAN. — Le sapin doit chanter.
LE PAPA, riant de bon cœur, incrédule. — Le sapin doit chanter ?
LA MAMAN. — Oui... Lorsque le clocher de notre vieille église aura fait entendre son douzième coup de minuit.
LE PAPA, riant toujours. — Elle n’est pas banale, celle-là !...
LA MAMAN, sérieuse, affirmative. — Elles y croient.
LE PAPA, riant mais un peu moins. — Et toi aussi, tu y crois ?
LA MAMAN. — Pourquoi pas?... (Silence. Après avoir allumé les toutes dernières bougies). C’est bientôt l’heure. Nous allons pouvoir faire venir les enfants.
LE PAPA. — En effet. Pressons-nous.
LA MAMAN. — Tout est prêt maintenant. (Appelant). Anne ?
LA VOIX DE LA BONNE. — Madame...
LA MAMAN. — Venez avec les enfants... et aussi les amis.
LA VOIX DE LA BONNE. Voix de la Bonne. — Oui, Madame.
SCÈNE II.
Les mêmes, LA BONNE, LES TROIS PETITES FILLES, LES AMIS. (Figuration ad libitum).
EDWIGE, sautant au cou de sa mère. — Oh ! Maman... que ce sapin est joli !
MATHILDE. — Que de lumières !
GENEVIÈVE. — Que de friandises et que de jouets !...
(On s’assoit autour du sapin. Les trois petites filles sont les plus en évidence et placées de telle sorte que le public pourra observer leurs moindres réactions.
La vieille église sonne minuit. Tous se recueillent. Après le dernier coup... rien ne se produit ! Aucun chant ne se fait entendre, mais les trois petites filles, figées, les peux perdus dans le vague, sont l’objet de l’attention générale).
LE PAPA, après un silence de plusieurs secondes, les regardant toujours. — Qu’est-ce qu’elles ont, voyons ?
LA MAMAN. — Je ne sais pas.
(Les enfants continuent à écouter une musique qu’eux seuls entendent. Leurs mains font des signes dans l'espace).
LE PAPA, à Anne qui sourit. — Vous entendez quelque chose, Anne ?
ANNE. — Non, Monsieur.
LE PAPA, à la Maman. — Tu n’entends rien non plus, n’est-ce pas, Marguerite ?
LA MAMAN. — Non, rien. (Après un silence). Mais il est possible qu’elles seules entendent...
(Nouveau silence. Les enfants sont tombés à genoux. Elles se relèvent toutes ensemble, à la même seconde, et reprennent contact avec le monde qui les entoure).
EDWIGE. — Ça y est... C’est fini.
LE PAPA. — Qu’est-ce qui est fini ?
EDWIGE. — Tu n’as pas entendu, Papa ?
LE PAPA. — Entendu... quoi ?
EDWIGE. — Le sapin a chanté. (Silence). Tu ne l’as vraiment pas entendu ?
LE PAPA. — Non !
MATHILDE et GENEVIÈVE, au comble de la déception. — Oh !...
EDWIGE. — Tu ne l’as pas entendu, Maman ?...
LA MAMAN. — …
EDWIGE. — ... Ni toi non plus, Annie ?...
ANNA. — …
EDWIGE. — Ce n’est pas possible... C’était une musique si douce...
GENEVIÈVE. — ... Si belle...
MATHILDE. — ... Si harmonieuse !... Elle n’était plus de la terre...
LE PAPA, excédé et voulant couper court à ces effusions, à la Maman. — Ces trois enfants sont folles... Je n’aime pas beaucoup ce genre de plaisanterie...
LA MAMAN. — Tu as tort de leur parler ainsi, mon chéri... Toutes trois ont le cœur si pur depuis un mois qu’elles ont bien pu...
LE PAPA, ne la laissant pas achever. — Je te dis qu’elles sont folles !... Voilà ce que c’est que de lire de vieux livres dans un grenier !... En langage médical, cela s’appelle des hallucinations de l’ouïe !
LA MAMAN. — Mais un mirage est toujours possible...
LE PAPA, sèchement. — Tu crois aux miracles, toi ? Moi, pas ! (Un temps). Un miracle, ce serait par exemple, tiens... (Il cherche mais ne trouve pas. Subitement). Il pleut depuis un mois... Eh bien, si tout à coup, comme ça, la neige venait tomber ici, dans cette chambre, pour fêter Noël... c’est ça qui serait un miracle !
EDWIGE, d’une voix très douce. — Si la neige tombait vraiment, comme tu dis, Papa, dans cette chambre... Est-ce que tu croirais que le sapin a vraiment chanté ?
LE PAPA, spontanément. — Eh bien, oui, là... je le croirais.
(La phrase est à peine achevée que la neige commence à tomber tout autour du Sapin. Bientôt la pièce en est remplie. Les enfants, la vieille bonne, les amis, la Maman et même le Papa sont dans le ravissement).
LE PAPA. — Qu’est-ce qui se passe ?... (Tâtant les flocons). Mais c’est de la vraie neige ?
EDWIGE. — Oui, Papa !... Tu vois, le sapin m’a entendue !... Il pleure de joie parce que tu nous crois maintenant !... Il pleure de vraies larmes de neige !... Et il chante de nouveau !...
LE PAPA, qui n’en revient pas. — Ça, par exemple...
EDWIGE, toujours extatique, après un assez long silence. — Le sapin ne chante plus mais il parle maintenant, bien que tu ne l’entendes pas...
LE PAPA. — Et qu’est-ce qu’il dit ?
EDWIGE, idem. — Il dit... Écoute... Mes petites sœurs l’entendent comme moi... Il dit...
GENEVIÈVE, comme répétant lentement des paroles entendues. — « Soyez bons en cette veillée de Noël... Les jouets que vous avez préparés pour les trois petites filles... il faut les distribuer à tous les petits enfants du pays... »
MATHILDE, idem, enchaînant. — « ...Les trois petites filles garderont ce qui restera... »
EDWIGE. — C’est fini, Maman, il ne parle plus...
MATHILDE, aux deux autres. — Est-ce que vous êtes d’accord ?
GENEVIÈVE et EDWIGE. — Oui !...
LE PAPA. — Puisqu’il en est ainsi, nous allons commencer immédiatement la distribution. (À sa femme). Veux-tu m’aider, Maman ?
LA MAMAN. — Oh ! Oui... De grand cœur...
LE PAPA, à la figuration. — Et vous aussi, mes chers amis ?
LES AMIS. — Bien sûr.
LE PAPA, commençant à décrocher les jouets. — Je n’en reviens pas... C’est égal, à partir d’aujourd’hui, je vais croire au Père Noël !...
RIDEAU
Pierre Pivo.