PIECES  DE  THEATRE  POUR  ENFANTS.

 
 

LE PETIT POUCET

Almanach des enfants.

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5573176j/f3.image.r=Almanach%20des%20enfants%20Amusements%20et%20jeux%20pour%20jeunes%20filles%20et%20jeunes%20gar%C3%A7ons.langFR


 

Amusements et jeux pour jeunes filles et jeunes garçons.

1877

CONTE-PANTOMIME EN UN ACTE MÊLÉ DE

DIALOGUES ET CHANTS.

PERSONNAGES :

L'OGRE, seigneur campagnard.
PIERROT, son domestique.
AZURIN, génie bienfaisant.
POUCET, jeune enfant.
SIX PETITS GARÇONS, frères de Poucet.



     La scène se passe dans un pays quelconque, à une époque indéterminée.



LE PETIT POUCET


     (Une clairière dans un bois ; à droite, la maison de l'ogre ; à gauche, un pavillon qui est également sa propriété).



Scène première.


     (Six petits garçons plus jeunes les uns que les autres, entrent en scène, jouant, cueillant des fleurs en regardant à droite comme à gauche ; un septième pénètre en scène et regarde agir ses frères dont il est le dernier né ; c'est le Petit Poucet dont l'air intelligent marque la supériorité qu'il exerce sur les autres membres de sa famille ; il les rallie et leur dit de continuer leur route au lieu de s'amuser aux bagatelles du chemin ; l'un deux lui montre la maison de l'ogre ; Poucet va écouter à la porte, n'entend rien et se dispose à frapper, lorsque tout coup un bruit étrange retentit à l'intérieur ; Poucet rassemble ses frères et leur dit qu'il aurait peur d'entrer dans cette maison ; tous frissonnent et se mettent à fuir, suivis par le Petit Poucet qui sort le dernier).


Scène II.


     (Le bruit augmente dans l'intérieur de la maison ; l'ogre se met à la fenêtre et roule de gros yeux).
      « Gisquette ! Friquette ! Oh ! les filles maudites... où sont elles ? La lune se couche, elles ne sont pas levées !... Tonnerre et sang ! Massacre et diable ! »
     (Il quitte sa croisée, on entend dans la maison un bruit de vaisselle qui se brise ; il arrive en scène d'un air furieux et les cheveux hérissés).
      « Tonnerre et sang ! Massacre et diable ! Moi, l'ogre de ces montagnes, j'ai sept filles... qui couchent là... dans ce pavillon. »
     (Il désigne la maison de gauche...)
      « Ma femme, ennuyée de la forêt, est allée prendre un mois de campagne à la ville ! Mes filles qui devraient me servir de domestiques ne me servent à rien !... Et mon déjeuner ? Je leur ai dit ce matin que je voulais de la chair fraîche ! Tonnerre et sang  ! Massacre et diable. »


AIR : Adieu ce dernier mot me touche.

Ainsi qu'un lapin automate
Dont le nez flaire aux quatre vents,
Aux quatre vents !
Sans sel, sans poivre, sans tomate
Je mange des poissons vivants,
Des chats comme des chiens savants ;
Des chiens savants.
Ce que j'ai faim ! c'est incroyable !
Or, le premier être apparu...
Cric ! croc ! je le mange tout cru...

Tonnerre et sang ! Massacre et diable !
 

     (Humant l'air autour de lui.  « Hum ! Hum ! Ça sent la chair fraîche par ici !... Mais où sont mes filles ? Gisquette ! Friquette... » Il entre en appelant dans la maison à gauche).



Scène III.



     (Pierrot arrive lentement ; il porte sur l'épaule, un bâton au bout duquel pend un paquet de mince apparence ; il est fatigué, il a faim, il a soif et pas un sou !... Il regarde autour de lui, voit deux maisons et se dirige vers celle de droite pour demander l'hospitalité ! Il frappe ! on ne répond pas. Désappointé, il se retourne vers la gauche, frappe et n'obtient pas de réponse ; il se laisse choir au milieu du théâtre et dit qu'il lui est impossible d'aller plus loin).



Scène IV.


      (L'ogre sort de la maison de gauche et parcourt la scène en maugréant).
 « Tonnerre et sang ! Massacre et diable !... Elles sont enfermées dans leur chambre et dorment comme des souches. » (Il avance sans voir Pierrot, se heurte contre lui et le fait rouler tout au long).
      « Qu'est-ce que c'est que ça ?... Un herbivore ? »
     (Il prend Pierrot par la tête et le cou et le remet sur pieds).
      « Que vois-je? Un homme inconnu ? Moi qui en cherchais un pour déjeuner avec lui. »

     (Pierrot explique vivement à l'ogre, qu'il a très faim et consent à déjeuner avec lui).
      « Ah ! Ah ! ah ! déjeuner avec toi... ça veut dire : manger tes côtelettes. »

     (Pierrot recule effrayé).
      « Je suis l'ogre de ces bois, je me nourris d'animaux malfaisants ! »
     (Pierrot explique avec dignité, qu'il n'est pas un animal...)  « De chair humaine aussi. »
     (Pierrot se jette à genoux et joint les mains).
     « Tu m'as l'air d'un malheureux.Tiens ! Je veux être clément et te donne quarante sous de ta carcasse ! »

     (Pierrot indigné, réplique qu'il vaut plus que cela).
      « Seulement ! Comme tu es un peu maigre... un peu pâle... et malade sans doute. »
     (Pierrot tousse avec affectation).
      « Tu vas me servir de domestique... Tu feras la pot-bouille, tu nettoieras les enfants... Tu mangeras comme quatre et quand tu seras gras, je mangerai à la croque au sel ton individu commun ».
     (Pierrot qui faisait d'abord une grimace de refus, finit par accepter, en montrant qu'il va bien manger et que dans quelques jours, il fuira...)

      « Surtout, n'essaye pas de te sauver... Je mettrais mes bottes de sept lieues et je te rattraperais avant que tu fusses loin. » Pierrot est atterré.
      « Maintenant, va me chercher tes malles ! »
     (Pierrot ramasse son paquet ; il en tire un mouchoir, une seule chaussette et la moitié d'une chemise :)
      « C'est là toute ta garde-robe ? Allons ! viens et suis moi. »


AIR : Polka de Rothomago.

Joyeusement, je pourrai donc aller
Chasser en plaine...
La gave pleine ;
De ce qui sait ou marcher ou voler
Je vais enfin pouvoir me régaler.
De ces humains gras ou mignons
Mis en ragoût, je m'accommode,
Je savoure un homme à la mode,
Entouré de petits oignons !...
Je mords à tout, cheval, enfant ;
Femme, écureuil, homme, éléphant ;
Mon couteau les sabre et les fend...


     (S'adressant à Pierrot qui a suivi son couplet et qui semble terrifié de ce qu'il vient d'entendre :
     Joyeusement je pourrai donc aller, etc.

     Il rentre en polkant dans la maison à droite, Pierrot le suit en sautillant de même ; tout à coup, un souvenir lui revient ; il prend la moitié de chemise qu'il a tirée de son sac et en essuie le dos de l'ogre ; tous deux sortent en dansant).



Scène V
 

 

     (Azurin entre par le fond... Joli costume moyen âge, bleu clair. Une plume blanche à son chapeau).

      « Au bout de l'étang des nénuphars ; à la sortie d'un bouquet de sycomores, deux maisons se faisant face... C'est ici ! Azurin mon ami, le sort t'a mis sur terre pour concourir au bonheur de l'humanité !... Fais ton œuvre !... Hier, l'ogresse est venue me trouver dans mon palais de feuillage ; mon mari me dit-elle, est devenu l'épouvante du pays ; un enchanteur voisin, par suite de rivalité et de maléfices, a fait d'un seigneur autrefois paisible, un ogre affamé, grand chasseur de gibier, se repaissant comme un carnivore... Et pour mieux servir ses habitudes destructives, lui a fait des bottes qui franchissent sept lieues à la fois ; bon génie ! ajouta-t-elle ; pouvez-vous sauver mon époux ! Bonne dame ! lui ai-je répondu : Laissez-moi faire ! J'essaierai. »

AIR : de la Valse des feuilles.

Lutins et bons génies.
Mettez en cet endroit
Vos forces réunies
Au triomphe du droit ;
Créatures paisibles,
Soyez à ma merci ;
Ne cessant pas d'être invisibles.
Joyeux lutins venez ici.


     Musique éolienne, sons de cordes ; Azurin semble écouter. Un frôlement d'ailes agite l'air.
      « Les lutins sont là, répondant à mon appel !... que tout ce qui va se produire... même le mal, concourt à l'édification du bien ! J'entends du bruit. »


Scène VI.


     Le Petit Poucet paraît au fond, il semble chercher à terre des indications qu'il ne retrouve pas : Azurin s'approche doucement de lui.

      « Je reconnais cet enfant ! c'est le plus jeune de sept petits frères, surnommé le Petit Poucet, à cause de sa taille exiguë... Que cherches-tu mon ami ? »
     Le Petit Poucet, d'abord surpris, regarde Azurin avec un geste suppliant.
      « Ne crains rien ! Je suis un protecteur ! Tes parents sont de pauvres bûcherons qui demeurent à l'autre bout de la forêt ? »
      Poucet fait signe qu'ils sont malheureux.
      « Je sais que le mois dernier, faute de pouvoir vous donner des aliments, ils vous perdirent dans le bois. »
     Poucet fait un signe affirmatif, expliquant qu'il avait entendu le projet et semé des cailloux sur sa route...
 « Tu avais entendu ton père comploter votre perte et tu semas des cailloux qui t'aidèrent à retrouver ta route ? Tu n'en n'as donc pas fait autant aujourd’hui ?»
     L'enfant raconte qu'il a jeté des miettes de pain. 
      « Tu as émietté ta dernière miche de pain et tu n'en retrouves plus les débris ? sans doute les oiseaux du ciel les auront mangés.... où sont tes frères. »
     Le Petit montre la coulisse.
      « Cachés dans un buisson va les chercher... Je te dirai ensuite ce que tu auras à faire. »
      Le Petit Poucet sort.


Scène VII.


Azurin regarde l'enfant s'éloigner.

AIR : Un jeune Troubadour.

Va donc, pauvre petit,
Tu reverras ton père,
Qui pourra, je l'espère
Combler votre appétit...
Le sort vous tend la main,
La route est plus unie
Quand votre bon génie
Sert de guide en chemin.


      « Les voilà qui reviennent. »
     Le Petit Poucet rentre amenant ses six autres frères qu'il présente à Azurin.

      « À présent, retiens mes instructions ! Celui qui habite la demeure que tu vois là... est un ogre... qui se fait un jeu de manger les jeunes enfants. »
     Le Petit Poucet a peur et veut fuir.
      « Rassure-toi ! Il possède des petites filles qui sont bonnes... et un nouveau domestique qui te recevra de son mieux... Vous allez tous passer derrière ce bâtiment... Je ferai signe quand tu devras te présenter. »
     Caressant Poucet et lui indiquant la coulisse.
      « Cachez-vous là ! »
     Les enfants sortent en lui envoyant des baisers.
      « À présent, tenons-nous à l'affût des circonstances... pour en profiter avec avantage. »
     Il sort majestueusement par la droite.



Scène VIII.


     Pierrot sort de la maison de l'ogre, il se demande s'il ne doit pas fuir et continuer sa route, mais peut-être que son maître mettra ses bottes de sept lieues et, le rejoignant, voudra le manger de suite. Il fait bonne contenance en voyant l'ogre qui revient en scène avec un fusil et ses bottes aux jambes.




Créer un site
Créer un site