PIECES  DE  THEATRE  POUR  ENFANTS.

 
 
      « Tonnerre et sang ! Massacre et diable ! écoute et suis mes instructions !... Je ne veux pas que tu travailles trop. »
      Bon ! Dit Pierrot.
      « Et j'entends que tu manges beaucoup.. »
     Encore mieux semble-t-il dire.
      « Afin que tu deviennes gras, et que je puisse faire de toi des andouilles et des saucisses. »
     «  Ah ! mais non ! » répond Pierrot.
      « Je vais explorer les environs... si je rencontre un cerf, un homme ou toute autre bête... je l'embroche d'un coup de fusil. J'ai pris mes bottes de sept lieues pour être plus vite de retour ! Tonnerre et sang ! Massacre et diable ! souhaite-moi une bonne chasse ! sinon ! je serais peut-être obligé de te manger avant que ton lard ne soit gras... et ça serait très vexant pour toi. »
     Il fait des grands yeux à Pierrot qui recule effarouché.

AIR : Bon voyage, cher Dumolet.

Vite en chasse, nom d'un navet !
D'une Poulette
Osant peu faire emplette
Je m'en vais sans prendre un brevet
Tuer un bœuf pour m'en faire un civet.

Ne voulant pas faire mal à qui m'aime,
Si mon fusil rate ainsi qu'un cruchon,
Je risque fort de me croquer moi-même,
S'il m'est offert d'y joindre un cornichon.


     Il danse sur la ritournelle et sort en faisant de longues enjambées.



Scène IX.



     Pierrot regarde s'éloigner son maître, en expliquant qu'il lui fait peur, il se retourne et se trouve en face de Poucet qui est entré doucement et qui implore sa pitié ; il se baisse pour se mettre à la hauteur de l'enfant, lui prend le menton, tire une balle de sa poche et veut en faire une partie avec lui ; Poucet refuse en lui expliquant qu'il a faim ; Azurin qui s'est approché sans bruit se trouve derrière Pierrot.


     « Tu vois mon ami que cet enfant n'a nulle envie de jouer. »
      Pierrot se relève vivement et regarde Azurin avec fixité.
     « Ce qu'il demande, c'est un peu dé nourriture pour lui... et six jeunes frères, malheureux perdus... qui sont là, derrière ce pavillon... »
     Pierrot dit au génie que ça ne le regarde pas.
     « Tu fais la mauvaise tête ? Je vais agir pour toi. »
     A Poucet. « Ce pavillon a une porte qui communique avec le jardin qui le suit... Vous entrerez tous par là. »
 
     Pierrot s'insurge, dit que c'est lui qui commande en l'absence du maître et invite le génie à sortir.
     « Comment ? Tu veux m'éloigner quand je t'exhorte à faire une bonne action ? Eh ! bien ! C'est toi qui vas t'en aller. »
     Pierrot se campe fièrement en disant qu'il voudrait bien voir ça.
     « Tu en doutes ? Tiens ! ça n'est pas plus difficile que cela. »
     Sur un geste d'Azurin, la blouse et le pantalon de Pierrot disparaissent, il reste en chemise et en caleçon et se sauve en poussant des cris.
     « Tu n'es pas au bout de tes misères pour cette mauvaise pensée. Tiens ! Poucet ! prends ceci. »

     Il fait surgir un panier de vivres.
     « Il y a là dedans de quoi vous nourrir tous les sept... va le partager avec ceux qui t'attendent... et compte sur moi si tu obéis à ce que je prescrirai. »
     L'enfant remercie le génie et sort en emportant le panier.
     « Si ma combinaison réussit, je guérirai l'ogre de ses fantaisies anthropophagiques... et je ferai le bonheur de ces petits infortunés. » Il sort.



Scène X.



     On voit apparaître un canon de fusil, puis l'ogre arrive en ajustant au hasard et en faisant plusieurs tours sur lui-même.


     « Rien ! Il me semblait pourtant avoir entendu grouiller dans cette direction ! Tonnerre et sang !... Massacre et diable ! Je rentre bredouille. »
     Humant l'air :
     « Ça sent la chair qui n'est pas bien fraîche ici ! Quel gibier y est donc venu ? »
     Reposant son fusil.
     « Les lièvres fuyaient, les chevreuils cabriolaient, les biches semblaient me rire au nez... et je n'ai pas un radis à me mettre dessous.



AIR : du Saltarello.

De frais gibier, chasseur avide,
Muni de tout mon appareil,
Je rentre hélas ! le carnier vide
Avec le ventre tout pareil.

Sous bois, au nez de ma barbiche,
Un animal paraît soudain,
Je crois tirer sur une biche
Elle s'enfuit avec dédain.

Ailleurs, déception amère !
Un cochon tète avec transport ;
Je vise !... Il part avec la mère...
Je ne peux pas toucher au porc.

D'un éléphant le nez me trompe,
Je vois surgir un objet noir
Je pousse au loin un son de trompe,
Il fuit... et défense d'y voir.

Sans me donner la moindre ampoule,
Je rate encor un cerf dix-corps,
Moi qui chéris la chair de poule,
Je me la sens sur tout le corps.

Honteux, confus, je le répète,
Ne capturant ni peau ni rôt,
Je prends... la poudre d'escampette
Sans avoir pris... même un pierrot.


De frais gibier, etc.
 


     Tiens ! en parlant de Pierrot ! Mon nouveau domestique ne vient pas à ma rencontre ! Tonnerre et sang ! Massacre et diable ! Descendras-tu, petit blanc, à moi ? »
     Pierrot paraît timidement, tenant ses habits serrés.
     « Qu'as tu donc à te tenir guindé de la sorte? »
      Pierrot montre que son pantalon a disparu.
     « On t'a pris ton indispensable ? Et tu t'es laissé faire ? »
      Pierrot dit qu'il ignore comment.

     « As-tu mangé ? Engraisses-tu un peu ? Approche ! Que je te palpe. »
     Il tâte Pierrot que ça chatouille et qui saute.
     « Tu es maigre encore ! Nous attendrons que tes côtelettes soient grasses ! Moi, je n'ai rien pris... pas plus comme nourriture que comme gibier... sers-moi à déjeuner ! Pendant que je vais me démunir de cet attirail, mets la table ici !... J'ai besoin de prendre l'air. »
     Il rentre dans la maison. Pierrot bouleversé ne sait ce qu'il doit faire : Enfin il se résigne à obéir, annonçant qu'il va griser son maître pour se sauver ensuite.

 


Scène XI.
 


     Pierrot rentré dans la maison, Azurin reparaît en scène et appelle.

    
« Poucet ! Poucet ! »
     L'enfant accourt. Pierrot va mettre la table pour l'ogre qui est de retour. Poucet a peur.
     « Ne crains rien ! je te protège ! Sitôt la table mise, tu te placeras dessous et suivras les ordres que je te transmettrai par inspiration... que l'ogre vienne à te découvrir ne t'en effraie pas... je serai toujours là ! »
      Poucet promet d'obéir et se cache ; Pierrot apporte une table sur laquelle il place une : nappe, puis il va chercher d'autres objets ; pendant ce temps, Poucet enlève la nappe, place la table ailleurs et se cache chaque fois, ce qui intrigue fort Pierrot qui ne peut découvrir d'où lui viennent ces mauvais tours ; il cherche, lorsque la voix dé l'ogre le fait se blottir contre la table.



Scène XII.



      Du seuil de sa porte, l'ogre hume le fumet de son repas et descend jusqu'à la table.

    
« Tonnerre et sang ! Massacre et diable, ça sent la chair fraîche ici. »
     Avant son entrée, Poucet s'est caché sous la table ; Pierrot cherchant comme lui, se heurte contre son maître.
     « Valet d'imbécile !.., Non ! je me trompe ! Imbécile de valet... Allons ! mets-toi à table. »
     Pierrot s'assied tout joyeux.
     « Je ne t'invite pas à manger, tu me serviras à boire ! allons verse-moi du vin... »
     Pierrot désespéré lui verse, l'ogre mange, Pierrot boit à même la bouteille en se cachant ; un buisson s’entrouvre encadrant Azurin qui chante, tourné vers l'ogre.


AIR : Une chanson Bretonne.

Loin des jours de ta vie,
Toute d'humanité,
Ton âme est asservie
A la brutalité ;
C'est par une merveille
Que ce feu s'éteindra.
S'éteindra.
Puisque sur toi je veille
Lorsque le temps viendra,
Le temps viendra :

Puisque sur toi je veille,
Ta raison reviendra.
Reviendra.

 


     Le buisson se referme. Azurin disparaît ; pendant le chant, l'ogre a mangé. Pierrot boit.


     « Qui diable me chuchote ainsi des sornettes à l'oreille ? Allons ! du vin. »
     Pierrot et l'ogre, se levant et se baissant, font un mouvement de bascule qui manque de renverser la table.
     « Valet de coquin !... Je me trompe ! Coquin de valet ! tu te grises ce me semble ? »

     Pierrot jure que non ! veut faire un pied de nez en levant une jambe pour montrer sa force d'équilibre et fait rire l'ogre qui paraît ivre comme Pierrot ; celui-ci bouscule les bouteilles, les plats, les gobelets, il en fait tomber un, veut le ramasser, pousse un cri en apercevant Poucet sous la table ; l'ogre se lève.
     « Hein ! Qu'y-a-t-il ? »
     Il voit Poucet que lui montre Pierrot.
     « Je le disais bien que ça sentait la chair fraîche ! voilà le gibier. »
      Poucet le supplie à mains jointes.
     « Que viens-tu faire ici ? »
     Poucet montre qu'il s'est égaré et qu'il cherchait un peu d'aide.

     « Tu cherchais un asile et de la nourriture ? » L'enfant montre qu'il sont plusieurs.
     « Tu as des frères ? combien êtes vous ? »
     Poucet compte avec ses doigts sept !
     « Ah ! comme je vais me régaler. »
     Poucet effrayé court vers la maison de gauche.
     « Ils se sont réfugiés dans la chambre de mes filles ? Moi qui ne savais comment traiter deux ogres de mes amis qui viennent me voir... Je vais assommer ces levreaux et m'en faire une fricassée de poulets... A moi mon grand coupe-chou !.. »
     À Pierrot qui dort tout debout.
     « Toi ! range la table. »



Scène XIII.



     Il rentre en titubant ; Pierrot aviné range la table tant bien que mal, la pose contre la maison ; Azurin entre, étendant un bras vers lui :
     « Dors ! » Pierrot tombe endormi sur la table.
     « Poucet, viens... et amène tes frères »

     Les enfants sortent tremblants de la maison.
     « Vous allez fuir par là... Un feu follet vous mènera jusqu'à la demeure de vos parents... Toi Poucet, tu vas placer sept bottes de paille à la place qu'occupaient tes frères... Tu fermeras portes et fenêtres... Puis tu te blottiras derrière la maison, jusqu'à ce que je t'appelle. »
     Poucet rentre dans le pavillon...

     « Voici l'instant fatal... Celui qui doit amener la guérison... Lutins mes frères ! Je compte sur votre aide invisible... »
      Sons de harpes dans l'air.
     « Bon, vous êtes tous présents. »
     Écoutant à gauche.
     « J'entends l'ogre. Veillons ! »
     Il sort, l'ogre paraît avec un énorme coutelas :

     « Celui qui me servait quand j'étais sapeur... »
     Regardant Pierrot.
     « Il s'est piqué le nez dans une assiette... allons piquer une tête... avec mon tranche lard. ».
     Il entre dans le pavillon ! Trémolo ! Azurin reparaît et chante en étendant un bras. 

     « Qu'à donner un grand coup ton fer soit occupé
    
Et que du même coup ton esprit soit frappé. »

    
Il s'éloigne à reculons et le bras toujours étendu ; l'ogre reparaît troublé sur le seuil de sa porte :
     « Ça y est ! »
     Faisant des moulinets avec son sabre.
     « Le sabre de ma mère ! Tiens! Il n'est pas rouge ! Est-ce que j'aurais fait semblant ? sacré non ! J'avais un petit coup de sirop ; J'ai fait peur au gamin qui s'est peut-être enfui avec ses frères !... Il ne restait que mes filles dans ce pavillon ? Elles couchaient à droite ! Non ! à gauche ! Non ! à droite ! Non là gauche !... Ah ! j'en ai fait de la bouillie pour les chats ! où sont-ils ces drôles ? si je les attrape ! Je les extermine ! A moi mes bottes de sept lieues. »

    
Il sort en courant, Azurin rentre, étendant le bras dans sa direction.
     « Tu n'iras pas plus loin ! que le sommeil te cloue sur place. »
     Se tournant vers la gauche.
     « Poucet ! »
     L'enfant accourt.
     « Tu vois cette colline là-bas ? L'ogre s'est endormi sur sa base fleurie... Cours lui prendre ses bottes... Je vais aller te rejoindre pour te dire ce qui te restera à faire. »

    
L'enfant sort en courant, Azurin se retourne vers Pierrot endormi, fait sur lui un geste de commandement et s'éloigne ensuite.




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