PIECES  DE  THEATRE  POUR  ENFANTS.

 
 

LE  PETIT  CHAPERON  ROUGE


PANTOMIME  FÉÉRIE,  MÊLÉE  DE  DIALOGUES

ET  DE  CHANTS,  EN  UN  ACTE.


http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5573194g.image.langFR.r=Almanach%20des%20enfants%20Amusements%20et%20jeux%20pour%20jeunes%20filles%20et%20jeunes%20gar%C3%A7ons

Almanach des enfants. Amusements et jeux pour jeunes filles et jeunes garçons

1880


PERSONNAGES :

LA DOUAIRIÈRE, noble dame.
LA PRINCESSE BÉBELLE, sa nièce.
PIERRETTE, leur suivante.
LA FÉE MIGNONNE.
VIOLETTE, sa filleule.
ASMODÉE, jeune lutin.

L'action se passe à une époque antérieure
et dans un charmant pays.


Une campagne : maison à gauche ; au fond, un taillis
couronné de fleurs ; à droite un grand arbre.

Scène première

PIERRETTE,
seule.



     Air de fanfare au loin. Pierrette, en coquet costume de camériste, entre de la droite et cherche à s'orienter ; sa jeune maîtresse est venue se promener dans le bois avec sa tante la vieille douairière ; elles sont fatiguées et l'ont envoyée en avant pour leur chercher un gîte et des rafraîchissements. Pierrette a fureté vainement dans la forêt, la voilà maintenant éloignée de ses maîtresses et, ne sachant où les rejoindre, elle se met en quête d'un écriteau ou de quelque guide qui la remette en son chemin.



Scène II


BÉBELLE,  PIERRETTE.



     La princesse Bébelle accourt de fort mauvaise humeur, faisant jouer son éventail avec frénésie ; elle envoie Pierrette en avant pour lui trouver un asile. Pierrette n'est pas revenue ; pendant ce temps, la suivante qui a regardé de tous côtés aperçoit sa maîtresse qui lui tourne le dos et ne la reconnaissant pas, lui frappe familièrement sur l'épaule ; la princesse se retourne et choquée de l'inconvenance de sa camériste, lui lance son éventail au visage, mais l'éventail s'envole dans les airs. Pierrette se met à rire en lui faisant signe d'aller moins vite ; Bébelle voit ce mouvement, et, furieuse, se donne l'agrément de la poursuivre en cherchant à la frapper.



Scène III

BÉBELLE,  LA  DOUAIRIÈRE,  PIERRETTE.



     La douairière entre par le fond, traînant en laisse un petit chien qui la suit avec peine ; elle atteint le milieu de la scène à ce moment. Bébelle qui croit saisir Pierrette, donne une bourrade qui coiffe la vieille de travers ; celle-ci lâche le chien qui s'en va ; la douairière est irritée : la princesse, qui s'est aperçue de son erreur, courbe la tête et feint de pleurer ; la vieille oublie sa colère, console sa nièce en lui essuyant les yeux ; elle se retourne, voit la maison qui est à droite et commande à Pierrette, qui s'est approchée, de demander asile et secours dans cette demeure. Pierrette obéit, frappe doucement d'abord, violemment ensuite, employant toutes sortes de moyens comiques, sans que la porte s'ouvre ; impatientée, la douairière dit qu'elle ne sait pas s'y prendre, elle avance, frappe avec un seul doigt... et la porte cède.



Scène IV


Les mêmes, ASMODÉE.



     (À la surprise de toutes, il en sort une femme âgée, encapuchonnée et s'appuyant sur un bâton).

ASMODÉE, déguisé en vieille femme. - Qui trouble ainsi le repos de la mère-grand ? que vois-je ? Des gens de la cour ?... Madame la douairière ? La princesse Bébelle sa nièces... et Pierrette sa suivante ?

     (Pierrette fait une révérence moqueuse..)


LA DOUAIRIÈRE. - Bonjour, ma brave dame. Pourrions-nous reposer quelques instants et nous rafraîchir céans ? Nous sommes fourbues.


ASMODÉE. - Vous désirez vous reposer ? Je ne possède qu'une chaise... En fait de rafraîchissement... je n'ai que de l'eau bien fraîche. (La douairière, sa nièce et Pierrette font une grimace expressive). J'attends ma petite fille qui doit m'apporter un pot de beurre et une galette... (Expression souriante des trois femmes). Mais peut-être ne viendra-t-elle que ce soir.

LA DOUAIRIÈRE, déçue, à Bébelle. - Il vaut mieux partir... Mais... où est passé Totor, mon adorable caniche. Il n'est plus avec nous. Ah ! (Elle sort en courant, suivie de sa nièce. Au moment de les accompagner, Pierrette se retourne et fait un salut gouailleur à la mère-grand ; un bruit de soufflet retentit : Pierrette se tient la joue. Le bruit se renouvelle ; Pierrette, frappée d'une manière inconnue, s'enfuit en se tenant la figure à deux mains.



Scène. V


ASMODÉE, seul.



     (La vieille, restée seule, les suit du regard).


ASMODÉE. - Les voilà parties ! (Elle jette son bâton, retire sa robe et laisse voir Asmodée en costume de Farfadet). Au diable la défroque de mère-grand... Reprenons notre nature !... (Riant :) Ah ! Ah ! Ah ! cette pauvre Pierrette... qui ne sait d'où lui viennent ces soufflets fantastiques que, sur mon ordre, lui décochait un familier... Maintenant que j'ai soulagé ma fièvre bilieuse, mettons-nous à l'œuvre. Ce matin, Satan me dit : Asmodée, joyeux espiègle, tu vas aller faire un tour sur le globe et tâcher de tourmenter un peu les mortels ; dans ce coin de la terre, j'ai justement aperçu deux jeunes filles que je me plairais à gagner au diable !... L'une, la princesse Bébelle, déjà pétrie de défauts... L'autre, Violette, une petite paysanne innocente et naïve, que je veux surtout guetter comme une proie !... Sous les traits de sa mère-grand, je me suis introduit dans sa chaumière. Il ne me reste plus qu'à rencontrer la fillette et à l'englober dans mes conjurations.


Scène VI


MIGNONNE, ASMODÉE.


     (Au moment où il s'élance, l'arbre s'ouvre et la fée Mignonne en sort majestueusement).


MIGNONNE. - Arrête.


ASMODÉE. - Quelle puissance mystérieuse vient enrayer mon élan ? Que vois-je ?... La fée Mignonne !


MIGNONNE. - Oui ! la fée Mignonne ! qui vient te dire ceci : je suis la marraine de Violette... et pour la défendre contre tes embûches infernales, je déjouerai toutes tes combinaisons... Je jetterai ma puissance, entre ton astuce... et sa candeur.


ASMODÉE. - Prends garde ! Plutôt que de se laisser vaincre, tout le royaume sombre m'aiderait de ses forces accumulées.


MIGNONNE. - Je suis forte aussi !... J'ai pour moi les esprits du bien... que le mal combattra sans cesse... mais ne vaincra jamais.


ASMODÉE. - Tu me proposes la lutte ?... soit ! je l'accepte.

AIR : La guerre ! La guerre !
Le mal toujours sera triomphateur !
De tes efforts je me plais à sourire ;
Prêche le bien !... Un monde innovateur
Fuira ton prône... à moins qu'il n'aime en rire.


MIGNONNE.
Pour te combattre en tes assertions.
J'appelle à moi l'esprit et la science ;
J'espère encore en chaque conscience !

ASMODÉE.
Moi, je m'adresse aux folles passions !
La guerre ! la guerre !
Lutte à mort ou tout servira :
Sans doute on ne peut tarder guère
A voir qui le dernier rira !

ENSEMBLE.
La guerre, etc.


Scène VII

MIGNONNE, VIOLETTE.



     (Mignonne suit du regard Asmodée qui s'enfuit par la gauche).


MIGNONNE. - Je ne quitte plus les environs où ma présence est nécessaire pour garantir Violette de ses machinations : on vient ! c'est elle ! à mon tour d'endosser la défroque de sa mère-grand, pour lui cacher le personnage de sa marraine inconnue.


     (Elle entre dans la chaumière ; au bout d'un instant, Violette entre par la droite, regardant dans la direction qu'elle vient de quitter ; elle montre qu'elle a vu de jolies toilettes, et elle pousse un soupir et sort de sa rêverie en apercevant la maison de sa grand-mère ; elle va frapper à la porte ; on entend la voix de Mignonne chanter à l'intérieur).


AIR : Ma clochette argentine.
Sans cordon ni sonnette
Ma porte s'ouvrira.
Tire, ma mignonnette,
La bobinette
La chevillette cherra.


     (Violette ouvre la porte ; Mignonne sort en vieille et vient lui prendre le bras :)


     Te voilà, ma belle ! Comme tu es en retard ! mon pot de beurre et ma galette ?... Tu les as oubliés, petite folle !... Tu t'es amusée à regarder envieusement les toilettes des belles personnes ? (Violette baisse les yeux). Entre te reposer un instant dans ma chaumière. (La jeune fille émue entre dans la maison ; Mignonne étendant un bras). Et maintenant, Asmodée, à nous deux !... (Elle suit Violette et ferme la porte).


Scène VIII

PIERRETTE, MIGNONNE.


     Pierrette revient en haussant les épaules avec dépit ; elle en a assez de courir après le chien ; elle est fatiguée, elle a faim, elle a soif ; elle revient vers la chaumière où l'on attendait une galette et pense qu'elle doit être arrivée ; elle frappe à,la porte, doucement d'abord, à coups de poings ensuite, puis à coups de pied... enfin elle se décide à regarder par le trou de la serrure ; Mignonne reparaît au fond. Elle a repris son costume de fée.


MIGNONNE. - Violette dort ! profitons de son sommeil pour jouer quelques tours à Pierrette... et tâcher de la guérir de ses défauts. (Étendant sa baguette dans la direction de la jeune fille). Retourne-toi de ce côté ! (Pierrette obéit, voit la fée, la trouve gentille et la salue avec déférence). Malgré tes fautes... (Pierrette scandalisée, relève la tête..) Oh ! que cela ne te froisse pas... Tu es gourmande, envieuse, méchante parfois, pas toujours fidèle à tes maîtresses !... eh bien ! Si tu veux promettre et tenter de faire mieux... Je vais te fournir le moyen de te faire pardonner tes erreurs commises... (Pierrette promet en levant la main et en crachant à terre). Tu vois celte rose qui pousse seule sur un buisson magique ? (Pierrette regarde de tous côtés et finit par l'apercevoir). Cette fleur a pour don de rendre sympathique la personne qui l'offre à celle qui la reçoit. (Pierrette va pour la cueillir, mais elle craint que cette fleur ne la pique ou ne la brûle). Prends-là sans crainte... Tu l'offriras à la douairière..

     Mignonne s'éloigne pendant que Pierrette cueille la rose, en respire le parfum qu'elle trouve ordinaire et la place néanmoins à son corsage, puis elle va pour remercier la fée, ne la trouve pas et la cherche inutilement dans tous les taillis.



Scène IX.

BÉBELLE, PIERRETTE.



     Sur ces entrefaites, la princesse Bébelle, cherchant toujours le chien, rentre en scène, voit Pierrette qui cherche de son côté, lui frappe sur l'épaule et lui demande si elle a vu l'animal. Pierrette surprise de voir sa maîtresse, fait la moue et répond qu'elle se soucie bien du toutou ! la princesse se met en colère, poursuit sa servante à grands coups d'éventail. Pierrette gagne de l'avance, fait la nique à sa maîtresse et s'enfuit en voyant celle-ci qui devient furieuse de son insolence.



Scène X.

Les mêmes, la Douairière.



     Bébelle, regardant fuir Pierrette, finit par rire de sa frayeur ; elle se dispose à rejoindre sa tante, quand la douairière arrive elle-même tenant son chien en laisse ; les deux femmes se voient, la tante montre à sa nièce le chien qu'elle a retrouvé, toutes deux l'embrassent ; puis la douairière heureuse tend les bras à Bébelle pour qu'elle l'embrasse aussi ; pendant cette étreinte, on a lâché la corde du chien qui se sauve de plus belle ; lasse de faire des amitiés, Bébelle et la douairière se retournent, ne voient plus le précieux quadrupède et se mettent à courir comme deux folles en faisant des gestes désespérés.
 




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