PIECES  DE  THEATRE  POUR  ENFANTS.

 
 

LE  LOUP,  LA  CHÈVRE  ET  LES  CHEVREAUX

COMÉDIE  EN  UN  ACTE.


Par Eudoxie DUPUIS,

1893
domaine public


 

PERSONNAGES :

LA MAMAN BLANCHETTE. PETIT PAUL, 7 ans.
COLETTE, 6 ans. L'ONCLE CADET.

Le théâtre représente l'intérieur d'une chaumière. Une table
et deux chaises.

 


SCÈNE I.


LA MAMAN BLANCHETTE, PETIT PAUL, COLETTE.
 


BLANCHETTE. - Ainsi, mes enfants, vous me promettez d'être bien sages en mon absence ?


PETIT PAUL. - Oui, maman.


COLETTE (répétant après son frère). - Oui, maman.


BLANCHETTE. - Toi, Petit Paul, tu t'appliqueras .bien en faisant ta page de bâtons ?


PETIT PAUL. - Oui, maman.


BLANCHETTE. - Et toi, Colette, ta rangée de tricot ?


COLETTE. - Oui, maman.


BLANCHETTE. - Quand vous aurez fini votre tâche, vous pourrez jouer à ce qu'il vous plaira, mais vous ne sortirez pas de la maison.


LES ENFANTS (l'un après l'autre). - Non, maman.


BLANCHETTE. - Et vous n'ouvrirez la porte à personne.


LES ENFANTS (de même). - Non, maman.


BLANCHETTE. - Il y a des voleurs dans le pays, c'est pourquoi je vous recommande de tenir le logis bien fermé.


LES ENFANTS (de même). - Oui, maman.


BLANCHETTE. - Vous pousserez le verrou aussitôt que je serai partie et vous ne le tirerez que lorsque je vous dirai : « C'est moi, votre maman Blanchette ; ouvrez la porte, mes chers petits amis ».


LES ENFANTS (l'un après l'autre). - Oui, maman.


BLANCHETTE. - Enfin vous vous rappellerez le biquet dont je vous ai raconté l'histoire ?..


PETIT PAUL. - Oui, m'man.


COLETTE (vivement). - Oh ! maman, je t'en, prie, avant de t'en aller, dis-la- nous encore une fois.


BLANCHETTE. - Je le veux bien.


LES ENFANTS. - Quel bonheur !


BLANCHETTE. - Vous saurez donc qu'un jour la bique, c'est-à-dire la chèvre, était allée à l'herbe. Avant de partir, elle recommandait son biquet de fermer la porte en dedans et de ne l'ouvrir qu'à elle-même et lorsqu'elle dirait : « Foin du loup ! » Aussitôt que sa mère eut disparu au premier détour du chemin, le biquet rentra dans son étable, mit le loquet et s'installa dans un coin pour ruminer en attendant son retour. Il était là bien tranquille depuis quelques instants, lorsqu'on frappa à la porte. — Qui est là ? dit le chevreau — Foin du loup ! Répliqua-t-on. — Foin du loup ! reprit en lui-même le biquet ; ce sont bien là les paroles de ma mère, mais je ne reconnais pas sa voix. Et puis ce ne peut pas encore être elle. Il y a loin d'ici à la prairie ; comment serait-elle déjà de retour ? — On frappa une seconde fois. Une idée lui vint. — Montrez moi patte blanche, ou je n'ouvrirai point. — Si c'est la mère, pensa-t-il, elle passera sa patte par la fente de la porte, et alors je saurai à quoi m'en tenir. Il attendit, mais la patte blanche ne parut pas. C'est que la voix qu'il avait entendue n'était pas celle de la chèvre ; c'était...


COLETTE (interrompant avec vivacité). - C'était celle du loup, qui avait saisi en passant les paroles de lanière...


PETIT PAUL (de même). - Et qui avait espéré entrer tout de suite, rien qu'en disant : « Foin du loup ! »


COLETTE. - Oui ; mais le biquet n'était pas bête ; il ne se contenta pas de cela.

PETIT PAUL. - Il voulut qu'on lui montrât patte blanche.

COLETTE (riant). - Comment le loup aurait-il fait pour montrer patte blanche ?


PETIT PAUL (de même). - Aussi il ne montra rien, et il s'en alla bien sot.


COLETTE (de même). - Oh ! la jolie patte blanche que celle du loup !


LA MÈRE (prenant un panier). - Allons ! je m'en vais, j'arriverais trop tard au marché si je restais plus longtemps, et je ne pourrais plus vendre mes œufs. Travaillez bien en mon absence, n'est-ce pas ? et souvenez-vous de mes recommandations. Je ne vous demande pas d'être aussi avisés que le chevreau. Soyez obéissants seulement et n'ouvrez la porte à qui que ce soit.


PETIT PAUL. - Oui, maman, nous ne tirerons le verrou que lorsque tu nous diras : « C'est moi, votre maman Blanchette, Ouvrez, mes chers petits amis. »


BLANCHETTE. - C'est cela. Adieu, mes mignons ; je ne serai pas longtemps.
     (Elle les embrasse tous deux, et sort.)



SCÈNE II.

PETIT PAUL, COLETTE.


PETIT PAUL. - Là ! Fermons bien la porte. Voilà le verrou mis. Je défie bien à n'importe qui d'entrer à présent !


COLETTE. - Il n'y a pas de danger que nous ouvrions à d'autres qu'à maman !


PETIT PAUL. - Nous ferons comme le biquet, et nous tiendrons la maison bien fermée.


COLETTE. - Ah ! mais oui !


PETIT PAUL. - Voyons ! Maintenant mettons-nous à l'ouvrage afin d'avoir fini ce que maman nous a donné à faire quand elle reviendra.


COLETTE (soupirant). - C'est vrai, il faut travailler.
     (Paul s'installe pour écrire. Colette va chercher un tabouret et prend son tricot.)


PETIT PAUL. - Voilà la table en place et puis ma chaise ; je serai très bien ainsi.


COLETTE. - Moi je vais me mettre à côté de toi, comme cela.
     (Ils travaillent tous deux quelques instants, en silence.)


COLETTE. - J'aurais bien voulu voir la figure que le loup a fait quand il a été forcé de s'en aller.


PETIT PAUL. Le biquet s'est joliment moqué de lui !


COLETTE. - C'est bien fait.


PETIT PAUL – Oh ! oui, c'est bien fait, car les loups sont très méchants. Si le biquet avait ouvert sa porte, le loup l'aurait mangé.


COLETTE. - Qu'est-ce que la mère chèvre aurait dit en revenant, si elle n'avait plus trouvé son pauvre petit chevreau ?


PETIT PAUL. - Elle aurait eu bien du chagrin.


COLETTE. - Dis donc, petit Paul ?...


PETIT PAUL. - Tais-toi ; laisse-moi tranquille; tu m'empêches de travailler ; tu me donnes des distractions.
     (Les deux enfants reprennent leur ouvragé ; Colette en soupirant. Elle laisse tomber son tricot de temps en temps.)


PETIT PAUL (après quelques instants de silence, avec satisfaction). - Ah ! déjà une ligne faite !


COLETTE (vivement et quittant sa place). - Voyons !


PETIT PAUL. - N'est-ce pas qu'ils sont bien droits, mes bâtons ?


COLETTE. - Oui (désignant une place sur ta page), excepté celui-là, qui est un peu bossu.


PETIT PAUL (avec importance). - C'est que c'est très-difficile, vois-tu !


COLETTE (soupirant). - Moi, je voudrais bien apprendre aussi à écrire.


PETIT PAUL (de même). - Tu es encore trop petite ; plus lard, à la bonne heure.


COLETTE. - J'aimerais mieux ça que de tricoter. Ce n'est pas amusant de tenir ces longues aiguilles dans ses mains.


PETIT PAUL. - Allons ; va te rasseoir. Laisse-moi continuer ma page.


COLETTE (retourne à sa place et reprend son tricot ; son peloton tombe). - Bon ! voilà ma laine qui est allée rouler tout là-bas. (Elle court après sa laine, vient se rasseoir, se remet à travailler, s'arrête et pose son ouvrage sur ses genoux. Puis elle jette son peloton au loin et le fait revenir à elle en tirant le bout qu'elle tient en main, et recommence à plusieurs reprises en disant chaque fois : « Petit !... petit !... viens donc !... »). Ah ! ma laine est toute emmêlée ! Comment travailler maintenant ?
     (Elle essaie de la démêler.)
     (Paul aussi interrompt son ouvrage. Il retourne sa page de tous côtés comme pour la mieux voir et feuillette son cahier.)


COLETTE. - Est-ce que tu as fini, Petit Paul ?


PETIT PAUL. - Non, pas encore ; je suis seulement à la moitié de ma page.
     (Il s'amuse à faire des dessins avec sa plume sur le bord de son papier. Il rit et les examine avec satisfaction.)


PETIT PAUL. - Viens donc voir, Colette ! Regarde si ce n'est pas tout à fait le portrait de notre âne ?


COLETTE (Jetant précipitamment son ouvrage et s'approchant). - Tiens ! c'est vrai ; je reconnais ses quatre jambes et ses deux oreilles.


PETIT PAUL. - Et la queue donc ! Comme elle est ressemblante !


COLETTE. - Fais maintenant un coq.


PETIT PAUL. - Un coq ! attends ! (Il dessine.)


COLETTE (sautant de joie). - Oh ! c'est bien cela ! Il me semble qu'on va lui entendre crier : « Coricoco ! »


PETIT PAUL (imitant le coq). - Coricoco ! Coricoco !
     (On frappe à la porte. Les deux enfants se regardent surpris.)


PETIT PAUL. - Qu'est-ce que c'est que ça ? Ce ne peut pas encore être maman ?


COLETTE. - Oh! non. Il n'y a pas assez longtemps qu'elle est partie.



PETIT PAUL. - Il y a loin d'ici à là ville, et puis il faut le temps de vendre le beurre et les œufs.
     (On frappe de nouveau.)


PETIT PAUL. - Qui est là ?


UNE VOIX AU DEHORS. - C'est moi !


PETIT PAUL. - Qui, vous ?


LA VOIX. - Moi l'ami des petits enfants.


PETIT PAUL. - Allez-vous-en ; notre maman nous a dit de ne laisser entrer personne.


LA VOIX. - Ouvrez, ouvrez ! je ne vous ferai pas de mal.


PETIT PAUL. - Puisque je vous dis que notre maman nous l'a défendu.


LA VOIX. - Je vous apporte des joujoux et des friandises.


PETIT PAUL. - Vous pouvez les remporter.


LA VOIX. - J'ai des dragées et des biscuits.


COLETTE. - Cela nous est égal.

LA VOIX. - Des billes de toutes les couleurs.


PETIT PAUL. - Gardez-les pour vous.

LA VOIX. - Une boîte de dominos.

 




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