PIECES  DE  THEATRE  POUR  ENFANTS.

 
 

LA BÊTE NOIRE DE FANFANVILLE

pièce en deux tableaux de Joanny GIRARD.

PERSONNAGES :

LE MAIRE de Fanfanville ;
BIENVENU, secrétaire de mairie, vieux garçon grognon, voix de fausset, lorgnons en équilibre sur le nez ;
DUPIC, premier adjoint au maire ;
TOPARD, deuxième adjoint
LA BARONNE des Alouettes, conseillère municipale ;
LATRANCHE, conseiller municipal ;
GOUJON, conseiller municipal ;
NESTOR, garde champêtre.


     Tous les personnages sont essentiellement comiques. Costumes et grimage ad hoc.

     N. B. Le rôle de la Baronne des Alouette pourra être joué avec grand succès par un garçon portant perruque de femme et maquillé avec soin.

 

PREMIER TABLEAU


     Le décor représente la salle des délibérations à la Mairie de Fanfanville. Grande table recouverte d'un tapis, où siégeront le Maire et les membres du Conseil Municipal.
     Au lever du rideau, le Maire et Nestor entrent en scène par la gauche. Ils portent chacun un fusil en bandoulière.
     Il est 9 heures du soir.


SCÈNE PREMIÈRE - LE MAIRE, NESTOR.


LE MAIRE : (à Nestor) Dites donc, Nestor ! Avez-vous prévenu tous les membres du Conseil Municipal ?

NESTOR : Oui, Monsieur le Maire !

LE MAIRE : Leur avez-vous bien bien dit de venir armés ?


NESTOR : Dame !... pour chasser la bête !... La Bête Noire de Fanfanville !

LE MAIRE : : Et vous croyez qu'ils répondront à mon appel ?


NESTOR : Ah ! ça ! je ne sais pas !

LE MAIRE : Comment ? Vous ne savez pas ? Vous leur avez bien parlé, cependant ?

NESTOR : J'ai même discuté ferme !

LE MAIRE : Beaucoup d'objections ?

NESTOR : Evidemment !... Dupic, le premier adjoint, trouve que ce n'est pas le rôle du Conseil Municipal de chasser la Bête Noire !

LE MAIRE : Tout à fait d'accord avec lui !... J'ai signalé la présence du monstre à la Préfecture, demandé l'appui de la Gendarmerie et des Chasseurs Alpins..., on s'est moqué de moi ! Pour ces Messieurs, la Bête Noire, ce monstre qui ravage nos récoltes et terrorise la population, n'existe pas !

NESTOR : Ah ! À propos..., je n'ai pas trouvé Bienvenu !

LE MAIRE : Le secrétaire de mairie ?... Oh ! Je lui ai déjà parlé de cette affaire. Il trouve que c'est une entreprise dangereuse, qu'on peut y laisser sa peau...

NESTOR : Pauvre Bienvenu ! Vous ferez bien de le mettre à l'arrière-garde. Si jamais la Bête lui tombait dessus, il en mourrait de frayeur !

LE MAIRE : On verra ça tout à l'heure !... (changeant de ton) Et les autres ?

NESTOR : Les autres ? C'est simple ! Goujon a soi-disant des cors aux pieds ! Lacrampe s'est foulé une cheville ! Topard a des rhumatismes et, en vous parlant de Dupic, à l'instant, j'ai oublié de vous dire qu'il souffrait d'une bronchite chronique ! À croire que, dans le pays, les hommes n'ont plus de santé !

LE MAIRE : Et la Baronne ?


NESTOR : C'est brai ! Madame la Baronne fait partie du Conseil Municipal !

LE MAIRE : Vous ne l'avez pas oubliée, au moins ?

ESTOR : Non ! non ! Elle m'a dit (minaudant comme la Baronne) que cette petite chasse nocturne la ravissait, (déclamant avec fougue) qu'elle sentait bouillir en elle la ferveur guerrière de ses aïeux !

LE MAIRE : Très bien ! très bien ! (Entrent Dupic et Topard portant chacun un fusil. Le Maire se retourne vers eux). Ah ! Mais voici mes adjoints ! Bonsoir, Messieurs !

 

SCÈNE II - LE MAIRE, NESTOR, DUPIC, TOPARD.


DUPIC et TOPARD : Bonsoir, Monsieur le Maire.

LE MAIRE : Vous êtes seuls ?


DUPIC : (montrant la porte) Les autres suivent.

LE MAIRE : Ah bon ! (Faisant signe aux adjoints de s'asseoir). Prenez donc un siège ! Nous bavarderons un brin en attendant que tout le monde soit là ! (Tous s'asseyant puis le Maire s'adresse à Topard). À propos, Topard, comment va votre bronchite ?

TOPARD : Ma bronchite ?

NESTOR : (au Maire) Non ! (montrant Topard) Lui, ce sont les rhumatismes ! La bronchite, c'est Dupic ! (Il le montre).

DUPIC : (presque vexé) Moi ? J'ai de la bronchite ?


NESTOR : Ben ! C'est ce que vous m'avez dit vous-même !

TOPARD : (à Nestor) Et où avez-vous pris mes rhumatismes ?

NESTOR : Mais, chez vous, pas plus tard que tout à l'heure !

TOPARD : (au Maire) Ne l'écoutez pas, Monsieur le maire, il ne dit que des bêtises !

DUPIC : (au Maire également) Des menteries ! Des inventions !

NESTOR : (congestionné) Hein ? Si c'est possible ?... Ah ! Mais je comprends ! (au Maire) Figurez-vous, Monsieur le Maire, que ces Messieurs n'étaient pas du tout enchantés d'aller faire une battue à la Bête Noire. Ils avaient peur !

TOPARD et DUPIC : Peur ?...

NESTOR : (aux adjoints) Oui, peur !... Et si je n'avais pas dit deux mots à vos femmes afin qu'elles vous remontent le moral, eh bien ! vous ne seriez pas là !... (au Maire) On dira ce qu'on voudra, Monsieur le Maire, mais, à Fanfanville, les femmes sont plus courageuses que les hommes !

LE MAIRE : (à Nestor) Allons, allons, Nestor ! Ne vous énervez pas ! Ces Messieurs ont répondu à mon appel, c'est l'essentiel.

     (Entrent les Conseillers : Latranche, Goujon, et... naturellement, la Baronne des Alouettes, en costume d'amazone et coiffée d'un immense chapeau à plumes !... Tous portent un fusil en bandoulière).

 

SCÈNE III - LE MAIRE, NESTOR, LES ADJOINTS ET LES CONSEILLERS.


LE MAIRE : (se levant) Bonsoir, Messieurs !... Bonsoir, Madame la Baronne ! Asseyez-vous, je vous en prie !

     (Tous s'assoient, sauf la Baronne qui ne tient pas en place).

NESTOR : Il ne manque plus que Bienvenu !

LE MAIRE : C'est vrai ! Personne ne l'a vu ? (gestes négatifs des autres) Lui qui, d'habitude, est toujours le premier !... Enfin, nous allons l'attendre ! ce serait dommage de partir sans lui.

BARONNE : (faisant mille manières) Oh ! Oui, Monsieur le Maire !... Quelle épopée nous allons vivre ! Quelle poursuite homérique ! Il nous aurait fallu des équipages, des chevaux, une meute de chiens et des cors de chasse ! (Chantant comiquement sur l'air de "Partons, partons, partons !" de Henri Dès) "J'aime le son du cor, le soir au fond des bois -ah !"...

LE MAIRE : Des cors de chasse ? Pour quoi faire ?

BARONNE : Pour sonner l'hallali !
(chantant avec entrain)
J'aime le son du cor, le soir au fond des bois -ah ! (bis)
Et je vais chasser
Avec mon cheval
Bien plus qu'un gibier :
La bête infernale.

TOUS : J'aime le son du cor, le soir au fond des bois -ah ! (bis)

     (À cet instant, Bienvenu, caché sous la table depuis le début de l'action, surgit subitement aux côtés de la Baronne).

 

SCÈNE IV - TOUS LES PERSONNAGES


BIENVENU : Silence ! Vous faites un tintamarre, Messieurs, et vous, Madame la Baronne, tout juste digne d'un corps... de garde !

LE MAIRE : Dites donc, Bienvenu !


BIENVENU : Monsieur le Maire ?

LE MAIRE : Que faisiez-vous sous cette table ?

BIENVENU : J'attendais pour voir la tournure qu'allaient prendre les événements !

LATRANCHE : Il espionnait, oui !

BIENVENU : (à Latranche) Soit, Monsieur Latranche ! J'espionnais ! (s'adressant à tous) Mes compliments ! Je n'ai jamais vu Conseil Municipal aussi dynamique ! Quelle ardeur ! Quelle décision !


LE MAIRE : Reste à savoir si, vous aussi, vous êtes décidé ?

BIENVENU : À quoi faire ?

TOUS : À partir en chasse !

BIENVENU : Partir en chasse ? Vous dites : partir en chasse ? Oh ! vous savez, moi, la chasse, ce n'est pas mon fort !

BARONNE : C'est bon ! Vous ferez l'arrière-garde... comme Roland à Roncevaux !

BIENVENU : Hé ! Mais dites ! c'est que je n'ai pas envie... oh ! mais pas du tout envie de me faire descendre à coups de pierres par les Sarrasins !

GOUJON : Il n'y a pas de Sarrasins à Fanfanville, voyons !

BIENVENU : Et puis, je n'ai pas d'arme !

LATRANCHE : On vous trouvera un fusil, soyez tranquille !

BIENVENU : Non ! non ! non ! non ! non ! non !... J'ai horreur des armes à feu.

GOUJON : Madame la Baronne avait raison. C'est vraiment dommage que nous n'ayons pas un cor de chasse ! On l'aurait passé à Bienvenu, puisqu'il a peur des armes !

NESTOR : (malicieux, à Goujon) Ah ! Vous pouvez vous moquer de Bienvenu ! Et lui proposer de jouer du cor de chasse ! (prenant les autres à et leur montrant Goujon). Un type qui a des cors... aux pieds !

GOUJON : Moi ? J'ai des cors ?

NESTOR : (du tac au tac) Aux pieds, oui ! Et Latranche, une cheville foulée ! Et Topard, des rhumatismes ! Et Dupic, une bronchite !


     (Il les montre l'un après l'autre).

GONJON, LATRANCHE, TOPARD et DUPIC : (indignés) Oh !

BARONNE : (lèvres pincées, à Nestor) Et moi ?

NESTOR : Vous, Madame la Baronne.. vous n'avez rien ! Vous êtes même la seule qui n'ayez pas fait une maladie en recevant la convocation de notre Maire ! Compliments ! Vous êtes une femme de tête !...

BIENVENU : (froidement)... et de pieds !

BARONNE : (aussitôt, en pointant le canon de son fusil sur Bienvenu) Haut les mains !

     (Bienvenu, tremblant, lève les bras au ciel).

BIENVENU : Hé là ! hé là ! Je ne suis pas la Bête Noire, moi !


BARONNE : (dédaigneuse) Une petite bête d'homme, c'est tout !

BIENVENU : Raison de plus pour ne pas la chercher !

BARONNE : Quoi, s'il vous plaît ?

BIENVENU : (spirituel) La petite bête. (Il s‘esclaffe).

LE MAIRE : (intervenant) Si nous parlions un peu de la Bête Noire ?

DUPIC : Cela vaudrait mieux, en effet !

LE MAIRE : (se levant) Madame la Baronne ! Messieurs ! Je vous ai réunis ce soir pour accomplir une mission de salut public. Il s'agit, vous le savez, de détruire la Bête Noire qui terrorise notre village.

TOPARD : Au fait, Monsieur le Maire, quel signalement a-t-on de cette bête ?

 




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