PIECES  DE  THEATRE  POUR  ENFANTS.

 
 

LE MAIRE : Oh ! Un signalement bien vague !... En vérité, personne ne l'a jamais vue !

LATRANCHE : Si personne ne l'a vue, autant dire que nous n'avons pas son signalement.

LE MAIRE : Si !... Des indications précises nous sont fournies par ses méfaits. La bête renverse les clôtures, laboure littéralement la terre au pied des chênes comme pour y chercher des truffes...

GOUJON : Moi, je suis persuadé qu'il s'agit d'un vulgaire sanglier...

LE MAIRE : Mais d'un sanglier d'une espèce redoutable. Nous avons examiné ses traces avec Monsieur Lacanule.

BARONNE : Le pharmacien ?... Il est myope comme une taupe !

LE MAIRE : Mais d'une science à laquelle je rends hommage, Madame la Baronne !

DUPIC : (au Maire) Et quelles sont les conclusions de Monsieur Lacanule ?

LE MAIRE : Selon toute vraisemblance, il s'agirait d'un monstre préhistorique !

BIENVENU : Un monstre préhistorique à Fanfanville en plein vingtième siècle ! Il a besoin de purger, votre pharmacien !

LE MAIRE : N'a-t-on pas récemment pêché, au large de Madagascar, un poisson extraordinaire ?... Les savants ont tous affirmé qu'il s'agissait d'une espèce considérée jusqu'à ce jour comme définitivement disparue.

BIENVENU : (à la baronne) Si tout va bien, Madame la Baronne, je ne désespère pas de vous voir promener en laisse, un de ces quatre matins, un joli petit diplodocus !

LE MAIRE : Taisez-vous donc, Bienvenu !... Monsieur Lacanule m'a affirmé que la Bête Noire aurait une tête de mule, une peau de vache et des pieds de cochon ! ! !

BIENVENU : Quelle salade !

BARONNE : Un a pourtant déjà vu ça ! Vous-même, Bienvenu, vous avez bien une tête de...

LE MAIRE : (lui coupant la parole) Je vous en prie, Madame la Baronne !

GOUJON : (au Maire) Si j'ai bien compris, Monsieur le Maire, nous sommes venus pour organiser une battue nocturne ?

LE MAIRE : Exactement ! Vous savez tous que la Bête a son repaire dans la forêt de Faugemagne, en bordure du village !... Mon plan est le suivant : nous formerons deux groupes, l'un de rabatteurs qui, après avoir contourné la forêt, y pénètrera et reviendra en direction du village.

LATRANCHE : Le rôle de ce premier groupe sera de déloger la Bête et de la faire fuir vers le deuxième groupe, celui des tireurs !

LE MAIRE : C'est bien ça !

BARONNE : (levant la main) Volontaire pour le premier groupe !


DUPIC et TOPARD : Nous aussi !


LE MAIRE, LATRANCHE, GOUJON : (ensemble) Volontaires pour le deuxième groupe !

BIENVENU : (Après une seconde de silence et levant timidement la main) Volontaire pour le troisième groupe !

     (éclats de rire)


BARONNE : (à Bienvenu) Le troisième groupe ?


BIENVENU : Oui, Madame la Baronne !... Celui de Nestor, le garde champêtre !

     (Il le montre. Nestor, en effet, roupille consciencieusement au bout de la table depuis un bon moment. Tous se retournent vers lui. Nestor pousse un ronflement sonore).

BARONNE : (aux autres, à mi-voix) Chut ! Attendez ! Je compte : un, deux, trois... et nous chantons tous en chœur : "Taïaut ! Taïaut ! taïaut !" Prêts ?

LES AUTRES : Oui !

BARONNE : (lentement et toujours à mi-voix) Un !... Deux !... Trois !...

TOUS : (chantant à tue-tête) Taïaut ! taïaut ! taïaut !

NESTOR : (se réveillant en sursaut, saisissant son fusil, tirant au hasard en hurlant) La Bête Noire ! (Puis, constatant sa méprise) Oh ! Excusez-moi ! Je rêvais que la Bête Noire était là : juste devant moi !

     (Il montre le public. Les autres éclatent de rire).

BIENVENU : (qui, naturellement, au coup de feu, a disparu sous la table et réapparaît en tremblant). Ah ! non !... non !... non !... Nestor !... Ce ne sont pas des choses à faire ! (haussant les épaules) Tirer un coup de feu en pleine réunion du Conseil Municipal !

NESTOR : (confondu) Puisque j'avais la Bête devant moi !

LE MAIRE : (riant) J'espère que tout le monde sera de mon avis : Nestor mérite, par sa décision, sa rapidité de tir, de faire partie du groupe des tireurs !

DUPIC : Certainement !

     (mouvements approbatifs des autres)

LATRANCHE : (à Bienvenu) Et vous, Bienvenu ?

BIENVENU : (montrant Nestor) J'ai essuyé un coup de feu ! Ça me suffit !... Bonsoir et bonne chasse !

     (Il s'éloigne vers la porte).


LE MAIRE : Alors, vous nous laissez tomber ?


BIENVENU : Non !... Je vais tout simplement faire un bon somme afin d'avoir des idées claires demain matin ! N'oubliez pas que je suis correspondant de la Gazette régionale !

BARONNE : Bienvenu a raison. Il fallait un chantre au combat épique que nous allons livrer !... Bonne nuit, Bienvenu !

LES AUTRES : Bonne nuit !

     (Bienvenu sort).

 

SCÈNE V - TOUS moins BIENVENU


LE MAIRE : Et maintenant, en chasse !

     (Il se lève et prend son fusil. Tous l'imitent et sortent de scène l'un après l'autre).

BARONNE : (avant de sortir) En chasse ! Et que la victoire nous couvre de ses ailes !

     (Le rideau tombe lentement).

 

DEUXIÈME TABLEAU


     À la lisière de la forêt de Faugemagne. Le fond de la scène représente une forêt. Buissons à droite et à gauche.
     Nuit noire. Utiliser un projecteur pour éclairer (lumière bleue) les quatre chasseurs du deuxième groupe : le Maire, Nestor, Latranche et Goujon, qui sont à l’affût, à droite, derrière un petit tertre dissimulé par un buisson. (À défaut de projecteur, se contenter d'un éclairage réduit et localisé à droite de la scène). Les spectateurs doivent deviner les chasseurs aux canons de leurs fusils qui dépassent comiquement du buisson.

 

SCÈNE I - LE MAIRE, NESTOR, LATRANCHE, GOUJON.


NESTOR : (bâillant) Aaaaaah !...


LE MAIRE : Dites donc, Nestor ? Vous n'allez pas dormir, tout de même ?


NESTOR : On n'entend rien ! On ne voit rien ! Ça me donne sommeil !

LATRANCHE : Ouelle idée aussi de chasser la nuit !

GOUJON : J'ai les membres tout engourdis à force de rester immobile. La Bête pourrait venir que je ne serais pas capable d'épauler mon fusil !

 

LE MAIRE : Il ne s'agit pas de rire, hein ?... Si la Bête nous tombe dessus, il faudra bien tirer ! Tirer, entendez-vous ?... ou sinon, je ne donne pas cher de notre peau !


NESTOR : (subitement, d'une voix étouffée) Silence ! J'entends du bruit !

 

     (craquement de branches à gauche)


LE MAIRE : (d'une voix étouffée) Il y a quelque chose juste en face de nous !


LATRANCHE : Ca y est ! J'ai vu bouger à travers les branches !


LE MAIRE : Soyez prêts à tirer !

     (Les canons des quatre fusils se relèvent. À ce moment apparaît, très lentement à travers le buisson de gauche, un drapeau blanc tendu par une main tremblante -un projecteur l'éclairera nettement).

GOUJON : Qu'est-ce que c'est que ça ?


NESTOR : Un drapeau blanc !... Le drapeau de la capitulation !


LE MAIRE : (criant) Oui va là ?

UNE VOIX : (derrière le buisson de gauche) Pas de bêtises ! C'est moi !

     (À la surprise générale, on voit une forme humaine onduler à travers le buisson de gauche).


TOUS : Bienvenu ! ! !
 

SCÈNE Il - LES MÊMES, BIENVENU.


BIENVENU : (traversant la scène en rampant et venant se placer à côté du Maire) Oui, c'est moi !

LE MAIRE : Mais qu'est-ce que vous fichez par là ?... Je croyais que vous étiez allé vous coucher !

BIENVENU : J'ai réfléchi que, pour bien rédiger le compte rendu de cette chasse, il valait mieux que j'assiste aux opérations !

LATRANCHE : Ainsi, vous risquiez de vous faire tuer comme un lapin en vous baladant aussi imprudemment devant nos fusils !

BIENVENU : Et mon drapeau blanc, alors ?


NESTOR : C'est tout juste si je l'ai vu : il fait nuit noire !


GOUJON : Nous étions prêts à tirer !

LE MAIRE : Enfin, vous êtes sain et sauf, c'est l'essentiel !

BIENVENU : Il faut que je vous dise autre chose qui vous intéressera sûrement. J'ai suivi pendant un bon moment l'équipe de Madame la Baronne !

LE MAIRE : Alors, vous avez traversé toute la forêt pour venir ici ?

BIENVENU : Non ! Non ! Je suis revenu par la route et j'ai suivi la lisière jusqu'à vous.

LE MAIRE : Ah ! bon ! Vous n'avez pas vu la Bête ?

BIENVENU : Non !... Mais lorsque j'ai quitté les autres, ils avaient entendu à plusieurs reprises des grognements sinistres et des bruits de pas !


NESTOR : Hé ! là ! mais ça devient sérieux, cette histoire !

BIENVENU : Précisément ! J'ai jugé utile de vous prévenir !

LE MAIRE : Merci, Bienvenu ! Vous êtes plus courageux que je n'aurais cru !... Et maintenant, plus de bruit ! Laissons approcher la Bête ! Ouvrons nos yeux et nos oreilles !

     (Un temps, puis, dans le silence de la nuit, un grognement animal se fait entendre).

LATRANCHE : Vous avez entendu ?


LES AUTRES : Oui !

     (Nouveau grognement, plus rapproché).


GOUJON : C'est sûrement la Bête !... Vos armes sont épaulées ?


LES AUTRES : Oui !

     (Une voix bien connue perce alors le silence de la nuit).


VOIX DE LA BARONNE : À moi, Fanfanville ! Voici l'ennemi !

     (Le groupe du Maire répond aussitôt).


GROUPE DU MAIRE : Nous sommes là !

VOIX DE DUPIC, (à gauche) : Ne tirez pas !... Nous encerclons la Bête et, si tout va bien, nous allons peut-être la capturer vivante !

LE MAIRE : C'est de la folie !

NESTOR : Vous allez vous faire écharper !

VOIX DE TOPARD : Non ! La Bête est moins grosse que nous ne l'avions cru !


LE MAIRE : Avez-vous quelque chose pour la capturer ?
 




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