PIECES  DE  THEATRE  POUR  ENFANTS.

 
 

L'EMPOISONNEMENT DE PIERROT


COMÉDIE EN UN ACTE
 

Eudoxie DUPUIS - 1893


domaine public


PERSONNAGES.


PIERROT, 6 ans. Costume de Pierrot blanc.
PIERRETTE, sa sœur, 8 ans. Costume blanc et bleu.
GRAND-PIERROT, 12 ans. Costume blanc et cerise.

     (Cette comédie peut se représenter sans costumes. On n'a qu'à changer le nom du dernier personnage qu'on appellera alors Pierre).


Le théâtre représente un salon : une table sur le devant.



SCENE I.



PIERROT (seul, finissant de manger une grande tarte aux poires placée dans une assiette; il en est à la der- nière poire; il ne reste plus que le fond du gâteau). - Moi, j'aime bien le carnaval ; oh se régale de toutes sortes de bonnes choses. Voilà une tarte qui est fameuse ! (Avec étonnement). Eh bien il n'y a plus de poires ! J'ai tout mangé ! Ce n'est pas possible ! Je ne voulais qu'y goûter, en prendre une seulement ; j'aurais rapproché les autres, et l'on n'y aurait rien vu. Je ne sais pas comment cela s'est fait, mais tout y a passé. Qu'est-ce que Pierrette va dire, car c'était à elle ?

UNE VOIX (au dehors). - Pierrot ! Pierrot !

PIERROT. - Justement la voilà qui m'appelle, pour aller promener sans doute ? Où cacher la tarte ? (Il reste quelques instants au milieu du théâtre, tenant l'assiette et jetant des regards effarés autour de lui). Ah ! au fait ! remettons-la où elle était.
     (Il va porter l'assiette dans une armoire).

LA VOIX (appelant de nouveau). - Pierrot ! Pierrot !

PIERROT. - J'y vais ! j'y vais !
     (Il va pour sortir ; entre Pierrette).



SCÈNE II
 

 

PIERRETTE, PIERROT.


PIERRETTE. - Eh bien, Pierrot, viens-tu ? Maman t'attend pour sortir.

PIERROT (s'essuyant la bouche et les mains avec son mouchoir). - Me voilà.

PIERRETTE. - Qu'est-ce que tu as donc avec ton air ahuri ?

PIERROT (troublé). - Moi, rien.

PIERRETTE. - Pourquoi es-tu enfermé ici tout seul ?

PIERROT. - Je n'étais pas enfermé,

PIERRETTE. - Enfin n'importe ! Dépêche-toi. Je te dis que maman t'attend.

PIERROT. - Est-ce que tu ne sors pas aussi, toi, Pierrette ?


PIERRETTE. - Tu sais bien qu'aujourd'hui, mardi-gras, mes petites amies vont venir passer la journée, ainsi que le cousin Grand Pierrot. Je reste pour les recevoir.

PIERROT (à part). - Elle va voir tout de suite alors... (Haut). Ainsi tu ne viens pas promener ?

PIERRETTE. - Faut-il que je te le répète ? Mais sauve-toi donc ! Maman finira par perdre patience. Sans compter que tu ne seras jamais revenu pour le goûter.

PIERROT. - Le goûter ! Ah ! oui, le goûter, c'est vrai ! Je cours bien vite. (À part, jetant un coup d’œil sur l'armoire). Qu'est-ce qu'elle va dire quand elle verra ?
     (Il sort).



SCÈNE III.



PIERRETTE (seule). - J'ai tout apprêté. Il n'y a plus qu'à porter par là la tarte aux poires que ma tante m'a envoyée et que j'ai serrée dans ce placard. (Elle ouvre l'armoire et pousse un cri. Apportant l'assiette sur le devant de la scène). Par exemple, c'est trop fort ! Ma tarte ! voilà ce qui en reste ! Ce n'est pas la peine de demander qui a fait le coup. Oh ! ce Pierrot ! C'est-à-dire qu'avec lui il faut tout mettre sous clef. C'est donc pour cela qu'il avait un air si embarrassé tout à l'heure, et qu'il frottait sa bouche et ses mains à tour de bras avec son mouchoir. Ah ! mais, pour cette fois,cela ne se passera pas ainsi, je lui ferai payer sa gourmandise. D'abord, il peut être sûr de ne pas être de notre goûter. Mais ce n'est pas assez ; je veux...
     (Elle se promène avec agitation).



SCÈNE IV.

PIERRETTE, GRAND-PIERROT.



GRAND-PIERROT (entrant). - Eh bien, qu'as-tu donc, Pierrette ?

PIERRETTE. - Ah ! c'est toi, Grand Pierrot. Bonjour.

     (Elle lui tend la main).

GRAND-PIERROT. - Tu as l'air tout en colère.

PIERRETTE. - Il y a bien de quoi. Tu vois cette tarte ?

GRAND-PIERROT. - Ça, une tarte ? c'en a peut-être été une ; mais maintenant c'est quelque chose qui ne ressemble à rien et qui même n'est pas appétissant du tout.

PIERRETTE. - Eh bien, c'était une belle tarte aux poires, qui avait très bonne mine. Le pâtissier me l'a apportée, il y a une heure, de la part de ma tante. Je l'avais placée dans cette armoire en attendant le moment de goûter, et voilà comme je la retrouve.

GRAND-PIERROT. - Je devine que c'est encore une surprise de maître Pierrot, il a bon appétit !...

PIERRETTE. - N'est-ce pas ? Il n'y a pas de jour où l'on n'ait à se plaindre de sa gourmandise. Jeudi dernier, maman avait couvert les pots de confitures et les avait laissés sur le buffet en attendant qu'elle les rangeât. Pierrot a fait un trou au papier et fourré son doigt dans chacun d'eux, l'un après l'autre.

GRAND-PIERROT. - C'est une façon toute particulière de manger des confitures.

PIERRETTE. - Hier, il y avait à dîner une crème au chocolat ; il a encore trouvé le moyen d'y goûter avant tout le monde.

GRAND-PIERROT. - Pas gêné, monsieur Pierrot.

PIERRETTE. - Aujourd'hui c'est ma tarte : cela devient insupportable ; aussi je voudrais bien, pour lui apprendre, lui jouer un bon tour de ma façon.

GRAND-PIERROT. - Qu'est-ce que nous pourrions bien imaginer ? Le priver de goûter avec nous.

PIERRETTE. - Oh ! bien sûr. D'abord il a pris sa part d'avance.

GRAND-PIERROT. - C'est trop juste.

PIERRETTE. - Seulement, ce n'est pas assez, il faudrait trouver autre chose.

GRAND-PIERROT. - Mais quoi ?


PIERRETTE. - Oui, quoi ? Attends... J'ai une idée. Il faut te dire que, s'il aime beaucoup les gâteaux et les sucreries, en revanche il déteste tout ce qui a un goût désagréable. Si tu savais que de façons il fait rien que pour avaler une tasse de tisane ! Tous les matins, maman en prend une, qui est très amère. Figure-toi que l'autre jour, Pierrot, s'imaginant, à la manière dont maman la buvait, que ce devait être très bon, a demandé à y goûter. Ah ! la belle grimace qu'il nous a montrée ! Je voudrais le régaler de quelque chose de semblable ; mais je ne sais pas comment m'y prendre.... Ah ! j'ai trouvé un moyen.... Reste là.... Je reviens à l'instant.
     (Elle sort précipitamment).



SCÈNE V.



GRAND-PIERROT (seul). - Eh bien, qu'est-ce qui lui prend ? La voilà partie ! Où va-t-elle ? (Regardant la tarte). Il travaille bien ce petit Pierrot ! Il paraît que le fond de la tarte ne lui a pas semblé aussi succulent que le dessus, ou bien il n'aura pas eu le temps de la finir. Pierrette a raison : il faudrait lui donner une bonne leçon.


SCÈNE VI.
 

PIERRETTE rentre, tenant une boîte qu'elle pose sur la table.

GRAND PIERROT. - Qu'est-ce que tu apportes donc, là ?

PIERRETTE. - Tu le vois, une boîte de bonbons.

GRAND-PIERROT. - Et que comptes-tu en faire ?

PIERRETTE. - Tu vas le voir. Ah ! remettons d'abord le reste de la tarte à sa place, afin que Pierrot ne se doute de rien.
     (Elle va reporter la tarte dans l'armoire).

GRAND-PIERROT. - Mais cette boîte ?...

PIERRETTE. - Je vais la poser là, au beau milieu de la table, bien en évidence. Quand Pierrot rentrera, il ne manquera pas de la voir et de vouloir goûter à son contenu ; alors... (Prêtant l'oreille). Justement je l'entends. Comment se fait-il qu'il revienne si tôt ? Sauvons-nous ; qu'il ne nous aperçoive pas. Allons trouver maman ; je lui dirai mon projet ; elle nous aidera.

GRAND-PIERROT. - Je me demande où tu veux en venir.
     (Ils sortent tous deux).



SCÈNE VII.


PIERROT (entrant). - Ah ! je n'ai pas été longtemps dehors ; la pluie est venue bien à propos. J'avais peur qu'on ne commençât le goûter sans moi. Heureusement je suis arrivé à temps. C'est qu'il doit y avoir de très bonnes choses. Pierrette n'a pas voulu me laisser entrer dans sa chambre, mais j'ai vu du coin de l’œil les préparatifs ! Je serais bien fâché de ne pas en être... Au fait ! et la tarte ?... Qu'est-ce que Pierrette aura dit ? Pourvu qu'elle n'ait pas deviné que c'était moi qui l'avais mangée. (Il va à l'armoire). Elle est toujours là ; elle ne l'a pas encore vue ; elle va venir la chercher tout à l'heure. (Apercevant la boîte de bonbons). Tiens ! qu'est-ce que c'est que cette boîte ? (Il l'ouvre). Des bonbons ! Qui donc les a mis là ? C'est pour le goûter sans doute. Ils ont l'air joliment bons ! (Il en mange un). Ils n'en ont pas seulement l'air, comme dit Grand Pierrot, ils en ont aussi la chanson. (Entre chaque phrase, il mange un bonbon). Les blancs sont excellents, mais les roses sont encore meilleurs... Celui-ci est au café ; c'est ça qui est bon !... Je crois pourtant que j'aime encore mieux les roses... Oh ! ceux au café ne sont pas mauvais non plus... Tiens ! en voilà des verts !... Je ne peux jamais en avoir quand il y a du monde, parce que ces demoiselles les prennent toujours... Cette fois je vais m'en régaler... Pourvu qu'on ne se doute pas que j'y ai touché... Bon ! pour deux ou trois !... En secouant un peu la boite, comme cela, il n'y paraît plus... Tiens ! tiens ! mais, par-dessous, il y en a qui ont l'air encore plus appétissants... (Il continue à manger. Prêtant l'oreille). J'entends du bruit. Vite, remettons la boîte à sa place.
     (Il prend un livre).



SCÈNE VIII,

PIERRETTE, PIERROT.



PIERRETTE entrant (à part). - Maman est de notre complot ; cela marchera très bien. (Haut). Ah ! te voilà, Pierrot ! qu'est-ce que tu fais donc ici, tout seul encore ?

PIERROT (avec embarras). - Moi ! rien. Je m'amusais avec mes images.

PIERRETTE. - Vraiment! c'est très-bien. (Prenant la boite). Ah ! mon Dieu ! on a mangé de ces bonbons.

PIERROT (vivement). - Ce n'est pas moi !

PIERRETTE. - Tant mieux.

PIERROT (de même). - Non, non ! ce n'est pas moi !

PIERRETTE. - Je l'espère bien.

PIERROT. - Je n'y ai pas touché.

PIERRETTE. - Je serais bien fâchée que tu l'eusses fait.

PIERROT. - Ah ! pourquoi cela ?

PIERRETTE. - Parce que ce sont des bonbons empoisonnés.

PIERROT (avec terreur). - Empoisonnés !

PIERRETTE. - Oui ; on les a achetés pour mettre dans le trou de souris qui est derrière le buffet de la cuisine.

PIERROT (répétant). - Empoisonnés !

PIERRETTE. - Qu'est-ce que cela te fait, puisque tu n'y as pas touché ?

PIERROT (pleurant et balbutiant). - C'est que... c'est que...

PIERRETTE. - Eh bien ! c'est que ?

PIERROT (de même). - C'est que... j'y ai goûté.

PIERRETTE. - Oh ! si tu n'as fait qu'y goûter, il n'y a pas grand mal, mais si tu en as mangé seulement... trois ou quatre...

PIERROT (de même). - Oui ; peut-être bien en ai-je mangé trois ou quatre.


PIERRETTE (à part). - S'il disait trois ou quatre douzaines, il serait plus près de la vérité. La boîte est à moitié vide. (Haut) Oh ! puisque tu en as pris tant que cela, c'est bien différent. Vite, vite, il faut aller chercher un médecin. Il n'y a pas de temps à perdre !
     (Elle sort précipitamment.)

PIERROT (seul). - Ah ! mon Dieu l empoisonnés ! Qui s'en serait jamais douté ! Ils étaient si bons ! (Il tâte son ventre et son estomac.) Oui, il me semble... je sens là...
 




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