PIECES  DE  THEATRE  POUR  ENFANTS.

 
 
PIERRETTE (rentrant). - Monsieur Dulac, notre médecin ordinaire, est à la campagne. Heureusement qu'il y en a, là tout près, un autre très savant : le docteur Purgaramentibus. On est allé le chercher. Il va venir à l'instant. Souffres-tu beaucoup, mon pauvre Pierrot ?

PIERROT (larmoyant). - Je ne sais pas.

PIERRETTE. - Pourvu qu'on trouve le docteur Purgaramentibus chez lui ! Ah ! mon Dieu ! Quel malheur ! (Elle va et vient d'un air désespéré en frappant ses mains l'une contre l'autre). Quel malheur ! quel malheur ! Mais attends que je t'installe commodément. (Elle roule un fauteuil sur le devant du théâtre et sort à deux reprises pour aller chercher des oreillers qu'elle y place. Ensuite elle y assied Pierrot qui se laisse faire d'un air languissant). Es-tu bien comme cela ?

PIERROT (d'une voix faible). - Oui, merci.

PIERRETTE. - Attends encore. (Elle lui ôte son chapeau de Pierrot et le remplace par un bonnet de coton. Pendant toute cette scène et la suivante, Pierrette a peine à garder son sérieux et détourne de temps en temps la tête pour rire). Là ! tu es tout à fait gentil. (Elle écoute). On a sonné ; c'est le docteur.
     (Elle va à la porte).


SCÈNE IX.

PIERRETTE, PIERROT, GRAND-PIERROT, vêtu en
médecin de comédie. Robe noire, chapeau pointu,
grande perruque, rabat blanc, grandes lunettes.



PIERRETTE (à part). - Maman l'a-t-elle bien costumé ! Est-il drôle ainsi ! Je défie bien à personne de le reconnaître. (Haut). Bonjour, docteur Purgaramentibus. (Bas à Grand-Pierrot). Tu sauras bien jouer ton rôle ?

GRAND-PIERROT. - Sois tranquille. (À part). J'ai justement lu hier le Malade imaginaire. (Haut, d'un ton important et contre- faisant sa voix). Salus ! Salutas ! Salutorum !


PIERRETTE. - Je vous ai envoyé chercher, monsieur le docteur Purgaramentibus, pour mon frère Pierrot qui est bien malade.

GRAND-PIERROT (toussant). - Hum ! Hum ! Qu'a-t-il donc ?

PIERRETTE. - Il a mangé des bonbons empoisonnés.

GRAND-PIERROT. - Oh ! Oh ! voilà qui est sérieux ! (À Pierrette). Avez- vous encore de ces bonbons ?

PIERRETTE. - Oui, docteur, en voici.
    (Elle lui présente la boite. Grand-Pierrot en mange deux ou trois).

PIERRETTE (vivement). - Prenez garde, docteur, vous allez vous faire du mal.

GRAND-PIERROT (avec importance). - Nous autres, médecins, le devoir nous ordonne de nous sacrifier pour nos malades. Quand je serais condamné à en perdre la vie, il faut que je goûte à ces bonbons, afin de savoir ce qu'ils contiennent et d'ex-pé-ri-men-ter par moi-même la cause de l'empoisonnement de votre frère. D'ailleurs soyez tranquille ; la maladie n'oserait s'attaquer à moi. (Il en prend encore). Ils sont excellents ces bonbons ! (À Pierrot). En avez-vous mangé beaucoup ?

PIERROT (avec hésitation). - Je ne sais pas.

GRAND-PIERROT. - Comment ! vous ne savez pas ! Mais il faut que je le sache, moi, pour vous guérir. Allons ! Combien ? Dites ! Trois ?... quatre ?...

PIERROT (à demi-voix et avec confusion). - Plus.

GRAND-PIERROT. - Cinq ?... six ?...

PIERROT (de même). - Plus encore.

GRAND-PIERROT. - Huit ?... dix ?... douze ?...

PIERROT (toujours de même). - Je ne sais pas au juste combien, mais beaucoup.

GRAND-PIERROT. - Il paraît que nous aimons les dragées. Je suis sûr, monsieur Pierrot, que vous ne mettez pas autant d'ardeur à étudier votre leçon de lecture qu'à manger des bonbons ?

PIERROT. - Dame ! quand on travaille, on fait ce qu'on peut ; mais quand on mange, on se force.

GRAND-PIERROT. - Ce n'est pas mauvais à savoir. Voyons maintenant, montrez-moi votre langue.
     (Pierrot tire la langue).

GRAND-PIERROT. - Cette langue-là ne me dit rien de bon.
     (Pierrot pousse un grand soupir).

GRAND-PIERROT. - N'importe ! Nous ne sommes pas savant, savantasse, savantissime pour rien.  Où souffrez-vous ?

PIERROT. - Je ne sais pas. (Se tâtant à droite et à gauche). Là et puis là, il me semble.

GRAND-PIERROT (à part). - Ce n'est pas étonnant. La tarte aux poires et les boulions doivent se livrer bataille dans son estomac. (À Pierrot). Vous n'avez pas mal au cœur ?

PIERROT. - Si, un peu.

GRAND-PIERROT (à part). - Je le crois bien ! (Haut). Et à la tête ?

PIERROT. - Aussi.

GRAND-PIERROT (à part). - Ce que c'est que l'imagination ! (Haut). Hum ! Hum ! Hum ! Tirez encore un peu la langue. (Pierrot obéit). Benè, benè, benè.

PIERRETTE. - Est-ce que c'est grave, docteur Purgaramentibus ?


GRAND-PIERROT (avec emphase). - Grave ! si c'est grave ! Vous me demandez si c'est grave ! Apprenez que c'est toujours grave. On ne doit jamais rire avec la médecine. Hum ! hum ! hum ! Ce sera bienheureux s'il en réchappe. (Prenant là main de Pierrot). Voyons maintenant que je tâte ce pouls. (Il tire sa montre et la consulte du regard tout en tâtant le poids de Pierrot). Hum ! hum ! hum ! Voilà un pouls qui bat comme il lui plaît, mais nous saurons bien le mettre à la raison.
     (Il pose son menton dans sa main et parait réfléchir profondément pendant quelques secondes).

PIERRETTE. - Eh bien, docteur ?

GRAND-PIERROT. - Donnez-moi de quoi écrire mon ordonnance.
     (Il se place à la table et écrit. Pendant ce temps Pierrette arrange les oreillers de Pierrot, puis elle l'embrasse sur le front).

PIERRETTE. - Ce pauvre Pierrot !

PIERROT (d'un ton dolent). - Je suis donc bien malade ?

PIERRETTE. - Mais oui, à ce qu'il paraît.

GRAND-PIERROT. - Voilà ! (À Pierrette). Envoyez tout de suite chercher cela chez le pharmacien ; je l'administrerai moi-même. Et surtout qu'on se hâte.

PIERRETTE. - Oui, docteur.
     (Elle sort avec l'ordonnance).


SCÈNE X.

PIERROT, GRAND-PIERROT.



PIERROT. -Est-ce que je vais mourir, monsieur le docteur ?

GRAND-PIERROT. - Je ne dis pas cela. À quoi donc servirait-il d'être le célèbre docteur Purgaramentibus, connu dans l'univers, urbi et orbi, et dans mille autres lieux, si c'était pour laisser mourir ses malades ? Non, vous n'en mourrez pas pour cette fois, à condition pourtant que vous boirez ce que je vais vous donner. Aujourd'hui vous en serez quitte pour faire diète jusqu'au dîner et pour prendre une médecine.


PIERROT. - Une médecine ! moi qui les ai en horreur !

GRAND-PIERROT. - J'en suis bien fâché, monsieur Pierrot. Il ne fallait pas être gourmand.


SCÈNE XI.


PIERRETTE (rentrant avec un verre plein). - Maman m'a donné un verre de sa fameuse tisane. (À Grand-Pierrot). Voilà ce que vous avez ordonné, docteur.

GRAND-PIERROT
(prenant le verre). - Gratias ! (Il examine le contenu du verre en le portant à la hauteur de ses yeux). Bonus, bona, bonum. (À Pierrot en le lui présentant). Allons, maître Pierrot, buvez-moi ceci.


PIERROT. - Quoi ! tout ce verre !

GRAND-PIERROT (avec mécontentement). - Qu'est-ce que cela veut dire ?

PIERROT. - Je ne pourrai jamais.

GRAND-PIERROT. - Vous ne pourrez jamais ! (Avec emphase). Préférez-vous que je vous abandonne aux tiraillements d'estomac, aux déchirements d'entrailles, à tous les désordres du cœur, du foie, de la rate... ?

PIERROT
(vivement et avec effroi). - Oh ! non, monsieur le docteur, j'aime encore mieux boire. (Il approche ses lèvres du verre et les retire). Je ne peux pas ; c'est trop mauvais.


GRAND-PIERROT. - Est-ce que vous vous imaginez par hasard que j'avais l'intention de vous régaler ?

PIERROT (avec un gros soupir trempe ses lèvres dans le verre et le repousse de nouveau). - Oh ! comme c'est amer ! Cela ressemble à la tisane de maman.

PIERRETTE - Un peu de courage, mon petit Pierrot, tu n'as qu'à te figurer que c'est un verre de limonade ou de sirop de groseille.

PIERROT (repoussant toujours le verre). - Non, non. .

GRAND-PIERROT. - Comme il vous plaira. Alors je m'en vais ; ce n'était pas la peine de me déranger.

PIERRETTE. - Ne vous en allez pas, monsieur le docteur, il va boire.

PIERROT (vivement). - Oh ! non, ne vous en allez pas, monsieur le docteur.

GRAND-PIERROT. - Buvez alors.

PIERRETTE. - Allons, mon petit Pierrot, sois raisonnable.
    (Elle lui présente de nouveau le verre).

PIERROT (porte le verre à ses lèvres et boit quelques gouttes). - C'est amer comme chicotin.

GRAND-PIERROT. - Je ne vous ai pas dit que c'était du nanan.

PIERRETTE. - Voyons ! pendant que tu es en train...

PIERROT. - Ah ! Pierrette, si tu savais comme c'est mauvais !

PIERRETTE. - N'importe ! il faut le prendre, autrement tu ne guériras pas.

PIERROT. - Est-ce qu'il n'y a pas d'autre moyen ?

PIERRETTE. - Tu le vois bien ; puisque le docteur Purgaramentibus le dit.

PIERROT. - Donne alors.

GRAND-PIERROT. - Et que ce soit, pour de bon cette fois. Voilà beaucoup trop de grimaces.

PIERROT (boit encore un peu ; il s'arrête. Timidement). - Est-ce que ce n'est pas assez, docteur ?

GRAND-PIERROT.. - Comment, assez ? C'est à peine s'il y paraît.

PIERRETTE. - Ne te fais pas tant prier, mon petit Pierrot ; encore un effort.
     (Pierrot boit).

GRAND-PIERROT. - Nous y sommes. Levez donc franchement votre verre.

PIERROT (
s'arrêtant encore). - J'en ai pris beaucoup celte fois, docteur ; est-ce qu'il faut absolument tout boire ?


GRAND-PIERROT. - Comment, s'il faut tout boire ! Je le crois bien qu'il faut tout boire ! Et vous devrez encore vous féliciter d'en être quitte à si bon marché.
     (Pierrot reprend le verre et recommence le même jeu).

GRAND-PIERROT. - Dépêchons, maître Pierrot, dépêchons ! Croyez-vous que j'aie le temps de rester là à regarder vos singeries et vos simagrées ? Bien d'autres malades que vous attendent le célèbre docteur Purgaramentibus. Buvez, ou je vous livre à toutes les conséquences de votre gourmandise.

PIERROT (vivement). - Je bois, monsieur le docteur, je bois.





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