PIECES  DE  THEATRE  POUR  ENFANTS.

 
 
L'HUÎTRE  ET  LES  PLAIDEURS


COMÉDIE EN UN ACTE.


Eudoxie Dupuis
 

1893

Domaine public

PERSONNAGES.

MARCEL, 8 à 9 ans. HEMU, 12 ans.

FliANCINE, sa sœur, 9 à 10 ans.



     Le théâtre représente un salon. Sur le devant une table. Sur la table, une soucoupe, avec une autre soucoupe placée de façon à servir de couvercle.



SCÈNE I

MARCEL, FRANC1NE.


FRANCINE, à la porte du salon, qui est ouverte, et parlant à la cantonade. - Oui, maman, nous serons bien sages.


MARCEL. - Nous ne nous disputerons pas.


FRANCINE. - Et nous ne toucherons au gâteau que lorsque nous saurons notre leçon. Au revoir, maman. (Elle ferme la porte). (S'approchant de la table et soulevant le couvercle de la soucoupe). Le beau gâteau ! comme il a bonne mine. Un éclair ! justement ce que j'aime le mieux.


MARCEL. - Ce n'est pas comme moi ; je trouve les tartes bien meilleures.


FRANCINE. - Il n'y a que ce Marcel pour préférer les tartes aux éclairs.

MARCEL. - Tiens ! les tartes aux fraises ou aux abricots, c'est joliment bon, quoi que prétende mademoiselle Francine. Elle ne donne pas sa part aux autres, quand il y en a.


FRANCINE. - Je ne dis pas ; seulement je mets les éclairs au café ou au chocolat bien au-dessus.


MARCEL. - Possible ! mais, quant à moi, les tartes me plaisent davantage.


FRANCINE, sèchement. - D'abord, il n'y a pas de fraises ni d'abricots maintenant, ainsi on ne peut pas faire de tartes.


MARCEL. - Cela n'empêche pas que je les aime mieux.


FRANCINE, de même. - Eh bien ! tu ne mangeras pas de l'éclair si tu ne le trouves pas bon ! Tant mieux ! j'en aurai davantage.


MARCEL. - Je n'ai pas dit que je n'en voulais pas.


FRANCINE, de même. - Tu as dit que tu n'y tenais pas.


MARCEL. - Ce n'est pas vrai. Je n'ai pas dit cela. J'ai dit seulement que les tartes me plaisaient encore mieux. Il me semble que les opinions sont libres.


FRANCINE, de même. - Certainement. Chacun son goût ; tant pis pour ceux qui en ont un mauvais !


MARCEL. - Qui est-ce qui a un mauvais goût ici, si ce n'est toi ?


FRANCINE. - Moi !


MARCEL. - Assurément.


FRANCINE. - C'est bien plutôt le tien qui ne vaut rien.


MARCEL. - Là ! Là ! Ne nous querellons pas pour si peu. Nous avons promis d'être sages.


FRANCINE. - Je ne demanderais pas mieux. C'est toi qui me contraries toujours.


MARCEL. - On te contrarie parce qu'on n'a pas le même goût que toi, c'est un peu fort ! si l'on ne peut pas dire qu'on préfère un gâteau à un autre.


FRANCINE. - Bon ! allons-nous recommencer ? Nous ferions bien mieux d'apprendre notre fable. Maman a dit que nous mangerions le gâteau quand nous la saurions. Allons ! à l'ouvrage !


     (Ils s'installent chacun d'un côté de la table et se mettent à étudier leur leçon tout bas).


MARCEL. - Dis donc, Francine, elle est bien drôle, n'est-ce pas, cette fable-là ?


FRANCINE. - Je ne sais pas. Je n'ai encore lu que le commencement.


MARCEL. - Tiens, écoute. (Lisant).
Un jour deux pélerins sur le sable rencontrent
Une huître que le flot y venait d'apporter.
Ils l'avalent des yeux, du doigt ils se la montrent.
À l'égard de la dent, il fallut contester.

     (Les deux enfants partent d'un éclat de rire).


MARCEL - Il me semble que je les vois là, sur le rivage de la mer, arrêtés devant l'huître et la dévorant du regard. Les deux bonnes têtes !


FRANCINE. - Ils tendent le cou pour la mieux voir, et s'apprêtent tous deux à s'en régaler.


MARCEL - Ils ouvrent déjà la bouche toute grande ; mais, à l'égard de la dent, il fallut contester.


FRANCINE. - Dame ! une huître, ce n'est-pas facile à partager.


MARCEL - On ne peut pas la couper en deux comme une pomme ou un gâteau. (Lisant).

Celui qui, le premier, a pu l'apercevoir
En sera le gobeur ; l'autre le verra faire.


FRANCINE, continuant la lecture. -
Si par là l'on juge l'affaire,
Reprit son compagnon, j'ai l'œil bon, Dieu merci !


MARCEL, de même. -
Je ne l'ai pas mauvais aussi,

Dit l'autre, et je l'ai vue avant vous, sur ma vie !


FRANCINE. -
Bon ! les voilà qui se querellent !


MARCEL, de même. -
Eh bien ! vous l'avez vue et moi je l'ai sentie !

(Continuant) Sont-ils assez amusants ! J'aurais bien voulu être là. Celui qui a senti l'huître devait avoir un fameux nez !


FRANCINE. - Vraiment oui. Voyons qui va l'obtenir, du pèlerin, qui a de si bons yeux ou de celui qui a l'odorat si fin ?


MARCEL - Oui, lequel des deux la gobera, comme dit la fable ? Tu vas voir. (Lisant).

Pendant tout ce bel incident
Perrin Dandin arrive ; ils le prennent pour juge.

Perrin, fort gravement, ouvre l'huître et la gruge,
La mange, ça veut dire —
Nos deux messieurs le regardant.


FRANCINE, éclatant de rire. - Ainsi ce n'est ni celui qui l'a vue, ni celui qui l'a sentie qui s'en régale. C'est un nouvel arrivé qui profite de ce que les autres ne peuvent pas se mettre d'accord. Ah ! la bonne farce !


MARCEL. - Vois-tu nos deux gens, la bouche ouverte, tout prêts à engloutir l'huître ? Chacun de son côté s'attend que le juge va la lui donner... et puis... (Il éclate de rire à son tour).


FRANCINE. - Voilà ce que c'est que de ne pas s'entendre. C'est bien fait !


MARCEL - Cela me rappelle deux poules que j'ai vues l'autre jour se quereller au sujet d'une miette de pain. Pendant qu'elles étaient occupées à se donner des coups de becs, un coq est survenu, qui a emporté l'objet de la dispute.


(Ils rient tous deux).


FRANCINE. - Sont-elles bêtes, ces poules !


MARCEL - Ma foi ! Oui !


FRANCINE. - Allons ! maintenant il faut apprendre notre leçon.


MARCEL - Je crois bien, pour manger ce fameux gâteau.


      (Ils reprennent leurs places, posent leurs coudes sur la table et leurs têtes dans leurs mains, lisant à demi-voix).


FRANCINE, levant la tête et avec humeur. - Dis-donc ? Est-ce que tu ne pourrais pas lire un peu moins haut ?


MARCEL – Tiens ! je lis comme il me plaît.


FRANCINE, de même. - C'est tout commode ! Si je criais comme toi, moi aussi ?


MARCEL - Eh bien, je crierais plus fort encore. (À tue-tête).

L'un se baissait déjà pour ramasser la proie,

L'autre le pousse...


FRANCINE, avec colère. - Tu es insupportable ! Si l'on peut travailler !


MARCEL - Cela m'est bien égal. Je sais ma leçon d'abord !


FRANCINE. - Tu la sais ; c'est impossible !


MARCEL - Veux-tu que je te la répète ?


FRANCINE, d'un air incrédule. - Voyons un peu.


MARCEL - Un jour deux pèlerins sur le sable rencontrent... rencontrent... Une huître... une huître...


FRANCINE, raillant. - Une huître... une huître... Ah oui ! tu sais joliment !


MARCEL - Puisque je le dis que je viens de me la réciter sans faute tout à l'heure. Est-ce que tu ne sais pas encore la tienne, toi ?


FRANCINE. - Je voudrais bien que tu me dises quand j'aurais pu l'apprendre. Tu ne fais que parler.


MARCEL. - Tu as la mémoire bien paresseuse ! Il ne me faut pas tant de temps.


FRANCINE, raillant. - Avec cela que tu sais bien, vraiment !


MARCEL - Eh ! Oui ; je sais, tu as beau dire.


FRANCINE. - Alors c'est que tu connaissais déjà la fable !


MARCEL - Non ; je l'avais seulement lue.


FRANCINE, avec humeur. - Qu'est-ce que je disais ! Ce n'est pas juste non plus. Voilà pourquoi tu as fini avant moi. Laisse-moi étudier tranquillement au moins.


     (Elle se remet à travailler. Marcel va prendre un brin d'herbe dans un bouquet sur la cheminée, vient à pas de loup derrière sa sœur et lui chatouille le cou).


FRANCINE, se levant avec colère. - Quand je dis qu'il n'y a pas moyen d'avoir un instant de repos !


MARCEL - Allons ! allons ! calme-toi ! Je te promets de ne plus te taquiner. Mais aussi pourquoi es-tu si longtemps ?


FRANCINE. - Est-il agaçant, ce Marcel !


MARCEL - On ne va donc pas bientôt partager le gâteau ? (Il soulève la soucoupe qui sert de couvercle).


FRANCINE. - Laisse-le !


MARCEL - Je n'y touche pas.


FRANCINE. - Tu n'as pas besoin de le regarder !


MARCEL - Je n'y fais pas de mal.


FRANCINE. - Je suis bien sûre, quoi que tu prétendes, que tu ne sais pas ta leçon sans faute.


MARCEL - Oh ! sans faute ! je ne dis pas.


FRANCINE. - Eh bien ! apprends-la alors. Cela vaudra mieux que de faire enrager les autres.


(Marcel se remet à étudier en grognant).


FRANCINE, au bout de quelques instants répétant à demi-voix. -

Tenez, la cour vous donne à chacun une écaille ;

Sans dépens ; et qu'en paix chacun chez soi s'en aille.

Ah ! je sais l (à Marcel) As-tu bientôt fini ?


MARCEL, le nez dans son livre. - Laisse-moi tranquille !

     (Francine lui enlève le volume).


MARCEL - Es-tu taquine ! Heureusement que je savais. (Il saute dans la chambre en chantant). Maintenant c'est le tour du gâteau ! Maintenant c'est le tour du gâteau !


FRANCINE. - Oui ; ce n'est pas dommage. (Tirant de sa poche un petit couteau). Je vais le partager.


MARCEL, s'arrêtant. - Tu ne sais pas ! Une idée ! Au lieu de le partager, si nous le jouions ?


FRANCINE. - Le jouer ?

MARCEL - Oui. Aux billes par exemple. Veux-tu ?





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