PIECES  DE  THEATRE  POUR  ENFANTS.

 
 

FRANCINE. - Aux billes ! Tu sais bien que les petites filles ne jouent pas aux billes.


MARCEL - C'est vrai. Eh bien, à quoi ? Aux dominos, cela le plaît-il ?


FRANCINE. - J'aime mieux les dames.


MARCEL - Va pour les dames. Je ne demande pas mieux, je suis sûr de te battre.


FRANCINE. - Oh ! sûr ? C'est ce qu'il faudra voir. (Elle va prendre le damier sur une table au fond et l'apporte sur celle de devant). Quels pions veux-tu ?


MARCEL - Les noirs.


FRANCINE, avec humeur. - Justement ceux que j'allais prendre !


MARCEL - Tant pis ! J'en suis bien fâché ! Pourquoi m'as-tu donné à choisir ?


FRANCINE, de même. - Je ne jouerai pas si je n'ai pas les noirs ; quand je joue avec les blancs, je suis certaine de perdre.


MARCEL - Eh bien, tu ne joueras pas, car je ne te les laisserai pas.


FRANCINE, de même. - Cela m'est bien égal.


MARCEL - Est-il possible d'avoir un plus mauvais caractère et d'être plus exigeante !


FRANCINE, aigrement. - Ce n'est pas moi qui ai demandé à jouer.


MARCEL - C'est vrai, aussi je te cède pour cette fois ; mais tu peux te vanter d'être bien ennuyeuse !


     (Ils posent leurs pions).


FRANCINE. - Qui va jouer en premier ?


MARCEL - Toi, si tu veux.


FRANCINE. - Non ; je n'aime pas à commencer.


MARCEL - Ni moi non plus.


FRANCINE. - La dernière fois ça été moi ; ainsi c'est à ton tour.


MARCEL - Non ; c'est moi au contraire qui ai engagé la partie.


FRANCINE. - Si l'on peut dire ! je me rappelle bien que j'ai avancé ce pion-là.


MARCEL - Pas du tout ; c'est moi qui ai poussé celui-ci dans le coin.


FRANCINE. - Je suis sûre de ce que je dis.


MARCEL. - Ah mais ! je t'ai laissé prendre les noirs, c'est bien le moins que tu cèdes à ton tour.


FRANCINE. - Décidément, j'aime mieux ne pas jouer.


MARCEL - Comme tu voudras.


     (Il quitte la table et tire ses billes).


FRANCINE. - C'est insupportable. Il faut toujours faire ce qu'il veut !

     
(Elle pousse un pion).


MARCEL, venant se rasseoir. - J'aime bien ca ! Comme si je ne cédais pas aussi souvent que toi !


     (Il pousse un pion. Tous deux jouent quelques instants en silence).


FRANCINE. - Je prends !


MARCEL - Moi aussi !


FRANCINE. - Oh ! un trou ! Quel bonheur ! Il a fait un trou ! Je prends encore. Une ! Deux !


MARCEL - Et je prends à mon tour ! Tu n'avais pas vu cela ? Une ! Deux ! trois ! Quatre ! Celait un piège. En voilà un beau coup !


FRANCINE. - Comment ! Comment !


MARCEL - Tu vois bien !


     (Il enlève les pions).


FRANCINE, grognant. - Est-ce que je pouvais m'attendre à cela ! C'est agaçant aussi ! (Elle joue). Ah ! mon Dieu ! j'ai fait un trou ! Il va aller à dame avant moi !


MARCEL - Je l'espère bien !


FRANCINE. - Ce n'est pas déjà si sûr. 
 

MARCEL - Tiens ! je prends encore.


FRANCINE. - Je n'aime pas à jouer avec lui ; il gagne toujours !


MARCEL - Cela prouve que je suis le plus fort.


FRANCINE. - Oh ! le plus fort !…


MARCEL - Je souffle.


FRANCINE. - Où donc ? où donc ?


MARCEL - Mais là !


FRANCINE. - Aussi tu fais exprès de me donner des distractions pour que je perde.


MARCEL - Pour le coup ! c'est trop fort !


FRANCINE. - Ah ! je souffle à mon tour ; et comme..... souffler n'est pas jouer, je prends. Cette fois c'est moi qui suis en avance.


MARCEL - C'est possible ; mais c'est moi qui vais à dame !


FRANCINE. - C'est toi ! c'est toi ! ce n'est pas encore dit.

MARCEL - Regarde ; je te prends ces deux pions-là ; une, deux, et m'y voilà.


FRANCINE, avec humeur. - Je vous demande un peu qui se serait douté de cela ?


MARCEL - Ce n'est pas étonnant, tu ne fais pas attention à ton jeu.


FRANCINE, de même. - Pas attention !


MARCEL – Tiens ! la preuve ! Je souffle encore.


FRANCINE. - Comme c'est ennuyeux ! Il est capable de me gagner.


MARCEL - Tu peux bien t'y attendre.


FRANCINE. - Nous verrons ; nous verrons. En attendant, je vais à dame.


MARCEL - Oh, oh ! la voilà à dame comme moi. Il ne s'agit plus maintenant d'avoir de distractions. Mais, comme dit l'autre : j'ai l'œil bon, Dieu merci !


FRANCINE. - Je ne l'ai pas mauvais aussi.


(Ils éclatent de rire tous deux).


MARCEL - Ah ! les deux drôles de figures.


FRANCINE, se remettant au jeu. - La ! Qu'est-ce que je disais tout à l'heure ? Tu tâches de me faire rire afin de m'empêcher de m'appliquer.


MARCEL – Applique-toi ! applique-toi tant que tu voudras, c'est moi qui mangerai le-gâteau.


FRANCINE. - Ne te réjouis pas tant d'avance. Ce n'est pas certain que le gâteau soit pour toi.


MARCEL - Si vraiment !... si vraiment ; et la preuve...


FRANCINE. - Eh bien ? la preuve ?


MARCEL - Tu le vois ; tu es bloquée ; tu ne peux plus bouger.


FRANCINE. - Comment cela ?


MARCEL - Mais regarde. Pan ! Pan ! Pan !


     (Il enlève des pions).


FRANCINE, vivement. - Tu n'avais pas le droit de te mettre là.

MARCEL. - Pourquoi donc ?


FRANCINE. - Tu étais sur cette rangée, moi sur cette autre ; tu ne peux pas me prendre.


     (Ils s'animent tous deux).


MARCEL - Par exemple ! Ton pion est ici, je passe par-dessus, je viens me placer en face de ta dame et je te la prends.


FRANCINE. - Ce n'est pas permis !


MARCEL. - Mais si !


FRANCINE. - Mais non !


MARCEL - Je te dis que j'ai gagné.


FRANCINE. - Et je te dis que c'est moi ! Si tu ne t'étais pas mis là, j'allais encore une fois à dame ; je te prenais les deux tiennes. Une ! deux ! et il ne te restait plus que trois pions.


MARCEL. - Oui ; mais heureusement que j'avais pris les devants. Aussi le gâteau est à moi.


FRANCINE. - Non, il est à moi !


MARCEL - Je voudrais que quelqu'un fût là pour juger la chose !


FRANCINE. - Moi aussi ; tu verrais que c'est à moi qu'on donnerait raison.



SCÈNE II

MARCEL, FRANCINE, HENRI.



MARCEL. - Ah ! voilà notre cousin Henri ; comme c'est heureux ! Tu vas nous mettre d'accord.

HENRI. - Vous mettre d'accord ! je crois que j'aurai de la peine.


FRANCINE. - Nous allons tout t'expliquer.


MARCEL - Francine prétend avoir gagné.


FRANCINE. - Certainement.


MARCEL - Moi, je soutiens que c'est moi.


HENRI. - Voyons, de quoi s'agit-il ?


FRANCINE. - Nous avons fait une partie de dames, et nous avons décidé que celui qui gagnerait aurait le gâteau que voilà.


HENRI. - Vraiment ! Eh bien ?


MARCEL, posant les pions tout en parlant. - J'étais là, je me mets ici, je prends la dame de Francine...


FRANCINE. - D'abord ce n'était pas comme cela qu'étaient posés les pions.


MARCEL - Mais si !


FRANCINE. - Mais non ! Celui-ci était là.


HENRI. - Entendez-vous d'abord sur ce point, si c'est possible.


MARCEL - Ils étaient placés comme je le dis.


FRANCINE. - Ce n'est pas vrai !


MARCEL, continuant. - C'était comme cela. Je prends donc la dame de Francine, je me pose sur cette rangée et je prends encore cette autre dame. Par conséquent, c'est moi qui ai gagné et qui dois manger le gâteau.


FRANCINE. - Il explique la chose tout de travers.


MARCEL - Pas du tout.


HENRI. - Laisse-la parler à son tour.


FRANCINE. - Je soutiens qu'il n'avait pas le droit de se placer là. Il doit rester ici ; c'est moi au contraire qui le prends et c'est à moi qu'est le gâteau.


MARCEL - Eh bien, qui a raison ?


FRANCINE. - N'est-ce pas que c'est moi ?


HENRI. - Et vous dites que le gagnant recevra le gâteau.


MARCEL et FRANCINE. - Oui.


HENRI. - Voyons-le donc ! (Prenant l'assiette). C'est un éclair au café. Il a une excellente mine !


FRANCINE. - Oh ! il doit être très bon, il vient de chez Julien.


MARCEL - Eh bien ! c'est moi, n'est-ce pas, qui ai gagné ?


FRANCINE. - C'est moi ; cela ne fait pas de doute.

HENRI. - Voulez-vous que je vous dise Il m'a été impossible de rien comprendre à vos explications. Par conséquent... (Il mange le gâteau). Comme cela il n'y aura pas de jaloux. (Avec une gravité comique et tendant une soucoupe à chacun des deux enfants).


Tenez, la cour vous donne à chacun une écaille,

Sans dépens ; et qu'en paix chacun chez soi s'en aille.

     
(Les deux enfants ont regardé Henri faire, stupéfaits et bouche béante ; enfin Marcel part d'un grand éclat de rire).


MARCEL - Perrin Dandin !


HENRI. - N'est-ce pas bien jugé ?


MARCEL - Je ne sais pas si c'est bien jugé, mais je sais que c'est un bon tour. (À sa sœur). Qu'en dis-tu, Francine ?


FRANCINE, qui a commencé par bouder, finissant par rire. - Je dis surtout que c'est une bonne leçon, et que je tâcherai d'en profiter.


MARCEL - Quant à cela, nous ne ferions pas mal.


HENRI. - C'est vrai. Et si elle a ce résultat, je m'applaudirai de l'avoir donnée. D'autant plus qu'il n'était pas mauvais du tout cet éclair.


FRANCINE, chantant. -


Air : Un jour, un jour, je vous le dis.


Jamais on ne nous vit d'accord,

Pour un rien c'est une querelle,

Je le reconnais : j'avais tort

Et veux vivre en paix fraternelle.


MARCEL. -
Le souvenir des deux écailles,

À l'avenir, j'en suis certain,

Finira toutes nos batailles

(Montrant Henri)

Grâce à notre Perrin Dandin !

(Ensemble tous trois).

Il terminera nos/vos batailles

Grâce à notre/votre Perrin Dandin.



RIDEAU



INDICATIONS POUR LA MISE EN SCÈNE

L'HUITRE ET LES PLAIDEURS.



     Le théâtre représente un salon. Une seule entrée. Une table avec des livres, et ce qu'il faut pour écrire. Sur la cheminée, un vase de fleurs avec de longues herbes.


Costumes.
Costumes de ville. Henri et Marcel en collégiens, si l'on veut.


Accessoires.
Un damier. Un gâteau (éclair) entre deux soucoupes. (Il est nécessaire que ce gâteau ne soit pas trop gros pour qu'on puisse l'avaler en deux bouchées).

 



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