PIECES  DE  THEATRE  POUR  ENFANTS.

 
 
CARILLONS  DE  NOËL

Saynète en 1 acte par Marthe BIANCHINI
les editions du cep beaujolais
69 – VILLEFRANCHE SUR SAÔNE

PERSONNAGES :
M. PASCAL, 65 ans. Ancien industriel. Grand, robuste. Belle barbe blanche abondante et soignée.
FRANÇOIS, 50 ans. À la fois garde chasse, jardinier et régisseur du domaine de M. Pascal.
ANNETTE, 45 ans. Femme de François. Cumule des fonctions de gouvernante, cuisinière et femme de chambre.
LILINE, 8 ans. Petite fille.
LA VOIX DES CLOCHES

 
SCÈNE PREMIÈRE.

M. PASCAL, FRANÇOIS.

     Le décor représente le studio-bibliothèque de M. Pascal. Meubles rustiques mais de valeur. Une grande cheminée dans laquelle flambent des bûches. Au lever du rideau, M. Pascal est assis dans un fauteuil confortable. Vêtements d’intérieur : ample robe de chambre rouge bordeaux nouée à la taille par un cordon de soie. Il parcourt négligemment une revue. François a rangé sur une table tout l’attirail du chasseur : cartouches, plomb, poudre. Il est occupé à remplir des cartouches.
     Au fond, une fenêtre dont les rideaux écartés laissent apercevoir la nuit d’hiver scintillante d’étoiles.


M. PASCAL. — Quel temps fait-il, François ?

FRANÇOIS. — Un temps de gelée magnifique, Monsieur. La neige est poudreuse et les étoiles dansent dans le ciel comme des lucioles sur un étang.

M. PASCAL. — Irons-nous à la chasse, demain ?

FRANÇOIS, hésitant. — Demain ? Ne préféreriez-vous pas attendre après-demain ?

M. PASCAL, conciliant. — Si tu veux, François. Tu sais que la chasse est mon plus grand plaisir ; j’aime parcourir la belle forêt d’hiver car j’apprécie à la fois l’exercice physique et la solitude.

FRANÇOIS. — Vous aimez trop la solitude, Monsieur. Il est bon, quelquefois, de se réunir avec de vieux amis et de passer ensemble quelques bonnes soirées. Mais vous préférez être toujours seul.

M. PASCAL. — Je n’ai pas d’amis, François. Ta femme Annette et toi suffisez à ma compagnie.

FRANÇOIS. — Monsieur, il faut que je vous dise : dans le village on vous reproche justement ce trop grand amour de la solitude. Depuis cinq ans que vous êtes venu vous retirer ici, vous n’avez jamais eu le moindre geste amical envers personne. On dit que vous êtes orgueilleux et égoïste et on vous appelle : le Sauvage. Cela nous fait de la peine à Annette et à moi, Monsieur, car nous qui vous connaissons, nous vous aimons bien.

M. PASCAL. — Je te l’ai dit, François, votre amitié me suffit. Si, après avoir vendu mon usine, je suis venu me retirer ici, c’est que j’étais las des faux amis qui ne me flattaient que parce qu’ils convoitaient ma fortune. Tous les hommes sont intéressés, François. Et il me plaît, à moi, de vivre loin de leur compagnie.

FRANÇOIS. — Monsieur, on dit aussi que vous êtes dur envers les pauvres gens et que vous ignorez la charité.

M. PASCAL. — Je n’ai jamais fait de tort aux pauvres.

FRANÇOIS. — Mais vous ne leur avez jamais fait de bien non plus.

M. PASCAL. — Je suis un homme juste.

FRANÇOIS. — La justice ne suffit pas, Monsieur. Il y a aussi la bonté.
     (Un long silence puis, brusquement, on entend s’élever la voix des cloches qui monte dans le calme de la nuit).

M. PASCAL. — François, que signifient ces cloches ?

FRANÇOIS. — Monsieur, je n’ose vous dire...

M. PASCAL. — Je veux savoir.

FRANÇOIS. — Monsieur, ce sont les cloches de Noël !

M. PASCAL. — Ah ! (Nouveau silence).

M. PASCAL. — François, fais taire ces cloches !

FRANÇOIS. — Je vais essayer. (Il tire les volets et les rideaux de la fenêtre). Monsieur, nous avons tout fait, Annette et moi, pour ne pas vous rappeler que demain c’est Noël, car vous nous avez donné l’ordre de ne jamais vous parler de ces fêtes de famille.

M. PASCAL, d’une voix dure et sombre. — Je n’ai pas de famille, François. Je suis vieux et seul. Jamais aucun enfant ne me souhaitera une bonne année en me plaquant sur les joues deux baisers sonores. Jamais je ne fêterai gaiement le réveillon. Jamais je ne verrai de petits souliers devant cette cheminée. Alors, à quoi bon me rappeler que demain, c’est Noël...

FRANÇOIS, timidement. — Monsieur, Annette a préparé un petit réveillon pour ce soir... Si vous vouliez nous faire l’honneur de souper avec nous...

M. PASCAL, avec une douceur teintée d’amertume. — Non, merci François, ce n’est pas la peine. (Silence).

 
SCÈNE II.

M. PASCAL, FRANÇOIS, ANNETTE.

ANNETTE, entre brusquement. Elle parait bouleversée et s’exprime avec volubilité. — Ah ! Monsieur, si vous saviez ce qui arrive !

M. PASCAL. — Qu’arrive-t-il, Annette ?

ANNETTE. — Monsieur, je rentrais de faire quelques courses parce que demain... enfin je rentrais, lorsque je butai contre une forme allongée sous le porche de la villa. Je me baissai et savez-vous ce que c’était ? Une petite fille, Monsieur, qui dormait à poings fermés et que n’abritaient de la bise glaciale que quelques habits en lambeaux. Pauvre petit ange ! Ne pas même avoir un toit sur sa tête un soir pareil... (Se reprenant). Je veux dire comme celui-ci !

FRANÇOIS. — Qu’en as-tu fait, Annette ?

ANNETTE. — Je l’ai emmenée à la cuisine. Je lui ai fait prendre un bol de bouillon brûlant et je l’ai installée devant le feu. C’est une orpheline recueillie par des vanniers ambulants dont la roulotte est passée ici aujourd’hui. Ils la faisaient mendier. Il paraît que ce soir, elle n’avait pas rapporté assez d’argent, alors ils l’ont renvoyée dans la rue et ils sont partis sans l’attendre. Si ce n’est pas une pitié ! Pauvre petit oiseau ! Elle est si mignonne ! Est-ce que vous voulez la voir, Monsieur ?

M. PASCAL. — Non seulement je ne veux pas la voir, Annette, mais je vous donne l’ordre de la rapporter immédiatement où vous l’avez trouvée !

ANNETTE, indignée. — Que je rapporte cette enfant dans la rue ?

M. PASCAL. — Je vous l’ordonne !

ANNETTE, fermement. — Jamais de la vie !

M. PASCAL, à François. — François, j’aimerais que ta femme obéisse quand je lui donne un ordre !

FRANÇOIS, très embarrassé. — Voyons... Annette...

ANNETTE, à son mari, avec indignation. — Ah ! non François, ce n’est pas toi qui va me forcer à faire une chose pareille, et un soir comme celui-ci encore, toi qui regrettais, il y a une heure seulement, de ne pas avoir d’enfant à choyer !

FRANÇOIS, timidement. — Mais, Annette...

ANNETTE. — Eh bien ! tu la rapporteras toi-même dans la rue, cette petite. Tu la rapporteras, si tu l’oses ! Tu devrais avoir honte, François, un soir pareil... un soir... un soir...
     (Elle hésite, connaissant la consigne donnée par M. Pascal, de ne point parler de Noël devant lui. Mais on entend monter, à peine assourdie par les rideaux tirés, la voix des cloches).

FRANÇOIS, avec douceur. — ... Un soir de Noël, Annette. Monsieur le sait. Non ! je ne rapporterai pas l’enfant.

M. PASCAL. — Soit, gardez-la cette nuit. Et demain matin, vous l’emmènerez à la Gendarmerie le plus tôt possible.

ANNETTE. — Ah ! Monsieur, il y a de la place ici pour loger dix petites filles. Tenez, justement, la chambre bleue qui est toujours fermée... sans compter que François et moi serions si contents ! Vrai, vous ne voulez pas la voir ?

M. PASCAL. — Annette, Veuillez avoir la complaisance d’obéir à mes ordres !
     (Annette sort en maugréant tout bas).

 
SCÈNE III

M. PASCAL, FRANÇOIS.

     (Ils restent un long moment silencieux. M. Pascal regarde danser les flammes dans la cheminée. Mais brusquement s’élève la voix des cloches).

M. PASCAL, irrité. — François, je te l’ai déjà dit, fais taire ces cloches !

FRANÇOIS, avec un geste d’impuissance, montrant les volets clos et les rideaux tirés. — Je ne peux pas, Monsieur. Ce sont les cloches de Noël !

     (Et de nouveau, et à plusieurs reprises : voix des cloches. Cela dure très longtemps. Les carillons semblent entrer dans la chambre et danser autour des deux hommes silencieux).

M. PASCAL, d’une voix sourde. — ... Ce sont les cloches de Noël !

M. PASCAL, brusquement. — François, va me chercher cette petite fille !

     (François le regarde avec un étonnement joyeux, puis sort précipitamment. Voix des Cloches).

 
SCÈNE IV.

M. PASCAL, FRANÇOIS, LILINE.

     (François entre, tenant Liline par la main. C’est une petite fille fine et jolie mais ses vêtements sont misérables. Elle entre avec un peu d’appréhension).

LILINE, à François. — Il n’est pas méchant, dis, le monsieur ?

FRANÇOIS, avec force. — Il est très bon.

LILINE. — Tu crois ?

     (François se retire et Liline reste seule en face de M. Pascal sur qui elle n’ose pas lever les yeux).

 
SCÈNE V.

M. PASCAL, LILINE.

LILINE, levant lentement les yeux sur M. Pascal, puis avec une exclamation de surprise joyeuse. — Oh ! mais je le reconnais ! C’est le Père Noël !

M. PASCAL. — Approche, petite fille.

LILINE, extasiée, regardant autour d’elle. — Je suis dans la maison du Père Noël !

M. PASCAL. — Tu crois ?

LILINE. — Oh ! je t’ai reconnu tout de suite avec ta longue barbe blanche et ton grand manteau rouge. Bonsoir, Père Noël. Je suis si contente de te connaître. (Avant que le vieillard ail pu faire un geste, elle s’est approchée de lui et lui a plaqué deux baisers sur les joues). Tu aimes tant les petits enfants que les petits enfants sont bien obligés de t’aimer eux aussi.

M. PASCAL. Tu as souvent eu des jouets pour Noël ?

LILINE, avec simplicité. — Je n’en ai jamais eus. Mais tu comprends, ma maison était une maison qui marche, alors ce n’était pas ta faute si tu ne savais pas où j’étais.


 



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