PIECES  DE  THEATRE  POUR  ENFANTS.

 
 
M. PASCAL. — Pourquoi tes parents t’ont-ils abandonnée ?

LILINE. — Ce n’étaient pas mes vrais parents puisque je suis orpheline. Ils me battaient souvent et me forçaient à mendier. Mais aujourd’hui, ce n’était pas un jour comme les autres. Les gens allaient et venaient. Ils avaient l’air joyeux et pressés. Dans la grand’ rue, les vitrines étaient illuminées. Partout on te voyait. Chez le pâtissier, tu étais en chocolat avec une barbe en sucre ; chez le marchand de jouets, tu avais une barbe en coton et un manteau rouge semé d’étoiles d’or. J’ai regardé les vitrines et je n’ai pas rapporté de sous à la roulotte.

M. PASCAL. — L’homme t’a battue ?

LILINE. — Non. Il m’a dit : « Retourne dans la rue. Quand tu auras de l’argent, tu reviendras. »

M. PASCAL. — On t’en a donné ?

LILINE. — Non. Les gens étaient rentrés chez eux. Quand je me suis décidée à retourner, la roulotte était partie.

M. PASCAL. — Qu’as-tu fait alors ?

LILINE.— J’avais froid, faim et sommeil. Je ne pouvais ni me chauffer, ni manger, mais je pouvais dormir. Je me suis couchée sous le porche d’une maison. Et tout à coup, j’ai entendu les cloches.

M. PASCAL, pensif. — Je les ai entendues aussi.

LILINE — Elles avaient des voix très pures qui chantaient dans le silence de la nuit. C’était très beau. Il me semblait que je n’avais plus froid, plus faim. J’ai regardé le ciel. Et tout à coup, je les ai vues s’envoler, brillantes et carillonnantes au-dessus des montagnes pleines de neige.

M. PASCAL, surpris. — Tu les as vues ?

LILINE, d’une voix pleine de rêve. — Alors j’ai tendu mes bras vers elles et je leur ai crié : « O cloches, qui dansez dans le ciel plein d’étoiles, avec vos robes d’or et vos ailes d’azur, où partez-vous, ô cloches de Noël ? « Et elles ont chanté toutes ensemble : « Nous allons chercher le Père Noël ! »

M. PASCAL. — Tu as compris ce qu’elles te disaient ?

LILINE, gravement. — Les enfants savent ce que disent les cloches. Alors j’ai crié : « Emmenez-moi, emmenez-moi ! Je suis une petite fille toute seule, je suis une petite fille que l’on a oubliée. Cloches, emmenez-moi chez le Père Noël. » Elles sont descendues vers moi et m’ont emportée dans le ciel au milieu des carillons et des étoiles.

M. PASCAL. — Tu es sûre, petite fille, de ne pas avoir rêvé ?

LILINE, avec simplicité. — Bien sûr que non, puisque te voilà ! (Avec extase). Père Noël, j’avais tant désiré te connaître ! Et les cloches m’ont emmenée dans ta maison ! Quand j’ai ouvert les yeux, j’étais dans une grande cuisine. Des bonnes choses cuisaient sur le fourneau. Et dans un coin, il y avait un arbre de Noël couvert de bougies et d’étoiles.

M. PASCAL, surpris. — Un arbre de Noël ?

LILINE. — Mais, Père Noël, je bavarde et je t’empêche sans doute de commencer ta tournée. Il est tard. Il faut partir.

M. PASCAL. — Je n’ai pas envie de faire ma tournée cette année.

LILINE. — Oh ! Pourquoi ?

M. PASCAL, s’étendant paresseusement sur son fauteuil. — Je me fais vieux. Il fait froid dehors, et on est si bien près du feu.

LILINE, d’une voix suppliante. — Oh ! Père Noël, tu ne peux pas faire une chose pareille ! Tu ne peux pas ! Que diraient les petits enfants ?

M. PASCAL. - Que faisais-tu, quand tu ne trouvais rien dans tes souliers ?

LILINE. — Je pleurais toute la journée. (Câline). Père Noël, il faut partir. Écoute ! les cloches t’appellent !

LILINE, persuasive. — Tu verras. Tu n’auras pas froid. Tu relèveras le capuchon de ton grand manteau rouge. (Après avoir examiné la robe de chambre du vieillard avec étonnement). Mais tu n’as pas ton capuchon. Il faudra le mettre. Avec tes bottes et tes gants fourrés.

Liline. — Tu entends ? Les cloches t’appellent. (Elle essaye de le forcer à se lever). Pense à tous ceux qui t’attendent et qui pleureraient tant si tu ne venais pas !

M. PASCAL. — Tu crois qu’ils pleureraient ?

LILINE. — Tout le monde pleurerait demain si, cette nuit, le Père Noël ne faisait pas sa ronde. Songe à ceux qui sont malheureux. Il faut partir !

MO. PASCAL, se levant résolument. — Tu as raison, fillette. Il faut partir ! (D’une voix forte :) Annette ! François !

 
SCÈNE VI.

M. PASCAL, LILINE, FRANÇOIS, ANNETTE.

M. PASCAL — François, écoute bien ce que je vais te dire : Tu vas sortir la voiture du garage...

ANNETTE, l’interrompant. — Vous allez rapporter cette petite aux gendarmes ?

M. PASCAL, très calme. — Ne m’interrompez pas, Annette. (À François.) Tu iras chez le pâtissier...

FRANÇOIS. — Mais si c’est fermé ?

M. PASCAL. — Tu feras ouvrir. Tu prendras tout ce qui lui reste comme cloches, pères Noël et sabots de chocolat, gâteaux et bonbons, et tu les apporteras dans la voiture.

FRANÇOIS, très étonné. — Tout ce qui lui reste ?

M. PASCAL. — Tout. Ensuite, tu iras chez le marchand de jouets.

FRANÇOIS. — Mais s’il dort ?

M. PASCAL. — Tu le réveilleras. Tu lui achèteras un assortiment complet de poupées, poupons, ours, ballons et trains mécaniques. Puis tu iras chez le charcutier car il faut penser aux pauvres.

FRANÇOIS. — Mais si le charcutier réveillonne ?

M. PASCAL. — Tu le prieras poliment d’interrompre un instant son réveillon. Et tu entasseras dans la voiture ce qu’il aura de mieux comme boudins, pâtés et jambons, sans oublier les vins fins. Après quoi, tu viendras me chercher et nous commencerons notre tournée.

FRANÇOIS, de plus en plus ahuri. — Quelle tournée ?

ANNETTE, les bras au ciel. — Serait-il possible que Monsieur ait perdu la raison ?

LILINE. — Mais voyons, il faut bien que le Père Noël fasse sa ronde !

M. PASCAL, souriant. — Cette fillette a raison. Le Père Noël va faire sa ronde. Et tu vas l’accompagner, François !

FRANÇOIS. — Mais, Monsieur...

M. PASCAL, le poussant doucement vers la porte avec bonhomie, mais autorité. — Va, accomplis mes ordres, François. Et souviens-toi de ce que tu as dit : la justice ne suffit pas, il y a aussi la bonté.
     (François sort).

 
SCÈNE VII.

M. PASCAL, LILINE, ANNETTE.

M. PASCAL. — Quant à vous, Annette, vous irez me chercher ma houppelande, mes bottes et mes gants fourrés.

ANNETTE. — Ah ! Monsieur ! est-il possible que vous vouliez sortir par un froid pareil !

LILINE. — Le Père Noël ne craint pas le froid.

M. PASCAL. — Ensuite, vous apporterez dans cette pièce l’arbre de Noël que vous cachez dans votre cuisine.

ANNETTE. — Qui vous a dit ?...

M. PASCAL, gravement. — Le Père Noël sait tout ! Puis vous dresserez ici-même une table pour quatre convives.

ANNETTE, surprise. — Monsieur a des invités ?

M. PASCAL. — Parfaitement, Annette : François, cette fillette, et vous. Tâchez de nous faire un bon repas car nous aurons faim à notre retour. Vous donnerez un bon bain à cette petite fille et vous l’arrangerez de votre mieux pour qu’elle soit présentable. Demain, vous irez lui acheter un trousseau et vous lui préparerez la chambre bleue.

ANNETTE, ravie. — Vous la gardez,

M. PASCAL. — Bien sûr, Annette. Vous ne voulez pas que le Père Noël renvoie une petite fille que les cloches lui ont apportée ! (Riant). C’est la première fois que le Père Noël trouve quelque chose dans sa cheminée ! Mais, à propos, fillette, tu y placeras tes souliers, ce soir.

LILINE, extasiée. — Mes souliers dans la chambre du Père Noël ! (Elle se jette au cou du vieillard).

MO. PASCAL. — Ce sera le seul moyen pour qu’il ne t’oublie pas cette année ! Allez vite, Annette, François va être de retour. Et ouvrez donc cette fenêtre, ouvrez-la toute grande sur les étoiles, que j’entende chanter les carillons de Noël !
     (Annette ouvre la fenêtre et sort).

     La voix des cloches éclate brusquement sur la scène, comme une fanfare. M. PASCAL serre dans ses bras Liline qui a posé câlinement sa tête sur son épaule, pendant que tombe le

 
RIDEAU

     On trouvera des sons de cloches sans difficulté sur le Net.
TOUS DROITS RÉSERVÉS. — Toute représentation, même gratuite, de cette pièce, doit faire l'objet d'une autorisation préalable, de la SOCIÉTÉ DES AUTEURS DRAMATIQUES, 11, rue Ballu, Paris (9e).



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