PIECES  DE  THEATRE  POUR  ENFANTS.

 
 


PIERROT SPIRITE

ou

LA MAISON A L'ENVERS

PANTOMIME-FOLIE EN UN ACTE.


http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5573176j/f3.image.r=Almanach%20des%20enfants%20Amusements%20et%20jeux%20pour%20jeunes%20filles%20et%20jeunes%20gar%C3%A7ons.langFR

 

 

Almanach des enfants.

Amusements et jeux pour jeunes filles et jeunes garçons

1877


ALCOFRIBAS, médium.
PIERROT, son domestique.
BOSCO, filleul du spirite.
C0QSIGRU, jeune farceur.

La scène se passe dans une grande ville.

 


     Un salon d'un aspect étrange ; une table recouverte d'un tapis, un fauteuil couvert d'une housse ; porte au fond ; à gauche de la porte : un coucou ; à droite, un portrait et au-dessous un cornet à bouquin suspendu. Meubles divers; un livre rouge sur la table.



Scène première.



     Pierrot passe la tète par la porte du fond et ne voyant personne, il entre mystérieusement en scène ; il tire une bouteille de vin de sa poche et va pour la serrer dans un buffet, mais avant, il songe qu'il pourrait bien en goûter le contenu, ce qu'il essaie de faire ; différents bruits viennent l'interrompre, il craint d'être surpris et cherche d'où viennent ces gêneurs, il indique le portrait et dit que c'est lui qui est jaloux ; il continue de boire et vide à moitié la bouteille en se frottant amoureusement le ventre et le creux de l'estomac.

 


Scène II.



     Une porte de côté s'ouvre brusquement, Alcofribas pénètre en scène et s'arrête en examinant Pierrot. Barbiche et moustache noires, chevelure visant à l'air satanique ; il est vêtu d'une robe de chambre de couleur rouge ; Pierrot a compris qu'il entrait et cache sa bouteille le long de son corps, tandis que son maître tourne autour de lui ; Pierrot fait exécuter le mouvement inverse à sa bouteille. Alcofribas lui montre un doigt menaçant ; tu me trompes ! semble-t-il dire ! Pierrot jure que non ! Pendant que le médium se dirige vers le guéridon, Pierrot cache la bouteille sous la housse du canapé ; au même instant, Alcofribas qui a fait un geste malicieux en indiquant son domestique, tire un fil caché dans le mur, un coup de tambour se fait entendre ; Pierrot bondit en criant ; Alcofribas rit et montre à Pierrot que, s'il veut le trahir, d'autres yeux le verront ; il lui désigne le portrait du fond... Pierrot remarque avec stupeur que ce portrait roule des yeux enflammés et ne voit pas le fil que son maître fait mouvoir. Convaincu de la puissance du médium qui sourit à part, il lui jure obéissance, tout en jetant des regards furtifs du côté de sa bouteille. Alcofribas lui dit de servir son déjeuner ; Pierrot sort, cherchant en vain à reprendre sa bouteille, Alcofribas se retournant chaque fois qu'il veut la saisir et lui ordonnant de se hâter.



Scène III.



     Le médium se demande qu'est-ce que Pierrot pouvait bien lui cacher ? Il cherche à droite, à gauche. Pierrot montre sa tête et guette Alcofribas ; lorsque celui-ci se met à se baisser près du fauteuil, Pierrot fait un : psitt ! qui fait redresser brusquement le spirite. Celui-ci lui demande pourquoi il l'appelle de la sorte ? c'est pour lui annoncer que son déjeuner est prêt à servir ; Alcofribas se fait vivement enlever sa robe de chambre que Pierrot pend à côté du portrait, il endosse un habit plus coquet, non sans cascades de la part de son valet, lequel jette les vêtements à terre, retape le chapeau en crachant dessus et en l'essuyant avec son coude. Enfin, lorsque le spirite s'est scrupuleusement habillé, en se mirant dans une glace que Pierrot lui présente d'abord à l'envers, il s'apprête à passer dans la salle à manger, lorsqu'on frappe à la porte du fond.



Scène IV.



     Alcofribas se redresse pour se donner de l'importance et ordonne à Pierrot d'introduire le visiteur. Pierrot ouvre. Entre Coqsigru, jeune homme à la figure espiègle, au sourire railleur, à la démarche aisée. Il salue d'abord avec emphase et demande si on pourra le magnétiser. Alcofribas affirme que oui ; ordonnant à Pierrot d'offrir un siège, il examine le jeune homme auquel il trouve un air bien éveillé, mais enfin il se décide à l'influencer et réclame d'abord une pièce de monnaie. Coqsigru s'exécute, mais c'est Pierrot qui saisit la pièce. Étonnement des deux hommes, qui affirment, l'un avoir donné, l'autre n'avoir reçu... Alcofribas soupçonnant Pierrot, le renvoie et ne parvient à le mettre dehors qu'à l'aide d'un coup de pied qui lui fait lâcher la pièce qu'il avait prise. Une fois seuls, Alcofribas fait asseoir Coqsigru, lui fait des passes magnétiques et l'endort : le spirite est satisfait de son opération, lorsque soudain Coqsigru se relève en riant, tire sa montre et montrant une lettre qu'il avait dans un portefeuille, indique qu'il faut qu'il l'aille mettre à la poste ; il donne une poignée de main au médium, étonné de cette action, et sort en riant aux éclats.



Scène V.



     Vexé d'être la dupe d'un jeune intrigant, Alcofribas sonne Pierrot qui ne vient pas ; seconde sonnerie. Pierrot paraît sur le seuil mais sans avancer ; Alcofribas carillonne en arpentant la scène ; Pierrot le suit, le spirite se retourne et l'aperçoit ; après avoir reposé sa sonnette, il le fait avancer et lui exprime qu'il est furieux ; un jeune espiègle vient de se moquer de lui. Pierrot saute en faisant une exclamation et lui marche sur le pied ; Alcofribas le repousse violemment ; Pierrot va pleurer mais son maître lui prenant la main, essuie ses larmes avec le pan de sa blouse ; une fois qu'il l'a calmé, il lui recommande de bien veiller à ce que son espiègle de tout à l'heure ne revienne pas le conspuer comme il l'a fait ; Pierrot promet de faire bonne garde, surtout à la vue d'une pièce de monnaie que le médium a tirée de sa poche et qu'il lui montre d'un air tentateur ; Pierrot allonge toujours la main, son maître serre la pièce et promet de ne la donner que plus tard. Il regarde, sa montre, c'est l'heure d'une sortie, il s'en va pendant que le valet, la main tendue avec insistance, lui fait de l'autre, des promesses de dévouement et de fidélité.



Scène VI.



     Étonné du silence de son maître, Pierrot tourne la tête et ne le voit plus ; il l'aperçoit par une croisée, s'éloignant très-vite ; alors il songe à sa bouteille cachée, il la retrouve et la caresse voluptueusement : il remarque qu'elle est bien entamée, tire de sa poche une petite clé qu'il exprime être sa propriété particulière, ouvre le buffet, serre dedans la bouteille entamée et en sort une autre pleine : il revient s'asseoir sur le fauteuil, se remet à boire en promettant de veiller à ce que personne n'entre ; la porte du fond s'ouvre doucement. Coqsigru s'avance sur la pointe du pied, il voit Pierrot et va se cacher derrière la robe de chambre pendue au mur ; Pierrot qui n'a cessé de boire, se laisse aller dans le fauteuil à un mouvement de béatitude et s'endort... La bouteille lui échappe des mains et tombe à terre... Coqsigru sort de sa cachette et vient examiner Pierrot qui est profondément assoupi.
 


Scène VII.



     Le jeune homme voulant s'assurer du degré de sommeil de Pierrot, lui fait des niches de différents caractères ; il lui chatouille les narines avec une plume, lui met de l'encre sur les joues ou sur les lèvres, lui frotte les côtes, lui donne des tapes sur la tête ou sur les doigts : toutes ces malices font rire Pierrot sans toutefois le réveiller. On entend du bruit dehors, Coqsigru court se cacher dans la robe de chambre ; la porte s'ouvre, entre Bosco, un jeune bossu, mis d'une façon ridicule. Il salue à droite et à gauche d'une façon niaise, s'étonne de ce que personne ne lui répond, il voit Pierrot endormi, fait le tour de son fauteuil, ouvre toutes les portes, regarde dans les pièces latérales et ne voit âme qui vive. Tout à coup, il se frappe le front, il a oublié un bouquet, il se met à courir. Coqsigru sort de sa cachette, ferme la porte derrière le fuyard, et d'une calotte vient écraser une mouche qui se promenait sur le nez de Pierrot ; celui-ci éternue et s'éveille. Coqsigru s'est caché de nouveau. Pierrot se demande d'où vient le coup qu'il a reçu ; il examine le portrait avec crainte ; Coqsigru lui allonge un coup de pied ; Pierrot recule effrayé et en se signant. On frappe au dehors ; il croit que c'est un esprit frappeur et dit qu'il n'ouvrira pas ; on frappe à coups redoublés sans que Pierrot bouge ; Coqsigru allonge un bras, ouvre la porte et Bosco se précipite en scène avec un bouquet.



Scène VIII.



     Pierrot terrifié de ce que la porte semble s'être ouverte d'elle-même, décrit des courses insensées dans l'appartement; Bosco le suit, décrivant les mêmes ellipses, bientôt il le saisit par le bras et l'arrête en le frisant pirouetter ; Pierrot le regarde d'abord avec crainte, puis bientôt avec assurance ; il reconnaît Bosco, le filleul de son maître, lequel apporte un bouquet à son parrain. Prenant son air sérieux, Pierrot explique qu'on lui a défendu de recevoir personne, il prie Bosco de poser son bouquet là et de s'en aller ; le jeune homme rit, déclare qu'il est de la maison et qu'il reste. Ce disant, il s'assied dans le fauteuil ; Pierrot le prend par les épaules et veut le mettre dehors, Bosco s'insurge et lui échappe ; ils font une course insensée en bousculant et renversant les meubles, Pierrot essoufflé, sort pour prendre un bâton ; Bosco cherche où se cacher et s'introduit dans le coucou.



Scène IX.



     Pierrot rentre armé d'une trique, il fait diverses évolutions dans le vide, il attrape les meubles et semble vexé en voyant qu'il n'atteint personne ; soudain le coucou se met à sonner d'une façon peu ordinaire. Terreur de Pierrot. Coqsigru toujours dissimulé sous la robe de chambre pendue au mur, saisit le cornet à bouquin qui est à sa portée et en tire des sons rauques. Pierrot n'y tient plus et tombe dans le fauteuil ; Alcofribas entre, regarde tout d'un œil soupçonneux, court à Pierrot et lui frappe sur l'épaule ; celui-ci tombe à genoux ; son maître le relève et lui demande ce qu'il a. Puis, comme il lui semble que la peur le paralyse, il le prend par une oreille et le force ainsi à se mettre sur pied ; pendant ce temps, Coqsigru est venu se blottir sous la table ; Pierrot qui a reconnu le médium, lui explique que des choses terribles se passent dans la maison ; l'horloge a sonné, la robe de chambre à trompetté ; Alcofribas soulève la robe, il n'y a rien dessous ; il prend alors un air grave en déclarant à Pierrot que des esprits remplissent son domicile et que ces esprits lui obéissent, à lui médium ; nouvelles terreurs de Pierrot ; frappé d'une .inspiration, Alcofribas propose à son serviteur, de l'initier aux mystères du spiritisme, en échange d'un dévouement absolu ; Pierrot n'ose accepter d'abord, mais il finit par consentir... Le médium lui fait poser la main sur le livre rouge, pendant qu'il tire des ficelles qui font mouvoir le tam-tam et le portrait aux yeux mobiles ; Coqsigru caché sous la table, a vu la manœuvre et se promet d'en user. Alcofribas dit à Pierrot de frapper sur la table à la manière spirite. Coqsigru répond dessous, à l'étonnement des deux hommes; le médium fait prêter serment à Pierrot, celui-ci jure en tremblant, puis Alcofribas fait asseoir Pierrot dans le fauteuil et commence des passes magnétiques qui chatouillent son serviteur, lequel remue sans cesse, lui donnant des coups de pied ou des calottes, selon qu'il allonge jambe ou bras ; à la fin Pierrot paraît endormi, le médium est joyeux de triompher, mais Pierrot, pris d'un sommeil naturel, manque de tomber dans un mouvement de corps un peu brusque ; il se lève, se frotte les yeux, retourne à la table et veut la faire tourner, Coqsigru aide à celte manœuvre dont la facilité semble louche à Alcofribas... Pierrot est enthousiasmé ; Coqsigru tire les ficelles qui font mouvoir le tam-tam et le portrait ; le médium et Pierrot se regardent avec surprise, mais cependant le maître explique à son valet qu'il est spirite dorénavant et peut faire mouvoir les corps ; tout en disant cela, il examine avec inquiétude le dessous de la table, voit les jambes de Coqsigru ; il avertit doucement Pierrot et l'emmène dans une autre pièce pour préparer un châtiment à son mystificateur.

 


Scène X.



     Bosco n'entendant plus aucun bruit, sort doucement de son horloge où il montre qu'il étouffait ; son parrain est rentré, il cherche son bouquet pour le lui remettre, le retrouve à terre et tout piétiné, le retape en crachant dessus et se dispose à le porter ; Coqsigru sorti également de dessous sa table, vient regarder par dessus son épaule ce que fait Bosco, il lui donne une tape sur la tête, un coup de pied dans le derrière et va se cacher dans l'horloge ; Bosco s'est jeté à genoux ; croyant que des esprits viennent le tourmenter, il veut de nouveau se cacher dans l'horloge, il en ouvre violemment la porte, Coqsigru lui donne une bourrade qui l'envoie rouler sur le dos, il se relève, perd la tête, veut se cacher absolument et retirant la housse du fauteuil, s'en affuble après avoir poussé le fauteuil devant la porte de la chambre où sont entrés Pierrot et Alcofribas.



Scène XI.



     La porte de droite s'est ouverte brusquement, le médium paraît et se heurte contre le fauteuil qu'il est bien étonné de voir là ; il le montre à Pierrot qui, voyant la housse à sa place, prend un air fort important et dit que c'est lui qui l'a fait surgir ; Alcofribas rit et range le fauteuil au fond, à droite de la porte, en exprimant que ça lui en fera deux ; après quoi, plaçant Pierrot de l'autre côté de la table, tout deux tapent dessous ; étonné de ne rien voir, le médium se baisse et regarde en dessous, Pierrot croit que c'est l'individu caché, tape dessus et lui fait la chasse en bousculant tous les meubles ; Alcofribas s'enfuit en criant.



Scène XII.



     Pierrot, vainqueur, se rengorge mais aussitôt l'horloge se met à sonner et les aiguilles marchent avec rapidité ; Pierrot se laisse tomber sur ce qu'il croit le fauteuil et qui n'est autre que la housse abritant Bosco, un cri s'en échappe, ce qui semble étonner Pierrot qui bientôt se trouve bercé par le fauteuil qui le fait sauter un peu haut pendant que les bras lui donnent des tapes sur la figure, le mouchent ou le chatouillent ; Coqsigru a quitté l'horloge, se cache de nouveau derrière la robe de chambre et donne un son de corne : Pierrot bondit ; Coqsigru se précipite sous la table, fait mouvoir les ficelles qui agitent le tam-tam et les yeux du portrait, puis la table et la housse se mettent à danser.



Scène XIII.



     À ce tapage infernal, Alcofribas arrive et ne voyant personne d'autre que Pierrot se mourant de peur, demande à ce dernier quel motif a pu causer sa transe. Pierrot à moitié perdu, lui explique que l'horloge a sonné et marché toute seule, que le portrait a remué les yeux, que le tam-tam a fonctionné, que le fauteuil lui a fait toutes sortes de mystifications : Alcofribas n'en croit rien et pour lui montrer qu'il a tort, enlève la housse du fauteuil ; il reste stupéfié à la vue de Bosco, dont la contenance bête et guindée fait rire Pierrot ; le médium rit à son tour et demande à son filleul qui se relève et l'embrasse pourquoi il se cachait, ainsi. Bosco répond : à cause de celui qui est dans l'horloge. Alcofribas l'ouvre et n'y voit rien ; tout-à-coup Pierrot pousse un cri, en voulant décrocher la robe de chambre, il a vu quelque chose derrière ; on regarde, c'est Coqsigru ; le médium qui reconnaît son mystificateur du matin, lui demande ce qu'il faisait là. Le jeune homme répond qu'il a voulu s'amuser ; Alcofribas va se fâcher quand tout à coup Coqsigru va saisir les deux ficelles qui font mouvoir le tam-tam et le portrait; le médium l'arrête en prenant un sourire confidentiel ; Pierrot et Bosco, vont à leur tour faire manœuvrer les trucs des charlatans. Celui-ci leur prend la main à chacun et leur recommande le silence en expliquant que c'est son gagne-pain et que dévoiler ses petites ruses, ce serait l'empêcher de vivre : tous promettent de garder le secret, après quoi le médium les invite à dîner avec lui ; cependant Pierrot qui se croit un peu spirite, après avoir vu danser les meubles, voudrait voir danser les hommes. Alcofribas qui devine sa pensée, fait un malin sourire et donne un signal à la suite duquel tous se mettent à danser d'une façon comique.

 

FIN

 




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