PIECES  DE  THEATRE  POUR  ENFANTS.

 
 

LE COMPLOT DANS LE GRENIER


Comédie en deux actes de Marcel Abadie.

PERSONNAGES :

Le capitaine.
La poupée blonde.
Le général.
Bouclette.


ACTE I


Décor : Un grenier éclairé par la lune. Des caisses pleines de livres poussiéreux et d'objets hors d'usage (bouteilles, chaussures, vaisselle, etc). Tabouret, balai, toiles d'araignées. À gauche, une vieille malle. Assis sur le plancher, le dos contre la malle, la tête penchée, la poupée et le général dorment. Leurs vêtements sont très abîmés, le général n'a qu'un bras (une manche de son uniforme est vide) ; la poupée n'a plus de cheveux. Dans la maison, une pendule sonne les douze coups de minuit.

LE GÉNÉRAL : (Il ouvre les yeux, tourne la tête à droite, à gauche et se frotte énergiquement les paupières). Où suis-je ? Que fais-je dans ce grenier ? J'ai l'impression d'avoir dormi un peu trop ! (Il s'étire et ses membres grincent). Je suis rouillé comme un vieux cadenas.

BOUCLETTE : (S'éveillant) Où suis-je ? Quelle poussière sur mes yeux ! (Elle les frotte). Quel vilain grenier ! Pourquoi ai-je dormi si longtemps ?

     (Le général s'est soulevé péniblement et il aperçoit la poupée).

LE GÉNÉRAL : (Il salue en soulevant son képi). Tiens, mais c'est Mademoiselle Bouclette !


BOUCLETTE : (Elle le reconnaît et se lève). Mais c'est le général Tambour !

LE GÉNÉRAL : Ah ! je me souviens maintenant. Vous étiez la poupée de la petite Chantal.

BÜUCLETTE : Et vous étiez le général de son frère Jean-Luc !

LE GÉNÉRAL : Hélas, Bouclette, voyez dans quel état nous ont mis ces affreux galopins ! Mon bras disparu (Il secoue sa manche vide), vos cheveux arrachés... (La poupée inquiète, passe sa main sur son crâne, regarde vite de tous côtés et, apercevant un vieux foulard, elle le plie en triangle et le met prestement sur sa tête, noué sous le menton, pour dissimuler sa calvitie)... Et après nous avoir ainsi martyrisés, ils nous ont relégués au grenier avec les araignées et les souris.

BOUCLETTE : (Effrayée, elle se jette dans les bras du général). Que dites-vous, général ? des souris ! J'ai si peur des souris !

 

LE GÉNÉRAL : Ne craignez rien, Bouclette ! (Elle s'éloigne). Il y a des rats aussi ! (La poupée se rejette contre le général en criant, puis s'en éloigne). Et des chauve-souris parfois ! (Même jeu de la poupée). Et même des chouettes et des hiboux ! (Même jeu)... Mais soyez sans inquiétude, Bouclette. J'ai chassé le tigre en Birmanie !

     (À ce moment, une souris apparaît à gauche et s'avance sur scène ; elle est tirée de la coulisse par un fil invisible).

BOUCLETTE : (Elle pousse un cri d'effroi et grimpe précipitamment sur le tabouret). Ah ! Général ! Une souris !

LE GÉNÉRAL : (affolé) Une souris, dites-vous ! Mais où, mais où ? (Il tournoie en tous sens). Bouclette, faites-moi une petite place à côté de vous !

BOUCLETTE : (Scandalisée) Comment, général, vous qui avez chassé le tigre !

LE GÉNÉRAL : (Se juchant péniblement sur le tabouret) Le tigre, oui ; mais la souris, jamais !

     (Ils sont en équilibre instable, s'accrochent l'un à l'autre et poussent des cris chaque fois qu'ils risquent de tomber sur la souris immobile. La poupée se décide à ôter un de ses souliers et le lance sur la souris qui s'enfuit aussitôt).



BOUCLETTE : (Triomphante) Eh bien, moi, j'ai chassé la souris à… (Dire le nom de la localité où se joue la pièce).

     (Tous les deux descencent du tabouret et s'embrassent).
  

BOUCLETTE : Et maintenant, général, voulez-vous m'expliquer pourquoi nous sommes vivants ce soir et pourquoi nous parlons, puisque nous ne sommes que des jouets ?

LE GÉNÉRAL : La nuit de Noël, Bouclette, tous les jouets deviennent vivants... Mais pour une heure seulement... C'est pour qu'ils puissent se placer devant les cheminées, à l'endroit qu'ils occuperont au réveil des enfants... Le Père Noël n'aurait pas le temps de les arranger.


BOUCLETTE : Mais nous ne sommes plus bons à rien, qu'allons-nous faire durant cette heure ?

LE GÉNÉRAL : (Sombre) Nous venger, Bouclette !... Ces petits bourreaux qui nous ont torturés, puis abandonnés aux souris, méritent un châtiment ! Maintenant qu'ils dorment dans leur chambre, ils sont à notre merci... Œil pour œil, dent pour dent !

BOUCLETTE : (Inquiète) Que dites-vous général ? Je vous défends de leur faire du mal !

LE GÉNÉRAL : (Tragique) Je vais m'asseoir sur leur estomac et ça leur donnera des cauchemars affreux !

BOUCLETTE : À quoi bon, général ? Ils ne sauront jamais que c'est vous. Ils croiront qu'ils ont mangé trop de bonbons !

LE GÉNÉRAL : Mais alors, que faire ?

BOUCLETTE : (Réfléchissant) Attendez, je crois que j'ai trouvé ! Il faut parler aux nouveaux jouets. Quand ils sauront ce qui les attend, ils ne voudront plus rester dans cette méchante maison ; ils partiront avec nous. Et qui sera bien puni ?

LE GÉNÉRAL : (Ravi) Les enfants, bien sûr ! Pas de jouets le matin de Noël ! Quel châtiment ! Allons-y Bouclette !

     (Ils partent sur la pointe des pieds, tandis que le rideau se ferme lentement. Pendant quelques minutes d’entracte nécessitées par le changement de décor, un récitant peut lire, derrière le rideau fermé, quelques poèmes de Noël).

 

ACTE II


Décor : Un salon avec cheminée ou appareil de chauffage. Une pendule marque minuit quarante-cinq. De nombreux jouets sont amoncelés (boîtes de carton ficelées, autos, animaux en peluche ou caoutchouc, etc). Un jeune capitaine et une charmante poupée blonde s'affairent à trier ces jouets et à les disposer symétriquement de chaque côté de la cheminée, un tas pour le garçon, un tas pour la fillette. Le général et Bouclette entrent à droite et les regardent un moment sans rien dire.

LE GÉNÉRAL : (Criant) Garde à vous !

     (La poupée blonde et le capitaine se retournent, surpris, et s'immobilisent).

LE CAPITAINE : Qui êtes-vous et que venez-vous faire ici ?


LA POUPÉE : On ne vous connaît pas... Sortez !


LE GÉNÉRAL : (s'avançant résolument) Nous étions ce que vous êtes et nous sommes ce que vous serez !


LA POUPÉE : (Se frappant le front de l'index) Il travaille du képi !

BOUCLETTE : (s'avançant) Nous sommes les jouets de l'an dernier et, sans nous flatter...

LE GÉNÉRAL : ... Nous étions plus beaux que vous !

LE CAPITAINE : (Faraud) Ca m'étonnerait !

GÉNÉRAL : Pendant six mois, nous avons été choyés, dorlotés, cajolés, gâtés, par les enfants de la maison.

BOUCLETTE : On nous montrait à tous les amis, on nous invitait à tous les dîners.

LE GÉNÉRAL : Et puis on nous a délaissés.


BOUCLETTE : On nous a grondés.


LE GÉNÉRAL : Battus.


BOUCLETTE : Giflés.
 

LE GÉNÉRAL : J'ai perdu un bras dans les batailles.


BOUCLETTE : Mes beaux cheveux ont été arrachés. (Elle retire son foulard puis le remet).

LE GÉNÉRAL : Et pour finir, on nous a transportés au grenier.


BOUCLETTE : Avec les rats et les souris.

LE GÉNÉRAL : Les araignées et les hiboux.


LA POUPÉE : : Quelle horreur !

BOUCLETTE : Et c'est pour vous sauver que nous sommes venus ce soir.

LE CAPITAINE : Comment cela ?

BOUCLETTE : Fuyez cette maison où vous serez si malheureux !


LE CAPITAINE : Où voulez-vous que nous allions ?


LE GÉNÉRAL : Revenez dans votre magasin de jouets. Il en est temps encore.

LA POUPÉE : Oh non ! Un s'y ennuyait trop !

LE CAPITAINE : Mais, mon général, vous avez eu, disiez-vous, six mois de bonheur ici ?


LA POUPÉE : (Extasiée) Six mois de bonheur ! C'est beaucoup dans la vie d'un jouet !

BOUCLETTE : (Sombre) Six mois de malheur, c'est long aussi !

LE CAPITAINE : (Hésitant) Qu'en pensez-vous, Blondine ?

LA POUPÉE : Moi, j'ai choisi ! Je reste ici ! Être aimée pendant six mois, pour une poupée, c'est merveilleux !

BOUCLETTE : De quel prix paierez-vous ces instants de bonheur !


LE CAPITAINE : Le devoir avant tout ! Notre destin, c'est d'être des jouets !


LE GÉNÉRAL : (Furieux) Vous êtes un imbécile, capitaine !

LE CAPITAINE : Vous êtes une vieille baderne, mon général !

LE GÉNÉRAL : (suffoqué) Capitaine, votre insolence mérite une punition ! Vous
oubliez que vous me devez obéissance ! Je vous ordonne de me suivre !

LE CAPITAINE : Mon général, vous êtes à la retraite ! Votre place est au grenier ! Je ne vous suivrai pas !

LE GÉNÉRAL : C'est ce que nous allons voir !

     (Il empoigne le capitaine par le bras et essaie de l'entraîner. La poupée blonde prend le capitaine par la taille et le retient. Bouclette de son côté, retient le général. Ils tirent, tirent si fort que le général lâche prise et qu'ils tombent tous à la renverse de chaque côté de la cheminée... Ils se relèvent furieux, prêts à recommencer).

LA POUPÉE : Vous êtes fous ! Vous allez réveiller les enfants !

LE GÉNÉRAL : Alors, vous refusez de partir !

LE CAPITAINE : Nous refusons ! D'ailleurs, il est trop tard maintenant ! Regardez. (Il montre la pendule qui va marquer bientôt une heure).

LE GÉNÉRAL : (affolé) Sapristi, Bouclette, nous avons tout juste le temps de revenir au grenier.

BOUCLETTE : (pleurant) Oh, mon Dieu, général, dans le grenier ! Vous n'y pensez pas ! Avec les rats et les souris !


LE GÉNÉRAL : (soucieux) C'est vrai, il y a les souris !

LA POUPÉE : (émue) Écoutez-moi, Bouclette.

LE CAPITAINE : Et vous aussi, mon général.

LA POUPÉE : Ne retournez pas au grenier.


LE CAPITAINE : Restez ici, près de nous.

LA POUPÉE : En vous voyant, les enfants se souviendront des bons moments qu'ils ont passés avec vous.

LE CAPITAINE : Et peut-être qu'ils vous garderont...

LA POUPÉE . ... Six mois de plus !

BOUCLETTE : (embrassant la poupée blonde) Vous avez bon cœur, Blondine. J'accepte. Faites-moi une petite place à côté de vous !

LE GÉNÉRAL : (serrant la main du capitaine) Capitaine, vous êtes généreux... J'accepte votre proposition !

     (Ils s'embrassent tous les quatre, puis ils se placent parmi les autres jouets, assis, raides : ils ferment les yeux et s'immobilisent. La musique joue une berceuse, la pendule sonne un coup et le rideau se ferme lentement).


 


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