LES EDITIONS DU CEP BEAUJOLAIS VILLEFRANCHE (Rhône) LE CACHOT NOIR
Scène dramatique à un personnage
par Raymond RICHARD
250 000 cliparts Mindscape
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Le rôle unique est tenu par une grande fille qui, tout au long de la scène, s'adresse à un personnage invisible et muet. DÉCOR : un intérieur quelconque. Au moment précis où se lève le rideau, Monique referme brusquement la porte d'un placard situé à gauche et dans lequel elle vient d'enfermer son petit frère de six ans. Le rôle de Monique sera confié à une fillette particulièrement douée qui saura, après la colère du début, exprimer dans un savant crescendo dramatique, les doutes, les hésitations, les scrupules, l'inquiétude puis l'angoisse qui s'empare peu à peu du personnage, angoisse qui, à son point culminant, se résout soudain en joie délirante et toute chargée de fraternelle tendresse.
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MONIQUE, s'adressant au petit garçon qui est censé se trouver derrière la porte. - Et voilà, mon ami ! Ca t'apprendra à profiter de l'absence de Maman pour être insupportable ! (L'enfant emprisonné secoue la porte). Oh ! c'est inutile d'essayer d'ouvrir ! J'ai tiré le verrou. Tu ne sortiras de ta prison que lorsque j'aurai jugé la punition suffisante. Tu peux pleurer, crier, trépigner, je ne me laisserai pas attendrir !
(Au public) A-t-on déjà vu un garçon de six ans se conduire de la sorte ? Fourrer Minouche, ma petite chatte, dans la potiche du salon ! Je me demande où ce garnement va chercher des idées aussi diaboliques !
Evidemment, la pauvre bête, dans ses efforts pour sortir de sa prison, a fait basculer la potiche. Celle-ci est tombée, s'est brisée en mille morceaux sur le plancher. Minouche, un peu étourdie, a paru toute surprise de se retrouver libre au milieu des débris de porcelaine. Bien heureux qu'elle n'ait pas été blessée !
(Avec un désespoir comique) Mais la potiche, la belle potiche chinoise, cadeau de l'oncle Bigornot, la belle potiche à laquelle maman tenait tant ! Que va-t-elle dire quand elle rentrera ?
(Se retournant vers la porte du cachot). Oh ! tu peux sangloter, petit misérable ! Ca ne recollera pas les morceaux ! Je suis certaine que Maman m'approuvera de t'avoir enfermé dans le débarras. Oui, elle m'approuvera... (Un temps) Bien que jamais encore elle ne t'ait enfermé de la sorte ! Maman est trop indulgente ! Elle prétend que le cachot noir est une punition démodée et dangereuse !
Dangereuse ? pourquoi ? Il n 'y a même pas de rats dans ce réduit ! Tout juste quelques toiles d'araignées et d'inoffensives petites souris. Et, ma fois, si Jacquot a un peu peur, cela lui servira de leçon ! Les parents actuels ne sont pas assez fermes. Au temps de nos grands-mères, le cachot noir était une punition courante et les enfants ne s'en portaient pas plus mal !
(Elle semble assez peu convaincue et ses coups d'oeil à la porte expriment une certaine hésitation).
Oui, je sais, Jacquot est très nerveux, très émotionnable ! (brusquement) Mais ce n'est pas une raison pour ne jamais le punir ! D'ailleurs, il semble s'être calmé ! (S'approchant de la porte). Oui, c'est vrai, on n'entend plus rien ! C'est même assez curieux, ce silence ! Je m'attendais à ce qu'il hurle de colère et de peur. Mais non, rien ! A peine a-t-il cogné un instant contre la porte quand je l'ai enfermé. Puis, je l'ai entendu pleurer doucement et, soudain, tout s'est tu !
(Inquiète.) Bizarre ! J'aurais préféré qu'il crie et se débatte comme un petit diable en boîte. C'eût été normal. Il est si nerveux !... (Un temps.) Mais, après tout, peut-être s'accommode-t-il fort bien de l'obscurité. Il est sans doute moins poltron que je l'imagine.
Allons ! Je pensais lui donner une bonne leçon et j'en suis pour mes frais... à moins que... (Préoccupée) Ce silence me semble anormal... (Elle colle son oreille à la porte). Pas le moindre bruit ! Que peut-il bien faire ?
(Doucement, elle appelle). Jacquot !... (Un temps, puis plus fort) Jacquot !... (Un temps) Il ne répond pas ! Bien sûr, il le fait exprès, rien que pour m'embêter ! Peut-être n'a-t-il pas entendu !
(Appelant de plus en plus fort) Jacquot !... Jacquot !... réponds-moi !... (Tendrement) Allons, mon petit Jacques, sois gentil ! Dis-moi que tu regrettes ta sottise et je te délivrerai !... (À part) Sale gosse ! il ne répondra pas : il est têtu comme une mule ! Je ne peux pourtant pas céder. C'est à lui de se faire pardonner ! (Elle réfléchit). Je ne peux pas, non plus, le laisser enfermé. S'il lui arrivait quelque chose ! Maman a peut-être raison... Mais pourquoi ne répond-il pas ?
(Appelant avec angoisse) Jacquot ! tu n'es pas malade ?... (Elle colle à nouveau son oreille contre la porte). Rien ! pas un bruit ! pas un souffle ! On dirait... on dirait qu'il n'y a personne dans le placard ! Je suis pourtant bien sûre de l'y avoir enfermé !
C'est vrai, j'ai été bien sévère ! Il est si petit ! Au fond, il n'est pas méchant et je l'aime bien, mon Jacquot ! (Brusquement) Ah ! ma foi, tant pis ! je vais ouvrir ! Il a été assez puni... (Au public) Après tout, elle n'était pas si belle que ça, la potiche de l'oncle Bigornot !
Mais, c'est drôle, voilà maintenant que j'hésite à tirer le verrou. C'est moi, oui, c'est moi qui ai peur. J'ai été méchante, très méchante ! Comment vais-je le trouver ? La nuit, les araignées, les rats !... (Brusquement) Ah ! tant pis ! J'ouvre !
(Elle tire le verrou, ouvre la porte, et pousse un grand cri).
Jacquot !... Qu'est-ce que tu as ? (Au public) Il est assis, dans un coin, par terre, il ferme les yeux, il ne bouge plus ! On dirait... on dirait... Non, non, ce n'est pas possible !
(Elle s'approche, au paroxysme de l'angoisse et, doucement, elle appelle).
Jacquot !... (Elle tend le bras pour toucher l'enfant. Son visage, soudain, s'illumine). Mais non, mais non, je suis folle ! À quoi allais-je penser ? (Elle se redresse avec un long soupir de soulagement, puis son bonheur éclate). Ah ! que je suis contente, contente !... Il n'est pas mort !
(Souriante, elle regarde l'enfant invisible du public, puis, avec une tendresse infinie).