LA SURPRISE DE BÉCASSOT

monologue paysan comique

Raymond Richard

     Bécassot, costume de paysan (blouse bleue, bonnet de coton, gros sabots), portant un parapluie et un panier, entre par le fond de la salle où quelqu'un essaie de l'arrêter comme s'il s'agissait d'un intrus.

BÉCASSOT (discutant avec animation). - Mais enfin, Mossieur, pourquoi que vous voulez pas m' laisser rentrer ? J'ai quéqu' chose à raconter à ces Mossieurs Dames.
     Hein ? vous dites que c'est pas au programme ? Ça, Mossieur, j' m'en moque complètement. J'ai ben l' droit d' monter sur la scène moi aussi. Comment, non ? Enfin, c'est-y à vous c'te scène ? Non, eh ben alors laissez-moi passer ! (Criant) Laissez-moi passer ou j' vas chercher mon cousin qu'est garde-champêtre !
     (S'arrachant à l'étreinte de son interlocuteur qui essaie de l'arrêter, Bécassot traverse la salle en grommelant).

     Ah ! mais, j' voudrais ben vouère qu'on m'empêche de causer ! (Il grimpe sur la scène et tire son bonnet). Mossieurs et bonnes dames, j' vous salue ! Vous m' connaissez tous, ben sûr ! J' suis Bécassot, le neveu du Claudius, vous savez ben, le Claudius, qu'est chef de gare de première classe à Trifouilly-les-Alouettes. Vous vous rappelez, pardi !
     Ceci dit, j' m'excuse de venir troubler c'te p'tite fête. Mais y faut absolument que j' vous raconte une de mes aventures. Ça servira aux petits n'enfants qui doivent mettre ce souère leurs sabots sous la cheminée.
     Tout d'abord, mes p'tits agneaux, un conseil : méfiez- vous du Père Noël ! C'est un malin -pas tant qu' moi bien sûr- mais pour ça, c'est un malin. Jugez-en plutôt.
     L'an darnier, à c't' époque, j' m'apprêtais donc, comme tous les petits n'enfants, à mettre mes sabots devant le feu, quand, tout d'un coup, y m' vient une idée.
     « Bécassot, que j' me dis, jamais l' Père Noël pourra faire tenir dans p'tiots sabots de poupée la vache en chocolat que j' lui ai demandée.
     Si, à la place, j' mettais les sabots d' mon père ? Pensez, y chausse du quarante-huit. Le Bonhomme Noël qui est près d' la retraite et qui voit plus bien clair, ne s'apercevra de rien et j'y gagnerai sûrement ».
     Aussitôt dit, aussitôt fait. J' cache mes sabots dans la huche au pain et j' mets devant l'âtre les grands bateaux d' mon paternel.
     Pis, tout content d' ma trouvaille, j' vas m' coucher.
     Le lendemain matin, au p'tit jour, j' cours tout-z-ému à la cheminée. Mais, au lieu d'une vache en chocolat, qu'est-ce que j' trouve dans mes sabots ? Devinez voir !
     (Une voix au fond de la salle). - Un éléphant !
     - Non, pas un éléphant, Mossieur... mais une pipe et un paquet d' tabac !
     Vous voyez d'ici ma tête ! L' Père Noël avait pas compris... ou plutôt il avait voulu m' donner une leçon !
     J'en ai été quitte pour porter tout penaud la bouffarde et le tabac à mon père qui fume comme une locomotive. Il était si content qu'il m'a donné cent sous pour m'acheter une surprise. Comme surprise, j'étais pourtant bien servi !
     Que cette histoire vous serve aussi de leçon, petits n'enfants qui m'écoutez et, ce souère, ne faites pas comme ce gourmand de Bécassot qu'aimait trop le chocolat.
     Mettez vos souliers sous la cheminée, même s'ils sont petits et rapiécés. Pasque voyez-vous, dans la vie, y faut jamais essayer d' tromper quelqu'un... pas même le Père Noël !
 

Raymond RICHARD.
 

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