PIECES  DE  THEATRE  POUR  ENFANTS.

 
 

LA FARCE DE CELUI QUI DOIT FERMER LA FENÊTRE

Saynète de Lina ROTH

PERSONNAGES :


BENOÎTON, plutôt âgé.
ROSINE, sa femme, une jeune et jolie fermière.
LE POUPON, dans son berceau, personnage muet.

 

(La scène est dans une sorte de cuisine ou salle de ferme).


     Au milieu, une table à tiroir. À droite -par rapport aux spectateurs-, un buffet vaisselier contenant du linge. Au fond, autres meubles à portes et tiroirs si possible. Vers la gauche, le poupon dans son berceau, puis une horloge, et la fenêtre ostensiblement ouverte sur le dos de Rosine.

     C'est le moment de la veillée. Rosine et Benoîton, assis, de chaque côté de la table, font une partie de cartes.


BENOÎTON : À toi, Rosine. (Rosine, distraitement, joue une carte, Benoîton joue à son tour). Cœur ! Je coupe. (Il ramasse le pli et joue une autre carte). Trèfle ! (Rosine joue une carte tout à fait au hasard). Je coupe encore. (Ils continuent le jeu). Carreau ! Je re-recoupe. Et pour finir... atout ! (Ils ramassent les derniers plis). Je marque le point avec un bien vilain jeu. Le point... et un point de refus, car tu m'avais refusé des cartes, ma bonne.

ROSINE : Cela est vrai...


BENOÎTON : Ce qui me fait... (Il compte, les yeux au plafond). Trois et deux, cinq. Et deux, sept... Juste mon compte. Tu as encore perdu, ma femme.

ROSINE : (doucement) Il faut bien que je perde, puisque vous gagnez toujours.

BENOÎTON : Voyons ton écart... Oh ! le neuf et la dame de pique !


ROSINE : Je n'aime pas le pique.

BENOÎTON : Si tu écartes les atouts, il ne faut pas t'étonner de perdre.

ROSINE : (l'air résigné) Oh, je ne m'en étonne plus, j'ai l'habitude.

BENOÎTON : (serrant autour de son cou les pans de sa cravate de laine) Dis-donc, Rosine, il semble que le vent ait fraîchi tout à coup.

ROSINE : C'est le serein.


BENOÎTON : Ferme la fenêtre qui est derrière toi.

ROSINE : (aussi gentiment qu'elle dirait oui) Non.

BENOÎTON : (plus fort) Je te dis : ferme la fenêtre.

ROSINE : Et moi, je vous dis : non.

BENOÎTON : Voyons, Rosine, tu n'as qu'à étendre le bras...

ROSINE : Oui. (Avec son plus charmant sourire) Mais je n'en ferai rien.

BENOÎTON : (frappant du poing sur la table) Voilà qui est trop fort ! Qui est le maître ici ?

ROSINE : (tournant vers lui un visage humilié) C'est vous, mon mari.


BENOÎTON : Eh bien, je te commande de fermer la fenêtre.

ROSINE : Fermez-la vous-même, si cela vous plaît.

BENOÎTON : Je sens le vent froid sur ma poitrine.

ROSINE : Et moi sur mon dos, ce qui est pire.

BENOÎTON : (éternuant) Atchoum ! Atchoum ! Tu entends ? Voilà que, peut-être, je m'enrhume.

ROSINE : Je suis sûrement enrhumée et je n'en fais point tant de bruit.

BENOÎTON : (conciliant) Allons, ferme la fenêtre, Rosine.

ROSINE : (toujours avec la même douceur) Non , vraiment, cela ne me plaît pas.

BENOÎTON : (se levant) Tu oublies qu'une femme doit obéissance à son mari.

ROSINE . Un mari doit à sa femme aide et protection. Et vous me laissez ici attraper une fluxion de poitrine...

BENOÎTON : (stupéfait) Moi, je...

ROSINE : Dont je mourrai, je le sens. (Elle se force à tousser, une main sur la poitrine).

BENOÎTON : (ton de la plaisanterie) Hé ! cela s'est vu, ma bonne !

ROSINE : Cela se verra, hélas ! à cause de votre cruelle obstination à ne pas fermer cette fenêtre.

BENOÎTON : (suffoqué) Mon obstination ? À moi ?

ROSINE : (se levant à son tour. Ils sont sur le devant du théâtre). Au moins promettez-moi de m'ensevelir dans ma robe neuve.

BENOÎTON : Il vaudrait mieux fermer la fenêtre.

ROSINE : De laisser à mon doigt cet anneau que je tiens de vous.

BENOÎTON : (haussant les épaules) Soit. Je le laisserai.

ROSINE : Vous ne manquerez pas d'inviter à mes obsèques tous nos parents et alliés ?

BENOÎTON : Je n'y manquerai pas.

ROSINE : Je veux des cierges neufs.

BENOÎTON : Sois tranquille...

ROSINE : Des chœurs pour le « libera » ?

BENOÎTON : Tu auras tout cela.

ROSINE : Et le glas aux trois cloches ?

BENOÎTON : (imitant les cloches) Le glas ! Le glas ! Le glas !

ROSINE : (éclatant en sanglots) Vous penserez à la quarantaine ?

BENOÎTON : J'y pense déjà.

ROSINE : Au bout de l'an ? (Elle pleure très fort, la tête sur l'épaule de Benoîton). Ah ! Mon mari, quel malheur ! Mourir si jeune.

BENOÎTON : Il vaudrait mieux fermer la fenêtre.

ROSINE : (s'écartant et reprenant vie et voix) Pour cela, je n'en ferai rien. C'est vous, mon mari, qui finirez par la fermer.

BENOÎTON : Pourquoi cela ?

ROSINE : Parce que je l'ai décidé ainsi.

BENOÎTON : Et si je décide autrement ?

ROSINE : Cela ne changera rien.

BENOÎTON : (Il s'assied, s'éponge le front, puis à mi-voix au public..). Si je cède pour cette fenêtre, c'en est fait a jamais de mon autorité. (Il se lève et, rassemblant toute son énergie). Rosine, ferme la fenêtre.

ROSINE : (secouant doucement la tête) Non.

BENOÎTON : Rosine, ma patience est à bout. Veux-tu fermer la fenêtre ?

ROSINE : (même jeu) Non.

BENOÎTON : Une fois ?

ROSINE : Non.

BENOÎTON : (de plus en plus menaçant) Deux fois ?

ROSINE : (de plus en plus douce) Non.

BENOÎTON : Trois fois ?

ROSINE : Non. C'est vous qui la fermerez.

BENOÎTON : (s'asseyant, accablé) Que faire, sinon la battre ? Encore la fenêtre ne s'en trouverait-elle pas moins ouverte !

     (ll réfléchit, la tête dans les mains. Rosine, debout près de lui, l'observe en souriant. Tout à coup, de l'index, il se frappe le front. Au public).

BENOÎTON : Une idée ! (À Rosine, tout en se levant) Rosine, j'ai une idée.

ROSINE : (avec une docile attention) Dites votre idée, mon mari.

BENOITDN : Plutôt que de nous disputer en vain, nous allons tous les deux faire silence.

ROSINE : Voilà une bonne idée : nous allons tous les deux faire silence.

BENOÎTON : Et le premier qui parlera ira fermer la fenêtre.

ROSINE : (après une courte réflexion) Soit. Je n'ai rien à reprendre à cela : le premier qui parlera ira fermer la fenêtre.

BENOÎTON : (au public) Je reprends espoir. (À Rosine) Asseyons-nous. (Ils s'installent tous les deux à gauche sur le devant du théâtre, face au public. Benoîton est à fauche). Attention. Je compte jusqu'à trois un, deux... trois. Silence !

     (Tous deux pincent les lèvres. Les mains sur leurs genoux, ils restent d'abord immobiles, se regardant de temps en temps. Bien se garder de rire ! Au bout d'un moment, Benoîton, l'air inquiet, cherche dans une de ses poches, sans en rien tirer. Puis dans une autre, puis dans les poches du tablier de Rosine. Son inquiétude augmente. Il se lève, cherche dans le tiroir de la table, puis dans les pièces de vaisselle qui se trouvent sur le buffet. Il ouvre la porte du buffet, en fait tomber d'un seul coup tout le linge et secoue les pièces les unes après les autres. Il prend le balai et explore avec le manche le dessous du buffet. Puis il se met à plat ventre pour y regarder. Il met la salle dans un grand désordre. Rosine ne le quitte pas des yeux. À plusieurs reprises, elle se lève pour aller vers lui, puis se rassied. Son visage exprime une inquiétude croissante, mais elle serre les lèvres et ne dit rien. Enfin, Benoîton arrive au berceau. Il en sort le poupon (une grosse poupée ou un paquet de chiffons, emmailloté à l'ancienne mode) et commence à jeter à terre, après les avoir secouées et examinées, les différentes pièces de literie. Alors Rosine n'y tient plus).

ROSINE : Benoîton, mon mari, pour l'amour de Dieu, dites-moi ce que vous cherchez.

BENOÎTON : (d'une voix forte et joyeuse) Ma femme, je cherchais ta langue. Mais voilà que je viens de la retrouver.

     (Il recouche vivement le poupon et revient sur le devant du théâtre).

ROSINE : (confuse) Oh ! Je me suis laissée prendre ! J'ai parlé la première et voilà que j'ai perdu la gageure (prononcer « gajure »).

BENOÎTON : (triomphant sans modestie) Tu l'as perdue ! (au public) Et moi, j'ai gagné !

ROSINE : Mais aussi, mon mari, vous avez trop d'astuce pour une simple femme comme moi.

BENOÎTON : Il est vrai. La ruse était bonne et je n'en suis pas mécontent. Et
maintenant, ma mie, va fermer la fenêtre.

ROSINE : (douce et obstinée) Non...

BENOÎTON : (stupéfait) Comment, non ?

ROSINE : (même jeu) Non.

BENOÎTON : Serais-tu déloyale ?

ROSINE : Dieu m'en garde !

BENOÎTON : Voyons, Rosine, qu'a-t-il été convenu ?

ROSINE : Que le perdant fermerait la fenêtre.

BENOÎTON : Eh bien ?

ROSINE : Mais... il n'a pas été dit quand il devrait la fermer.

BENOÎTON : Et alors ?

ROSINE : Alors, s'il vous plaît, ne sommes-nous point au dimanche de la Nativité ?

BENOÎTON : Huitième jour de septembre, en vérité.

RDSINE : (bien détailler cette réplique) Eh bien, mon mari, avec votre permission, je fermerai la fenêtre, sans y manquer (les mains jointes, la tête baissée) le saint jour de Pâques.

BENOÎTON : (furieux) La peste soit des femmes ! La peste soit des femmes ! La meilleure est cent fois pire que le diable.

     (Il va, rageusement, fermer la fenêtre).


ROSINE : Mon cher petit mari ! Je vous l'avais bien dit que vous finiriez par fermer la fenêtre. (La pièce peut se terminer là).

BENOÎTON : (bougonnant) Eh oui ! Mon cher petit mari ! À présent que tu as gagné, te voilà tout à fait contente.

ROSINE : Non, ma foi, pas tout à fait.

BENOÎTON : Que faut-il de plus ?

ROSINE : Je veux vous voir danser.


BENOÎTON : (stupéfait) Danser !

ROSINE : Afin de réchauffer votre sang. Ainsi votre rhume n'aura pas de suites fâcheuses.

BENOÎTON : Et ta fluxion de poitrine ?

ROSINE : Je danserai avec vous (La pièce peut se terminer là, avec danse à deux personnages). Et même, avec votre permission, mon mari, j'inviterai nos voisins à se réjouir avec nous, afin de fêter...

BENOÎTON : ... Quoi donc ?

ROSINE : Notre guérison. (Elle ouvre la porte et appelle). Hé ! Voisins, voisines, accourrez tous, mon mari vous invite à danser... Apportez le violon (Ou le pipeau, ou tout autre instrument champêtre).

     (entrée des voisins, mise en place rapide et danse - On pourra exécuter une danse régionale étudiée à part).

- F I N -
 


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