PIECES  DE  THEATRE  POUR  ENFANTS.

 
 

GROSMALIN
et le Singe de la Foire


Monologue pour grand garçon
par Lina ROTH


     Il entre, chaussé d'énormes souliers tout luisants d'astiquage, les joues barbouillées de cirage.

GROSMALIN. - Le Victor, ce matin, il m’a dit comme ça : « Mon Grosmalin, puisque t’as tant fait que de venir à la foire, faut en profiter pour t’amuser. Va donc voir le singe qui est au milieu de la place. C’est un chimpanzé, comme on dit, l’espèce qui ressemble le plus à l'homme. C’est épatant. Jamais t’auras tant rigolé.
- Ce singe, que je lui dis, au Victor, il est tout seul sur la place ? Il a pas de maître ?
- Oui, il a l’air rien que tout seul.
- Il est pas attaché ?
- Je crois pas. Ou alors, il serait attaché avec une ficelle invisible.
- Il est pas méchant, au moins ? que je lui demande encore, au Victor.
- Non, il est pas méchant, la pauvre bête !
- Qu’est-ce qu’il fait sur la place, ton singe ?
- Il cire les chaussures.
- Non, que je lui dis, au Victor, ça, ça se peut pas.
- Mais si, qu’il me répond. C’est son numéro. On l’a dressé à cirer les chaussures, il cire les chaussures. C’est intelligent, ces bêtes-là. Et je te réponds que ça brille.
- Bon. Mais qu’est-ce qu’il fait, ton singe, quand il a pas de chaussures à cirer ?
- Il est assis sur sa caisse à brosses et il fume sa pipe.
- Je voudrais bien voir ça, par exemple !
- Vas-y voir, mon Grosmalin, ça fait un quart d’heure que je te le dis. »

     Je suis donc t-été voir ce singe.
     À ce moment-là, il était assis sur sa caisse, en train de fumer sa pipe.
     Il était tordant, habillé comme un homme : pantalon, chandail, ceinture, casquette...
     Quand il me voit, il laisse sa pipe, prend ses brosses et s'approche de moi. Je lui fais oui, de la tête, et il a tout de suite compris. Et je te brosse et je te brosse. Quand mes deux chaussures ont z-été cirées, je lui fais un petit signe, au singe, comme la reine d’Angleterre, pour lui dire merci. Oui, mais le singe, à ce moment-là, il a mis sa patte sur mon épaule et il m’a dit :
« C'est pas tout ça, mon pote, tu me dois vingt francs. »
     J’ai retourné mes poches, comme ça, pour lui montrer que j’avais pas d’argent. Alors, il m’a dit, le singe :
     « Si t’avais pas d’argent pour payer, pourquoi que tas fait cirer tes godasses ?
- Pour voir comment que tu t’y prendrais, que je lui réponds. J’avais jamais vu un singe savant. »
     Là-dessus, le singe se met crier et voilà tous les gens qui s’amènent autour de nous avec leurs chiens, leurs gosses, leurs cannes et leurs parapluies.
     « Un singe savant, qu’il criait, le singe. Moi, un singe savant ? Répète-le pour voir, espèce d’idiot, crétin, empoté, imbécile... Et ça fait l’andouille par dessus le marché. »
     Oui, il a dit tout ça, le singe, et encore d’autres mots que je peux pas répéter à cause des dames.
     « Un singe savant, qu’il répétait, un singe savant ! Tu vas retirer ça tout de suite ou...
- Je veux bien retirer savant, que je lui dis au singe, mais y a pourtant pas de quoi vous vexer. »
     Mais il était trop en colère pour comprendre ma gentillesse. Et puis, ce singe, c’est jamais qu’une bête, après tout. On peut pas lui demander d’être aussi intelligent que moi, que tout le monde m'appelle Grosmalin dans mon patelin. Le singe, donc, il devient rouge comme une grosse violette et il s’approche de moi tout près. J’ai pensé qu’il allait me manger tout cru !
     « T'as voulu être ciré à l’œil, qu’il me dit le singe, eh bien, tiens, t’auras encore un petit coup de brosse par-dessus le marché. »
     Il crache sur sa brosse à cirage et me l’applique, v’lan, v’lan, sur mes deux joues.
     J’ai pas demandé mon reste. J’ai couru retrouver le Victor et je l’ai, comme de juste, enguirlandé. « Tu m’avais pas dit que le singe était habillé comme un homme, tu m’avais pas dit qu’il parlait comme un homme et qu’il se faisait payer pour cirer les chaussures. »
     Voilà le Victor qui se met à rigoler comme tous les autres idiots de la foire :
     « Je t’avais pas dit, je t’avais pas dit. À toi, Grosmalin, il faut tout te dire. Tu trouves jamais rien tout seul. Je parie que t'avais même pas pensé tout seul que c’est aujourd’hui le Premier Avril. »

 

RIDEAU

 

 Lina ROTH

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