PIECES  DE  THEATRE  POUR  ENFANTS.

 

Bécassot fait du Cinéma

Monologue paysan comique

Par Raymond RICHARD

 

     Bécassot porte le costume traditionnel du paysan : bonnet de colon, blouse bleue et foulard rouge. Il est chaussé de gros sabots. Il entre en scène avec une dignité inaccoutumée dont le ridicule doit, dès le lever du rideau, déchaîner les rires.


BÉCASSOT, l'air offensé. - Oui, oui, vous pouvez rire en me voyant ! Au fond, vous en crevez tous de jalousie, hein ! de savoir que je sons devenu une Renaud !… (Se reprenant) Non, pas une Renaud ! Voyons, comment on dit déjà ? (Réfléchissant puis, soudain) Ah ! ça y est ! Une vedette, j' sons devenu une vedette de l'écran ! (Avec emphase) Une grande vedette ! (Souriant) La Renaud, c'est ben trop p'tit !...
     Désormais, les Fernandel, les Pierre « Presse-Nez », les Martine Carotte, toutes les grandes stars comme y disent, n'ont qu'à bien s' tenir ! Même l'ami Bourvil qui, vous l'avez sûrement remarqué, essaie de m'imiter, même lui qui sait si bien faire l'andouille ne m'arrive pas à la cheville. Vous comprenez, lui, y s' force, tandis qu' moué, c'est naturel ! C'est ça, l'talent !
     Mais faut qu' je vous raconte comment j' sons devenu artiste ! C'est toute une histouére !
     L'an darnier, des cinématographes, enfin des hommes qui font des « flims » ont débarqué dans not' village avec plusieurs camions. Y z'ont installé sur la place des tas d' machines bizarres, des « cocaméras » comme y disent, puis des « injecteurs » pour y voir plus clair. Y z'ont déroulé des kilomètres de câbles. On aurait dit les pompiers un jour d'exercice !
     Y z'ont dit à not' Maire qu'ils tournaient « un document en terre » sur la région. Vous parlez d'une aubaine pour nous autres, les gosses de l'école ! Et pis, tout l' monde espérait ben être photographié !
     Mais le « monteur »en scène a dit : « J'en veux rien qu'un. Ça suffira. Mais y faut qu'il ait une bobine originale ! » C'est alors qu'il m'a aperçu. Il a éclaté de rire en disant : « Pas besoin de chercher plus loin : c'est çui-là qu'il me faut ! J'ai jamais vu une tête pareille ! » Pensez si j'étions flatté !
     Alors, la « cocaméra » s'est approchée de moué, me fixant avec son gros n'œil en verre. J'étions un peu impressionné, vous pensez, et j'essayais de trouver des poses avantageuses comme chez le photographe. Mais le « monteur » en scène m'a dit : « Non, non non p'tit ! N'essaie pas de prendre l'air intelligent : reste naturel !... Voilà, parfait !... C'est fini ! » et y m'a donné cinq-cents francs en disant : « C'est ton cachet ! » Heureusement qu'y m'a pas dit d' l'avaler ! Pensez ! un cachet de cinq-cents francs ! Y vaut mieux prendre de l'aspirine !
     En partant y nous a dit : « Quand le «  flim » sera sorti, je vous avertirai pour que vous alliez le voir ! » Y a près d'un an d' ça et nous avions déjà oublié c't' aventure quand, la s'maine darnière, on a appris qu' not' « flim » allait être « projecté » dans la salle du bourg voisin.
     Comme j'étions la vedette, le Maire m'a emmené dans sa carriole et tous les habitants du village ont suivi pour me voir sur l'écran. Ah ! mes amis, quelle séance !
     Un nommé Jean Toscane expliquait les images : « Voici, qu'il a dit, le lamentable exemple d'un village de France qui a conservé les mœurs les plus primitives. Dans cette petite agglomération de deux cents « ânes » (il étions pas bien poli le Jean Toscane !) il n'y a pas encore l'électricité ni l'eau sur l'évier (pour quoi faire, puisqu'on a la mare !) Des bouses de vaches parsèment les routes (on peut tout de même pas leur pendre un panier au derrière à ces pauv' bêtes !) Et, pour compléter ce triste tableau (à ce moment, j'apparais sur l'écran), pour compléter ce triste tableau, voici l'idiot du village dont notre objectif a pu saisir un instant le visage stupide... »
     Alors, ça a été du délire ! Les spectateurs, d'abord un peu froids (à cause des bouses et des deux-cents ânes), les spectateurs se sont mis à rigoler, à rigoler, en applaudissant à tout casser. La lumière étant revenue, toute la salle s'est mise à crier, sur l'air des lampions : « Bécassot ! Bécassot ! » J'ons été obligé de me lever et de saluer pour remercier. Ah ! quel triomphe !
     Depuis ce jour-là, tous le monde me traite avec respect. Pensez ! Une vedette ! La Marie, not' voisine, m'a même dit hier :
« Bécassot, j' veux plus que mon Claude te flanque des torgnoles !
- Ah bah ! pourquoi donc, la Marie ? que j' lui ai demandé.
- Mais, mon pauv' niquedouille, tu sais ben qu'un idiot de village, ça porte bonheur ! »

 

Raymond RICHARD.
(Tous droits réservés)


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