BÉCASSOT EST FORT EN SCIENCES

Dialogue paysan comique

Raymond RICHARD

     (Bécassot entre au fond, un parapluie à la main, un panier au bras. Costume classique du paysan : blouse bleue, sabots, bonnet de coton).

BÉCASSOT. - Moé, voyez-vous, Messieurs et bonnes Dames, ce que j'aimions le mieux à l'école, c'est la chimie, la Phtisique et l'histoire surnaturelle. Oh ! J' sons de première force en ces matières. Comme dit ma mère qu'est couturière, j'avions l'étoffe d'un savant.

     Même quand, à l'école, on fait de l'Orthographe ou du Calcul, j' demeurions un scientifique. Ça m'a d'ailleurs joué déjà des mauvais tours. L'aut' jour encore, not' maître m' demande sans crier gare : « Élève Bécassot, qui a fait monter Clovis sur le trône ? » Alors, distrait comme tous les grands savants, j' lui réponds : « La pression atmosphérique, M'sieur ! »

     Ah ! ça a fait un beau pétard. Tous les copains se gondolaient comme des tôles ondulées. L'instituteur a cru que j' me payais sa tête et m'a flanqué le verbe : Répondre comme un niquedouille aux questions du maître pour constiper... non, pour dissiper ses camarades.

     Mais n' croyez pas qu' cette aventure m'a dégoûté des Sciences ! Que voulez-vous, j'ons ça dans l' sang ! J'ons toujours été curieux et observateur. Déjà, tout petit, j' démontais les pendules de la maison pour vouér c' qui avait dedans, je faisais chauffer le baromètre au bain-marie et j' mélangeais l'eau de Javel de ma mère avec d' l'essence de térébenthine et d' la poudre de riz, pour vouér c' que ça donnerait. J'ons réussi deux ou trois foués à faire sauter la cuisine et à flanquer l' feu à la maison. Ah ! j'en ons reçu des fessées pour l'amour de la Science !

     Mais maintenant, j' sons plus sérieux et surtout plus savant. J' reconnais du premier coup d'œil une vache et un escargot, une citrouille et un artichaut, la fleur de soufre et la fleur des pois. Comme ça, tout de suite, sans réfléchir ! J' vous l' dis, j'ons l' don des Sciences !

     J' savions qu' la boussole a été inventée par un gars du Nord. C'est pour ça qu'elle se tourne toujours du côté d' son patelin. J' savions que, quand l' baromètre marque « beau temps », y va sûrement pleuvoir et qu' le thermomètre est un truc qu'on met... où vous savez ! et qui vous flanque la fièvre quand y monte trop haut. Entre parenthèses, j'aimions pas ces engins qui montent comme ça tout seuls. J'ons toujours peur qu'il veuille plus redescendre !

     J' savions qu' l'éléphant aime pas qu'on l' regarde parce qu'il a des défenses d'ivoire. (Riant) Défenses d'ivoire pardi ! ça veut dire : Faut pas m' regarder ! J' savions qu' la girafe est une prétentieuse qui s'est montée l' cou, que l' dromadaire s'est cogné l' dos contre les Pyramides et qu' c'est à cause du mille-pattes qu'on r'trouve plus d' quoi s' chausser !

     J' savions encore qu'un gars appelé Newton -un drôle de nom !- a reçu un jour une pomme sur la tête, qu'un vieux barbu d' l'Antiquité appelé Archimède prenait son bain en criant « Eurêka » (ça d'vait être un zazou !) et que Papin s'amusait à faire sauter des marmites. (Avec un gros rire) Un rigolo, c' Papin !

     J' pourrais vous citer tous les gaz qui sont dans l'air depuis l' gaz carbonique jusqu'au Gaspard, l' cousin du garde-champêtre, vous fabriquer de l'oxygène en deux minutes en versant d' l'huile de coude sur du poil à gratter.

     J'ai aussi inventé un tas d' machines : le panier portatif pour recueillir les crottes de chèvres, le fer à onduler la tôle, la tondeuse à épiler les œufs et la gomme à effacer les mauvaises impressions.

     J' vous l' dis : j' sons très fort en Sciences. J' devinions tous les phénomènes de la Nature. Y n'y a qu'une chose que j'ons pas encore comprise, c'est pourquoi vous rigolez tous comme des baleines et pourquoi, depuis l' temps que j' vous raconte des balivernes, vous n' m'avez pas encore flanqué des pommes cuites sur la tête ! C'est' p't' être pasque vous n'avez pas d' pommes !

     (Il rit bêtement, mais sa joie est subitement figée par un déluge de projectiles venus de la salle).

     Oh ! Oh ! ça y est : voilà la grêle : Aïe ! Aïe ! Aïe ! Arrêtez ! J' m'en vas ! Bonsoir Messieurs et Dames... et merci tout de même !
 

Raymond RICHARD.

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