PIECES  DE  THEATRE  POUR  ENFANTS.

 
 
LES BORDS DU GANGE


ou

PIERROT PÊCHEUR


http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5573176j/f3.image.r=Almanach%20des%20enfants%20Amusements%20et%20jeux%20pour%20jeunes%20filles%20et%20jeunes%20gar%C3%A7ons.langFR

PANTOMIME FANTASTIQUE EN UN ACTE.

 

Almanach des enfants. Amusements et jeux pour jeunes filles et jeunes garçons

1877

 

PERSONNAGES


CASSANDERPOUR, vieux nabab.
PIERROT, pécheur indien.
PATAPOUF, esprit fou.
SAPHIR, génie interne.

La scène se passe aux environs de Bénarès, en Asie.

LES BORDS DU GANGE

Une campagne asiatique ; Le Gange au fond caché par des
plantes aquatiques ; un tronc d'arbre.

Scène première.

 


Pierrot, endormi sur un tronc d'arbre, souffle bruyamment; il se réveille en sursaut, regarde autour de lui, sourit et se rendort ; un bruit le réveille, il croit voir un serpent dans l'herbe et reconnaît qu'une feuille sèche vient de tomber ; il sourit et se rendort, lorsqu'il est réveillé de nouveau par un grognement formidable ; il ramasse son filet tombé à terre et se cache pour laisser passer l'animal qui a causé sa frayeur.



Scène II.



Entre Cassanderpour, s'appuyant sur un bambou ; il trouve le paysage magnifique et l'air bon en cet endroit ; il s'assied sur le tronc d'arbre où
Pierrot reposait à la scène précédente. Pierrot qui n'entend plus rien, passe la tête à travers le branchage, et se montre vexé d'avoir eu peur d'un vieillard ; il lui envoie des mottes de terre que le bonhomme prend pour des insectes ; à la fin il s'impatiente et donne un coup de bambou qui atteint Pierrot et le fait éternuer ; à ce bruit le vieux se sauve, tandis que Pierrot se tâte le nez, accourt en scène, frappant des pieds et des poings dans le vide ; il va pour se mettre à la poursuite du fuyard, lorsque soudain il aperçoit un étranger, il recule en longues enjambées jusqu'à la place où il était caché précédemment.



Scène III.



Saphir entre d'un air soucieux, il porte un costume fantastique tenant du Rajah et du Brahmane.


SAPHIR.

Reposons-nous ici... ces plages embaumées

Rassérènent l'esprit de l'humain promeneur,

On sent monter dans l'air des senteurs parfumées

Qui semblent révéler l'asile du bonheur.


Il fait quelques pas vers le fond et désigne l'endroit ou Pierrot par intervalles montre sa tête curieuse.


SAPHIR
Il se croit bien placé celui-là qui m'écoute

Sans le moindre souci.

Allons, l'homme au teint pâle, et malgré qu'il t'encoûte

Pour mieux me renseigner !.. viens ici.


Saphir fait un geste, Pierrot arrive en scène poussé par une force qu'il ne peut vaincre ; il examine curieusement le jeune étranger qui sourit.


SAPHIR
Ma personne t'est inconnue

Habitant du pays des oiseaux.

Je descends tout droit de la nue

Pour me distraire au milieu des roseaux.

Dans ma course précipitée,

Je suis presque certain d'avoir

Perdu l'aigrette enchantée

Qui fait tout mon pouvoir.

Ma voix fait vibrer l'harmonie ;

Pour fin coursier j'ai le zéphyr ;

C'est moi qui suis le bon génie

Que dans l’Éther on nomme Saphir.



Pierrot fait une respectueuse salutation en lui demandant ses bonnes grâces pour obtenir bonne pêche ; pendant qu'il baisse la tète, le génie disparaît par le fond en faisant un signe amical.



Scène IV.



Comme il se relève pour remercier le génie, il ne le voit plus et semble stupéfait, mais il se dit qu'il est sans doute dans les airs et qu'il veillera sur lui ; il va chercher son filet qu'il a caché dans un buisson et se dispose à le jeter dans le fleuve ; il s'arrache un cheveu et le lance aux poissons en guise d'amorce, puis il plonge le filet dont il garde une extrémité, bientôt il explique que ça mord, il le retire à force d'épaules, le filet lui échappe. Pierrot tombe à terre ; il se relève, s'essuie le front, fait de nouveaux efforts, ramène le filet, l'étale en scène, développe les mailles et voit dedans le génie Patapouf habillé en Fakir ; Patapouf se lève, saute, bondit, fait, des contorsions qui effraient Pierrot, lequel cherche un bâton, mais le génie qui a rejeté le filet dans l'eau, désarme Pierrot qui s'enfuit poursuivi par Patapouf qui rit toujours en se trémoussant.

 


Scène V.



La scène reste vide un instant, puis Cassanderpour rentre avec précaution, regardant à droite, à gauche, tressaillant au moindre bruit ; il exprime avoir eu tort de se promener ainsi dans la forêt ; on remue dans le feuillage, il se tapit dans un coin ; Pierrot arrive se croyant toujours poursuivi par Patapouf et se tâtant les côtes ; Cassanderpour éternue, Pierrot recule d'abord avec effroi, puis il examine le vieux qui lui assène un coup sur le nez et tombe dessus en tapant ; le bonhomme crie, tourne et tombe dans le fleuve ; Pierrot d'abord effrayé, voit bientôt le bonhomme reparaître à la surface, il le saisit par sa natte, lui fait faire plusieurs plongeons et le retire ; mouillé, accablé, le vieux vient s'asseoir sur le tronc d'arbre où Pierrot le frictionne.



Scène VI.



Patapouf rentre avec des mouvements de singe ; il aperçoit Pierrot et se montre joyeux à l'idée de lui faire des niches ; le vieillard remis de son émotion, remercie Pierrot en lui montrant le poing de côté ; Patapouf qui a cueilli une branche, approche sans bruit et chatouille tout à coup la figure de Pierrot et de Cassanderpour ; chacun d'eux accuse l'autre de cette niche réciproque, à ce moment, le génie fou leur donne plusieurs coups violents sur le dos ; les deux hommes croient à une agression, tombent l'un sur l'autre, se renversent, se relèvent et se donnent la chasse en se battant.



Scène VII.



L'esprit taquin rit et gambade en les voyant courir ; il fait diverses contorsions pour montrer que ses adversaires se battent ; tout à coup, son regard devient fixe ; il se baisse et ramasse une aigrette d'argent avec laquelle il jongle d'abord et qu'il finit par attacher au cercle qui lui ceint le front ; il se met à rire et se tortille en évoluant comme un reptile ; bientôt il désigne qu'on s'approche et se cache pour surprendre l'arrivant.



Scène VIII.



C'est Pierrot qui revient chercher son filet, il exprime avec joie que Cassanderpour qui l'avait cogné d'abord, a fini par se trouver dessous et qu'il l'a battu à son tour ; en même temps il se tâte les bras et les jambes, il sent à différentes douleurs que s'il a donné des coups, il en a reçu aussi ; en ce moment Patapouf approche en sautillant comme un insensé ; Pierrot le regarde avec étonnement et reconnaît sa pêche ; ses mouvements désordonnés lui font supposer que l'inconnu n'a pas sa raison, il va profiter de cette absence pour le tamponner, quand le génie par un effet magique le force à reculer jusqu'au pied d'un arbre; deux branches de cet arbre se croisent sur la poitrine et le tiennent prisonnier.



Scène IX.



Riant de sa nouvelle espièglerie, Patapouf, bondit et cabriole, tout à coup il s'arrête, prête l'oreille, va regarder à gauche et recule ; c'est Saphir qui rentre d'un air désespéré :


SAPHIR
Hélas ! qui me dira

Ce qu'elle est devenue ?

Une force inconnue

Soudain m'en sépara.

Toujours à sa recherche,

Je viens en ce lieu ci...

C'est en vain que je cherche... ;

Qu'est ceci ?


Il a vu Pierrot, attaché ; celui-ci d'un geste content lui désigne Patapouf qui ricane méchamment. Et Saphir qui le reconnaît rit à son tour :


SAPHIR
Celui-là n'est pas un homme,

C'est un esprit malheureux ;

Patapouf ! que l'on surnomme

Le génie au cerveau creux.

Son pouvoir n'est pas immense,

Et frise un peu la démence

Par son goût substantiel.

Bref, c'est une anomalie,

Que Brahma, pour sa folie

Dut un jour chasser du ciel.


Il aperçoit son aigrette sur le front du fou.


SAP0HIR
Qu'ai-je vu ? mon aigrette enchantée,

Surmontant sa figure effrontée...

Est-ce un vol ? but secret de ses vœux ?

Rends-la moi, rends-la moi, je le veux.


Patapouf rit de la demande de Saphir qui s'en approche pour ressaisir son talisman, mais l'esprit se dresse, prend un air sérieux et, d'un geste, intime à son adversaire l'ordre de reculer.


SAPHIR
Quoi ! l'esprit fou refuse obéissance,

Je dois encor céder à sa puissance.


Refoulé près d'un arbre opposé à celui où Pierrot se trouve enchaîné, deux branches le saisissent et le maintiennent également immobile ; Pierrot a suivi toute cette scène d'un regard attentif; Patapouf rit de les voir tous les deux dans une position semblable ; une idée germe dans son cerveau ; sur un geste de sa main, les liens qui retenaient Pierrot le laissent libre ; il lui donne un bâton et lui commande de frapper Saphir ; Pierrot joyeux répond qu'il est son esclave et qu'il va mettre sa volonté
à exécution ; au moment où Patapouf s'incline en signe de remerciement, Pierrot lui arrache l'aigrette et va la remettre à Saphir que les branches de l'arbre laissent immédiatement libre de se mouvoir.

 

SAPHIR

Merci Pierrot, ta docte habileté

Me rend la force avec la liberté.


Patapouf, haineux et froissé fait des efforts pour reprendre le talisman qu'on vient de lui arracher.


SAPHIR

Quand à toi, l'esprit fou, terreur de nos forêts,

Dans un gouffre sans fond à l'instant disparais.


Patapouf recule comme pris de vertige, lutte un moment contre un pouvoir supérieur et finalement s'enfuit par la droite en faisant un geste convulsif et désespéré.

 


Scène X.



Pierrot le regarde s'enfuir en imitant sa marche désordonnée ; tout-à-coup, il est heurté par Cassanderpour qui rentre effaré ; on lui demande la cause de son effroi, il raconte que le génie gambadeur vient de disparaître en terre ; Pierrot serre la main avec force tape dessus, Cassanderpour se crispe pour échapper à son étreinte ; Saphir s'approche, et d'un signe, met fin à la nouvelle malice de Pierrot.


SAPHIR

Je veux à ta fortune pourvoir.

La vague est opportune ; cours voir.

Travaille ; rien n'empêche

Ceci ;

Apporte nous ta pêche

Ici.

Pierrot explique que Patapouf, a jeté son filet dans le fleuve ; en indiquant la place il fait un geste de surprise, son filet est là ; il l'attire, vient le développer et en extrait un coffre chargé de bracelets, colliers et perles précieuses ; Pierrot et Cassanderpour veulent s'en emparer et commencent à se battre pour s'en .assurer là possession. Saphir s'avance et partage le tout en deux.


SAPHIR
Que tout cela vous appartienne.

Voilà sa part, voici la tienne.

Les prenant par la main et les réconciliant :

Le bonheur est chose éphémère

On doit en user sagement,

Si parfois la vie est amère,

Elle offre aussi quelque agrément ;

Vous en avez la jouissance,

Elle sera longue à finir.

Car je me sers de ma puissance,

Pour protéger votre avenir.


Sur le distique, débité par le génie, Pierrot et Cassanderpour, miment un pas cadencé qui finit par une sarabande joyeuse où à force de sauter, les deux hommes terminent en s'embrassant pour garder leur équilibre.



FIN




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